Woke et Cancel culture ont débarqué à Purtighju
Prétrendre être gardien ou censeur de l'histoire......
Woke et Cancel culture ont débarqué à Purtighju
Il n’appartient pas à un parti politique ou d’ailleurs à quiconque de prétendre être gardien ou censeur de l’Histoire.
Sur la plage d’U Capitellu, à Purtichju, des militants de Core in Fronte ont dernièrement stigmatisé une ville corse et une plaque commémorative indiquant le lieu où Napoléon Bonaparte aurait embarqué pour Toulon afin d’échapper à la vindicte des partisans de Pascal Paoli. L’un d’entre eux, désignant Aiacciu, a lancé : « C'est une ville corse, ça ? » Un autre s’est essayé à une diatribe anti-Napoléon qu’il a présentée comme relevant d’un « travail de remise en perspective politique.» Après avoir affirmé que l’embarquement de Napoléon Bonaparte était un fait « insignifiant dans l'Histoire de la Corse », cet intervenant a en effet ajouté : « Il n'a pas fui la Corse pourchassé par ses ennemis. C'est lui qui a trahi la Corse ! Et les Corses l'ont mis dehors.» Enfin, les militants ont apposé sur celle mise en place par la municipalité de Grossetu-Prugna sur laquelle on pouvait lire : « Le 11 juin 1793, c'est d'ici que Napoléon Bonaparte quitta la Corse en bateau avec sa famille pourchassé par ses ennemis », une nouvelle plaque où il était inscrit : « Le 11 juin 1793, c'est d'ici que Napoléon Bonaparte a fui la Corse en bateau avec sa famille, pourchassé par les forces patriotiques corses. » Les militants ont aussi assuré vouloir combattre le « révisionnisme » de « ceux qui, en politique, se servent de Napoléon Bonaparte pour affirmer le fait français » ; en l‘occurrence Valérie Bozzi, maire divers droite de Grussetu-Prugna et opposante déclarée à la majorité territoriale autonomiste, était particulièrement visée. Mais si l’on se réfère à ces quelques mots : « Il est, depuis quelques années, devenu de bon ton de considérer, même au sein du mouvement national, que Napoléon Bonaparte doit être présenté comme un des personnages les plus importants de l'histoire de notre pays, voire, par un tour de magie, reprenant quelques écrits, comme un patriote corse», Jean-Guy Talamoni était probablement lui aussi dans le collimateur. Sans doute pour avoir lancé, alors qu’il présidait l’Assemblée de Corse, le projet historique et scientifique Paoli-Napoléon. Interrogé par un confrère, l’intéressé n’est pas entré dans la polémique. En revanche, il a précisé : « Napoléon a été un patriote corse à 20 ans, puis un traître quand il a envoyé Morand » et assumé avoir été favorable à la commémoration du bicentenaire de la mort de l'Empereur.
Les Bonaparte auraient gagné Toulon depuis Calvi !
Ayant été lui aussi sollicité, l’historien Antoine-Marie Graziani, a affirmé que les deux plaques n’ont rien à voir avec la réalité car les Bonaparte auraient gagné Toulon depuis Calvi, a confirmé que Napoléon Bonaparte avait été un patriote corse au moins jusqu'au début de l'année 1793 et rappelé que Pasquale Paoli avait rejeté les offres de service du jeune Bonaparte. Pour ma part, je me garderai bien d’entrer dans le débat qu’il soit politique ou historique. Je n’en n’ai ni l’envie, ni les compétences.
En revanche, j’ose quelques observations. D’abord, je juge inacceptable, particulièrement venant de militants nationalistes, de sous-entendre qu’une cité de chez nous ne serait pas corse. Ensuite, il me semble qu’il n’appartient pas à un parti politique ou d’ailleurs à quiconque de prétendre être gardien ou censeur de l’Histoire. Admettre cette démarche inciterait très vite chacun à dire la sienne selon sa vision des choses, une approche manichéenne ou une appartenance idéologique ou partisane.
Ainsi tout habitant de ma micro-région pourrait doctement affirmer qu’ayant ordonné de brûler nos villages qui étaient matristes, Pasquale Paoli serait un criminel de guerre et non un Homme des Lumières. Enfin, je crains que les militants de Core in Fronte aient succombé à la vogue du Woke et de la Cancel culture qui, invoquant la lutte contre les discriminations, les injustices et les inégalités, instaure un climat de terrorisme intellectuel ouvrant la porte à la délation, au lynchage sur les réseaux sociaux, à l’interdiction d’expression, de livres ou d’enseignements, et au déboulonnage de statues. Des personnalités ne pouvant être soupçonnées d’être conservatrices ou réactionnaires, ont d’ailleurs mis en garde contre le Woke et la Cancel culture. Ainsi, en octobre 2019, l’ex-président US Barack Obama a déclaré : « Ce n’est pas comme ça qu’on fait changer les choses. Si tout ce que vous faites, c’est jeter la première pierre, alors vous ne faites probablement pas grand-chose.»
Alexandra Sereni