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Quand la maison de cristal promise par les nationalistes devient opaque

C'est bien arrivé en Corse

Quand la maison de cristal promise par les nationalistes devient opaque


Il paraît que la Corse devait devenir une maison de cristal, transparente comme une eau de source. Et pourtant dans notre île, on n’aime pas plus la vérité qu’ailleurs et les lanceurs d’alerte sont punis comme l’ont été en leur temps Gabriel Aranda, Julian Assanges, Edward Snowden et tant d’autres qui, par un ressort particulier qu’on pourrait bien appeler un sens moral, se sont sentis obligés de dénoncer des manquements, des erreurs ou des abus de l’institution dans laquelle ils travaillaient.

C’est bien arrivé en Corse


La vieille et lamentable habitude de notre société est de considérer l’état français à la fois comme un adversaire et une vache à lait. Je l’ai déjà écrit à de multiples reprises. Je me souviendrai toujours de la phrase que mes oncles prononçaient quand ils grugeaient le Crédit Agricole avec la complicité du directeur qui était un parent : « Ci hè da munghja Marianna ». Il faut traire la République. C’est bien cette mentalité de pillard institutionnel qui a fait les choux gras du clanisme et qu’ont combattu bec et ongles les nationalistes. Il fallait en finir avec cette mendicité organisée avec la complicité de l’état français qui échangeait une supposée paix civile contre quelques centaines de millions. La mandature de Paul Giacobbi avait été dans la continuité de celle de Ange Santini. Avec l’élection des nationalistes, on espérait un changement majeur puisque ces derniers avaient juré les grands dieux que leur maison serait faite de cristal. Or ce qui est arrivé à quatre employées de l’Office des transports de Corse semble démontrer le contraire. Les nationalistes ont continué dans la voie tracée par leurs prédécesseurs.
Pour résumer l’affaire, en 2012 quatre des neuf agents de l’OTC alertent le président de l’Office sur l’insincérité et le déséquilibre du budget 2013 d’une quinzaine de millions d’euros. C’est le contribuable corse qui en fait les frais puisque les tarifs sociaux ont été supprimés à l’exception des tarifs résidents. Deux ans plus tard, c’est la DSP maritime qui subit une semblable amputation tandis que les tarifs résidents augmentent de 12 % en même temps que les tarifs fret diminuent. Cherchez l’erreur. La Chambre régionale des comptes déclarera les trois budgets suivants insincères.
En juillet 2014, la Commission européenne alertée adresse un questionnaire à l’Office. Le directeur demande alors au personnel compétent de répondre. Les quatre employés demandent le relevé des comptes à l’interne, mais aussi « au Secrétariat général des affaires corses (Sgac), qui dépend de la préfecture » et qui est censé approuver ou refuser les comptes, ce qui rend les employées suspectes aux yeux de leur hiérarchie. Pan’è parnici affari di casa ùn si dici. On ne doit rien révéler l’extérieur. Puis les employées s’aperçoivent que du carburant a été payé à un opérateur extérieur par l’Office sans qu’il y ait de justificatifs. Il y a donc par omission un faux en écriture.

Quand alerter d’une malversation possible devient un crime aux yeux de l’OTC


Les quatre employées ne sont pas fonctionnaires et ont donc le devoir de saisir le procureur au moyen d’une plainte. Ce qu’elles font en décembre 2014. Le dépôt de plainte n’est connu que le mois suivant et les persécutions commencent. Mise à l’écart, rumeurs récurrentes, coups de gueule. Au lieu de bénir ces lanceuses d’alerte, l’administration régionale a cherché à les punir. L’année 2015 est celle de la première victoire nationaliste. Les employées croient alors venue l’heure de la vérité.
Hélas ! Le nouveau directeur adopte l’attitude du règne giacobbiste : ostracisme et mépris pour les lanceuses d’alerte. La politique de la nouvelle majorité ne diffère en rien de la précédente : recrutement pléthorique, explosion des frais de fonctionnement en partie parce que l’OTC fait désormais appel à des cabinets d’études extérieurs. Quant aux salaires, ils sont non seulement plus que corrects, mais enrichis par de nombreuses primes ce que dénonce la Chambre régionale des Comptes. Elle écrira non sans cruauté : « En maritime, le travail est assuré par un agent de catégorie C récemment recruté en CDD et qui n’exerce pas ses missions au sein de l’établissement ». Quant au sort des lanceuses d’alerte, il devient franchement invivable : la direction réussit le coup de force à ce que le personnel adresse une sorte de pétition sur papier à en-tête de l’OTC à la présidente de cet Office dénonçant les quatre recluses qui pourtant sont devenues invisibles. Et tant pis si cela ressemble fortement à un comportement de « jaunes » au service d’un patron tandis que les quatre employées reçoivent le soutien de quelques personnes au sein du STC et d’Anticor.
Contacté plus tard, le Collectif antimafia ne donnera pas suite. Vraisemblablement pour ne pas gêner Gilles Simeoni. Passons ou plutôt ne passons pas sur les menaces à peine voilées et teintées de sexisme éructées par un dirigeant de Femu a Corsica qui, pourtant publiquement, vante son progressisme. Passons ou plutôt ne passons pas sur la création d’un faux mail destiné à faire croire que ces employées auraient bien reçu des tâches à faire, mais ne les auraient pas accomplies. Nous voilà loin, très loin de la maison de verre, mais près, tout près des bonnes vieilles méthodes clanistes pourtant publiquement honnies.

