Corsica.doc du 8 au 13 octobre : L'amour de l'art
Manifestation cinématographique consacrée au documentaire à Ajaccio
Corsica.doc du 8 au 13 octobre
L’amour de l’art
Seule manifestation cinématographique consacrée au documentaire : Corsica.doc à Ajaccio. Thème de la 15 è édition, « L’amour de l’art ». En ouverture le célèbre et culte, « F for Fake » d’Orson Welles, récemment restauré.
« F for Fake » tombe à pic dans l’ambiance de fausses nouvelles, d’informations tronquées qui est la nôtre. En prestidigitateur de l’image Orson Welles nous offre une réflexion sur la vérité et le mensonge en art. Son point de départ ? Elmyre de Hory, un faussaire de génie qui avait le don de peindre des Matisse, des Modigliani, des Renoir plus vrais que les… originaux. A partir de cette trame qui avait aussi inspiré le cinéaste, François Reichenbach, l’auteur de « Citizen Kane » va jongler avec le vrai et le faux. La tricherie et l’authenticité.
Tellement réussies les copies du faussaire que des collectionneurs se précipitèrent tête baissée dans le traquenard. Mais tout se gâta… un jour. Cette histoire Welles s’en empare pour inviter le spectateur à s’interroger sur le pouvoir de mystification de l’artiste quand il parvient à l’indéniable… vrai. « F for Fake », tourné en 1973, en collaboration avec Reichenbach, est un film-testament. Une œuvre si intemporelle qu’elle devient… actuelle.
Autour du thème de « L’amour de l’art » le public ajaccien va pouvoir (re)découvrir vingt-cinq courts, moyens, longs-métrages documentaires réalisés entre 1950 et 2020, qui restituent l’émotion ressentie au contact d’une œuvre, émotion relevant du mystère et dont la perception peut être très différente d’une personne à l’autre ou au contraire être l’émanation d’un sentiment collectif unanime, par exemple, dans une salle obscure plongée dans la magie blanche d’un grand écran.
Les organisateurs du festival, Annick Peigné-Giuly, la présidente en tête, ont débusqué des pépites. Ainsi de Jean Eustache « Le jardin des délices » (trente minutes) qui met en scène un homme dépressif reprenant goût à la vie devant la peinture de Jérôme Bosch ou de Marcel Teulade « Le retour du fils prodigue » (trente-trois minutes) peint par Rembrandt dont la vue déclenche chez un incroyant une vocation religieuse. Ainsi de Herz Frank « Dix minutes de vie » qui capte des visages d’enfants assistant à un spectacle de marionnettes dont les rebondissements se lisent sur les traits des gamins ou de Pier Paolo Pasolini « La Ricotta » (trente-cinq minutes) d’une sarcastique insolence ou encore du cinéaste thaïlandais Weerasethakul, « Mysteroius Object at Noon » (quatre-vingt-dix minutes).
Les confinements et les limitations de déplacement ont provoqué chez bon nombre d’entre nous une réelle frustration. Revers bénéfique de la médaille, cette frustration a induit une prise de conscience aiguisée de la nécessité de l’art comme bien commun au quotidien.
Deuxième volet de Corsica.doc, la section « Nouveaux Talents » proposent vingt et unes réalisations inédites en compétition aux thématiques d’une riche variété. C’est une fenêtre sur la création d’aujourd’hui… à ne pas manquer !
« Le cinéma documentaire d’auteur dépasse la simple réalité pour atteindre la vérité humaine. C’est un cinéma qui doit surtout et avant tout nous faire vibrer. »
Annick Peigné-Giuly
Pouvez-vous nous rappeler les circonstances de la création de Corsica.doc ?
On a voulu introduire le documentaire dans le monde des festivals en Corse. En effet, ce genre a été présent aux côtés de la fiction dès les débuts du 7 è art. Dans les années cinquante – soixante la télévision s’en est emparé. Il s’est alors épanoui sur le petit écran. Puis des producteurs l’ont formaté en imposant une durée de cinquante-deux minutes sans trop tenir compte des réalisateurs et de leur approche. Mais le documentaire a continué son chemin hors de la TV. En 2002 avec « Être et avoir » de Nicolas Philibert, présenté en section officielle à Cannes, il y a eu un basculement car ce long-métrage documentaire a remporté un grand succès auprès du public et de la critique ce qui a réouvert les salles de cinéma à ce genre.
Comment êtes-vous passé de Libération à la présidence de Corsica.doc ?
Comme journaliste j’ai suivi l’évolution du documentaire parce que ce qui se passe autour de moi m’intéresse et que j’attache de l’importance à la qualité esthétique de ce cinéma. En 2007 il y a eu des plans sociaux à Libération et j’ai décidé de me préparer à rentrer en Corse. Avant de lancer Corsica.doc je me suis rodée au travail associatif au sein de « Documentaire sur grand écran ». L’année suivante a été créé, à Ajaccio, le festival. Sandrine Bonnaire est venue présenter son film sur l’autisme et depuis elle suit notre action.
Quelles qualités doit avoir un documentaire pour vous ?
Il ne suffit pas d’un sujet fort, il faut que sa forme ait un sens. On doit sentir que le film tient à cœur au réalisateur, qu’il vient de son désir ce qui n’est pas forcément le cas avec une commande. Bien sûr, il n’y a pas de recette… J’aime qu’un cinéaste traite d’une réalité ordinaire et fasse découvrir ce qu’elle a d’extraordinaire. Un documentaire de qualité doit apprendre au spectateur ce que regarder signifie !
Qu’est-ce qu’on peut attendre d’un documentaire qu’on ne trouve pas dans une fiction ?
S’il y a du documentaire dans la fiction et vice versa, une mauvaise réalisation reste… mauvaise. Prenons par exemple le dernier documentaire du cinéaste congolais, Dieudo Hamadi, qui a pour tire, « En route pour le milliard ». Ce film relate l’histoire d’un groupe d’hommes, de femmes devenues handicapés à la suite d’un affrontement entre militaires ougandais et ruandais qui a eu pour cadre la ville de Kisangani au Congo. Cela fait plus de vingt ans que ces blessés civils doivent être indemnisés. Lassés d’attendre ils ont décidé d’aller à Kinshasa pour avoir leurs indemnisations. Hamadi les a filmés lors de leur parcours à pied, en bateau sur plus de mille kilomètres transformant leur entreprise en véritable épopée. Aujourd’hui où nous avons un vécu très difficile, le documentaire remet les choses à leur place en montrant l’humain et en soulignant l’importance de l’art dans un univers où tout est marchandisé.
Les évolutions les plus notables du documentaire ?
La démocratisation du matériel de réalisation (petite caméra, micro intégré, logiciel de montage) participe à un développement exponentiel du documentaire, en particulier chez les jeunes. Il n’est plus exceptionnel non plus de pouvoir le voir en salles. Enfin les plateformes dédiées proposent une gamme très étendue de choix à leurs abonnés, qui manifestent souvent un désamour pour la TV.
De quelles manières construisez-vous votre section, « Nouveaux Talents » ?
On fait appel à candidature sur une plateforme. On demande des premières, deuxièmes, troisièmes réalisations produites l’année précédant le festival. En 2021 on a reçu 450 films provenant du monde entier. Notre comité de sélection comprend six membres. On discute entre nous. Souvent on est vite d’accord mais on fait également attention aux coups de cœur des uns et des autres même s’il n’y a pas unanimité ! Nous allons aussi dans les festivals tels Cannes, Lussas (Ardèche), Nyon (Suisse), Marseille, Belfort, Cinéma du Réel à Paris. La France, l’Espagne, l’Italie nous envoient beaucoup de films. Suivant les années nous en recevons également des Etats-Unis et de l’Europe de l’Est.
Les sujets de documentaires que vous retenez doivent-ils être diversifiés ?
On ne cherche pas à équilibrer les sujets des films retenus. Notre priorité c’est d’être touchés. On fait confiance au hasard. En général nos choix reflètent les préoccupations de l’heure. Cette année les films sur la famille sont très présents. Ce n’est guère surprenant car c’est là une conséquence des confinements…
Vous n’imposez aucune durée de films. Au programme des courts, des moyens, des longs-métrages. Pourquoi ?
Nos critères de choix sont artistiques. Si un réalisateur estime que son film documentaire doit durer 10, 20, 110 minutes, libre à lui ! Ce qu’on ne veut pas c’est le formatage obligé de cinquante-deux minutes !
Qu’entendez-vous exactement par cinéma documentaire d’auteur ?
Dans un documentaire il n’y a pas d’acteurs mais des personnages qui jouent leur rôle dans la vie. Le cinéma documentaire d’auteur dépasse la simple réalité pour atteindre la vérité humaine. C’est un cinéma qui doit surtout et avant tout nous faire vibrer.