Licenciées pour avoir osé affirmer la vérité


Les quatre femmes ont été licenciées par l’OTC dont les dirigeants portent haut la bannière di a ghjustizia suciali. L’une d’entre elles, âgée de 40 ans s’est retrouvée à la rue avec des enfants à charge. Les prud’hommes ont pourtant reconnu le statut de lanceuses d’alerte à ces courageuses employées. Faut-il ajouter que ci-devant directeur de l’OTC giacobbiste se retrouve devant un tribunal correctionnel à la suite du rapport de la CRC, que l’OTC a été perquisitionné ainsi que le domicile des membres du Consortium. Je reviendrai dans un prochain numéro sur l’opacité qui a présidé à la création de Corsica Linea, aux erreurs monumentales de la CTC qui a amené à la faire condamner au paiement de 86 millions d’euros au bénéfice de Corsica Ferries, aux menaces qui pèsent sur les Délégation de Service Public décidée par l’actuelle majorité. Quant à Corsica Linea, elle risque fort de devoir payer la somme colossale de près de 300 millions d’euros pour avoir omis de rompre la continuité avec la SNCM. Enfin, je mettrai en lumière la responsabilité écrasante de l’état français qui, à aucun moment, n’a fait son travail de contrôle des comptes. Le 12 octobre, les quatre lanceuses d’alerte passent en appel devant les prud’hommes de Bastia. Leur solitude est accablante pour celles et ceux qui prétendent défendre la probité publique en Corse. Anticor et le STC ont produit des lettres de soutien aux licenciées.
Le collectif antimafia, pourtant attaché à la rectitude citoyenne, sera absent. Dommage. C’était une bonne occasion de passer des paroles aux actes. Quant à la majorité, elle a tout simplement trahi le serment pompeusement prononcé lors de la première victoire qui promettait «  une maison de cristal ». Car en matière de transparence cristalline, la maison nationaliste a retrouvé la bonne vieille opacité du clanisme. Ces quatre femmes sont devenues l’incarnation et le symbole ce que pourrait être la Corse si celle-ci n’avait pas une fois encore enfourché ses vieux démons pour plaire aux copains — et peut-être même aux coquins — si elle n’avait pas cédé au désir de se créer elle aussi une clientèle stable bref de constituer un nouveau clan. « Seule la vérité est révolutionnaire », écrivait Gramsci. Le moins qu’on puisse dire est que les artisans de cette formidable Injustice lui tournent le dos et montrent une fidélité aux vieilles habitudes qui promet de belles désillusions, de celles qu’on est habitué à attribuer aux républiques bananières expression qui, en Corse, pourrait se traduire par « république châtaignière ».
Cette affaire témoigne tout simplement de méthodes qui favorisent indéniablement une mafiosation d’un système basée sur l’omertà. Elles témoignent d’une solidarité odieuse d’acteurs déficients coupables d’un comportement de clique avec pour méthode le parasitisme du bien public pour des intérêts somme toute privés. Pour ceux qui comme moi avaient placé leurs espérances dans un changement radical des mœurs, des habitudes et des actes c’est une cruelle désillusion.
En définitive, la Corse qui se targue d’héroïsme et de grandeurs sait aussi cultiver ses médiocrités et ses bassesses.

GXC
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