Propos recueillis par M.A-P
L’amour de l’art
Seule manifestation cinématographique consacrée au documentaire : Corsica.doc à Ajaccio. Thème de la 15 è édition, « L’amour de l’art ». En ouverture le célèbre et culte, « F for Fake » d’Orson Welles, récemment restauré.
« F for Fake » tombe à pic dans l’ambiance de fausses nouvelles, d’informations tronquées qui est la nôtre. En prestidigitateur de l’image Orson Welles nous offre une réflexion sur la vérité et le mensonge en art. Son point de départ ? Elmyre de Hory, un faussaire de génie qui avait le don de peindre des Matisse, des Modigliani, des Renoir plus vrais que les… originaux. A partir de cette trame qui avait aussi inspiré le cinéaste, François Reichenbach, l’auteur de « Citizen Kane » va jongler avec le vrai et le faux. La tricherie et l’authenticité.
Tellement réussies les copies du faussaire que des collectionneurs se précipitèrent tête baissée dans le traquenard. Mais tout se gâta… un jour. Cette histoire Welles s’en empare pour inviter le spectateur à s’interroger sur le pouvoir de mystification de l’artiste quand il parvient à l’indéniable… vrai. « F for Fake », tourné en 1973, en collaboration avec Reichenbach, est un film-testament. Une œuvre si intemporelle qu’elle devient… actuelle.
Autour du thème de « L’amour de l’art » le public ajaccien va pouvoir (re)découvrir vingt-cinq courts, moyens, longs-métrages documentaires réalisés entre 1950 et 2020, qui restituent l’émotion ressentie au contact d’une œuvre, émotion relevant du mystère et dont la perception peut être très différente d’une personne à l’autre ou au contraire être l’émanation d’un sentiment collectif unanime, par exemple, dans une salle obscure plongée dans la magie blanche d’un grand écran.
Les organisateurs du festival, Annick Peigné-Giuly, la présidente en tête, ont débusqué des pépites. Ainsi de Jean Eustache « Le jardin des délices » (trente minutes) qui met en scène un homme dépressif reprenant goût à la vie devant la peinture de Jérôme Bosch ou de Marcel Teulade « Le retour du fils prodigue » (trente-trois minutes) peint par Rembrandt dont la vue déclenche chez un incroyant une vocation religieuse. Ainsi de Herz Frank « Dix minutes de vie » qui capte des visages d’enfants assistant à un spectacle de marionnettes dont les rebondissements se lisent sur les traits des gamins ou de Pier Paolo Pasolini « La Ricotta » (trente-cinq minutes) d’une sarcastique insolence ou encore du cinéaste thaïlandais Weerasethakul, « Mysteroius Object at Noon » (quatre-vingt-dix minutes).
Les confinements et les limitations de déplacement ont provoqué chez bon nombre d’entre nous une réelle frustration. Revers bénéfique de la médaille, cette frustration a induit une prise de conscience aiguisée de la nécessité de l’art comme bien commun au quotidien.
Deuxième volet de Corsica.doc, la section « Nouveaux Talents » proposent vingt et unes réalisations inédites en compétition aux thématiques d’une riche variété. C’est une fenêtre sur la création d’aujourd’hui… à ne pas manquer !
- · Contacts : www.corsica.doc
- · Corsica.doc se déroule au cinéma Ellipse à Ajaccio.
« Le cinéma documentaire d’auteur dépasse la simple réalité pour atteindre la vérité humaine. C’est un cinéma qui doit surtout et avant tout nous faire vibrer. »
Annick Peigné-Giuly
Pouvez-vous nous rappeler les circonstances de la création de Corsica.doc ?
On a voulu introduire le documentaire dans le monde des festivals en Corse. En effet, ce genre a été présent aux côtés de la fiction dès les débuts du 7 è art. Dans les années cinquante – soixante la télévision s’en est emparé. Il s’est alors épanoui sur le petit écran. Puis des producteurs l’ont formaté en imposant une durée de cinquante-deux minutes sans trop tenir compte des réalisateurs et de leur approche. Mais le documentaire a continué son chemin hors de la TV. En 2002 avec « Être et avoir » de Nicolas Philibert, présenté en section officielle à Cannes, il y a eu un basculement car ce long-métrage documentaire a remporté un grand succès auprès du public et de la critique ce qui a réouvert les salles de cinéma à ce genre.
Comment êtes-vous passé de Libération à la présidence de Corsica.doc ?
Comme journaliste j’ai suivi l’évolution du documentaire parce que ce qui se passe autour de moi m’intéresse et que j’attache de l’importance à la qualité esthétique de ce cinéma. En 2007 il y a eu des plans sociaux à Libération et j’ai décidé de me préparer à rentrer en Corse. Avant de lancer Corsica.doc je me suis rodée au travail associatif au sein de « Documentaire sur grand écran ». L’année suivante a été créé, à Ajaccio, le festival. Sandrine Bonnaire est venue présenter son film sur l’autisme et depuis elle suit notre action.
Quelles qualités doit avoir un documentaire pour vous ?
Il ne suffit pas d’un sujet fort, il faut que sa forme ait un sens. On doit sentir que le film tient à cœur au réalisateur, qu’il vient de son désir ce qui n’est pas forcément le cas avec une commande. Bien sûr, il n’y a pas de recette… J’aime qu’un cinéaste traite d’une réalité ordinaire et fasse découvrir ce qu’elle a d’extraordinaire. Un documentaire de qualité doit apprendre au spectateur ce que regarder signifie !
Qu’est-ce qu’on peut attendre d’un documentaire qu’on ne trouve pas dans une fiction ?
S’il y a du documentaire dans la fiction et vice versa, une mauvaise réalisation reste… mauvaise. Prenons par exemple le dernier documentaire du cinéaste congolais, Dieudo Hamadi, qui a pour tire, « En route pour le milliard ». Ce film relate l’histoire d’un groupe d’hommes, de femmes devenues handicapés à la suite d’un affrontement entre militaires ougandais et ruandais qui a eu pour cadre la ville de Kisangani au Congo. Cela fait plus de vingt ans que ces blessés civils doivent être indemnisés. Lassés d’attendre ils ont décidé d’aller à Kinshasa pour avoir leurs indemnisations. Hamadi les a filmés lors de leur parcours à pied, en bateau sur plus de mille kilomètres transformant leur entreprise en véritable épopée. Aujourd’hui où nous avons un vécu très difficile, le documentaire remet les choses à leur place en montrant l’humain et en soulignant l’importance de l’art dans un univers où tout est marchandisé.
Les évolutions les plus notables du documentaire ?
La démocratisation du matériel de réalisation (petite caméra, micro intégré, logiciel de montage) participe à un développement exponentiel du documentaire, en particulier chez les jeunes. Il n’est plus exceptionnel non plus de pouvoir le voir en salles. Enfin les plateformes dédiées proposent une gamme très étendue de choix à leurs abonnés, qui manifestent souvent un désamour pour la TV.
De quelles manières construisez-vous votre section, « Nouveaux Talents » ?
On fait appel à candidature sur une plateforme. On demande des premières, deuxièmes, troisièmes réalisations produites l’année précédant le festival. En 2021 on a reçu 450 films provenant du monde entier. Notre comité de sélection comprend six membres. On discute entre nous. Souvent on est vite d’accord mais on fait également attention aux coups de cœur des uns et des autres même s’il n’y a pas unanimité ! Nous allons aussi dans les festivals tels Cannes, Lussas (Ardèche), Nyon (Suisse), Marseille, Belfort, Cinéma du Réel à Paris. La France, l’Espagne, l’Italie nous envoient beaucoup de films. Suivant les années nous en recevons également des Etats-Unis et de l’Europe de l’Est.
Les sujets de documentaires que vous retenez doivent-ils être diversifiés ?
On ne cherche pas à équilibrer les sujets des films retenus. Notre priorité c’est d’être touchés. On fait confiance au hasard. En général nos choix reflètent les préoccupations de l’heure. Cette année les films sur la famille sont très présents. Ce n’est guère surprenant car c’est là une conséquence des confinements…
Vous n’imposez aucune durée de films. Au programme des courts, des moyens, des longs-métrages. Pourquoi ?
Nos critères de choix sont artistiques. Si un réalisateur estime que son film documentaire doit durer 10, 20, 110 minutes, libre à lui ! Ce qu’on ne veut pas c’est le formatage obligé de cinquante-deux minutes !
Qu’entendez-vous exactement par cinéma documentaire d’auteur ?
Dans un documentaire il n’y a pas d’acteurs mais des personnages qui jouent leur rôle dans la vie. Le cinéma documentaire d’auteur dépasse la simple réalité pour atteindre la vérité humaine. C’est un cinéma qui doit surtout et avant tout nous faire vibrer.
Propos recueillis par M.A-P
