De la Mostra à Arte Mare << L'évènement >> d'Audrey Diwan
Audrey Diwan à Bastia pour présenter " L'évènement ".
De la Mostra à Arte Mare « L’événement » d’Audrey Diwan
Audrey Diwan à Bastia pour présenter « L’Evénement ». Un film choc, lauréat de la Mostra de Venise cette année, le plus ancien des festivals cinématographiques, qui a couronné pour la 2 è fois une réalisatrice en… 78 ans !
À l’heure où au nom d’une certaine morale sont remis en cause les droits des femmes et en particulier celui d’avorter, récompenser l’œuvre d’Audrey Diwan peut être vu comme un réconfort. Une raison d’espérer. Un « halte là » à un révisionnisme mental qui voudrait effacer un acquis datant de près d’un demi-siècle en France et l’envoyer à la trappe au Texas ainsi que dans d’autres états américains ou plus près de nous en Pologne. Adapté très fidèlement du livre éponyme, « L’événement », d’Annie Ernaux, paru en 2000, le film de Diwan se singularise par sa forme et son fond en déroulant l’histoire d’Anne, 23 ans en 1963. Etudiante en lettres. Brillante. Belle. Douée pour la vie.
Le récit de la tragédie d’Anne nous invite à la suivre pas à pas, avec une immense sympathie et un égal chagrin. A l’époque avorter quand on n’a pas d’argent, c’est verser dans la clandestinité des faiseuses d’ange au péril de ses jours. C’est tomber sous le coup de la loi et de la sanction pénale si on est dénoncée. En ces temps-là l’hypocrisie veut que les filles soient élevées dans l’ignorance, la peur du sexe, la honte du pêché… Le parcours d’Anne à qui son petit copain a tourné le dos, est ressenti comme un calvaire douloureux et injuste. Comme une via dolorosa où la jeune femme est réduite à se mettre en danger. À braver la mort.
Le film capte autant le bonheur d’exister d’Anne au début que les épisodes d’une terrible cruauté qu’elle doit subir ensuite, dans la solitude la plus totale. Fille d’ouvriers devenus bistrotiers elle aime ses parents et refuse de les décevoir. Ella fait partie de cette génération pour qui l’université est synonyme de libération. De profession choisie loin de l’usine ou de la dactylographie. Bouleversant l’itinéraire d’Anne. On s’inquiète pour elle. On veut qu’elle s’en sorte indemne. Beaucoup de dignité dans les images de la cinéaste. Aucune scène gratuite même si certaines sont crues et à la limite du soutenable. La vérité a un prix… Il faut savoir l’affronter. On retient son souffle…
Point très fort du film : l’époustouflante, Anamaria Vartolomei qui incarne Anne, bien entourée par les jeunes comédiennes que sont Luàna Bajrami et Louise Orry-Diquéro, sans oublier la merveilleuse mère jouée par Sandrine Bonnaire et le prof, un peu lunaire, interprété par Pio Marmai. La réalisation d’Audrey Diwan, cinéaste franco-libanaise, a aussi un autre incontestable mérite : nous replonger dans l’œuvre littéraire d’Annie Ernaux dont l’œil et la plume scalpent une société oublieuse des petites gens.
La sortie de « L’Evénement » est prévue en novembre. Un film nécessaire à ne pas manquer. De la cinéaste on peut aussi voir ou revoir son premier long-métrage, « Mais vous êtes fous ». Une histoire d’addiction surprenante dans une famille en apparence sans problèm
Audrey Diwan à la Mostra de Venise
Comment avez-vous découvert le livre d’Annie Ernaux, « L’Evénement » ? Quelle a été sa résonance en vous ?
Je lis beaucoup Annie Ernaux qui représente une école de pensée qui m’intéresse parce qu’elle interroge la société. Parce que ce qu’elle écrit m’aide à comprendre le monde. Je suis heureuse qu’elle reçoive de plus en plus d’écho auprès des lecteurs et que certains de ses textes soient au programme des écoles. Quand j’ai avorté j’ai réfléchi à la signification de cet acte avant qu’il soit légalisé. On m’a alors conseillé de lire « L’Evénement », c’est à cette occasion que j’ai pris conscience de ce qu’était le sort d’une jeune femme des années 60 qui voulait avorter et ne pouvait le faire que dans la clandestinité. J’ai saisi quelle était ma chance à moi… Cela m’a poussé à tourner « L’Evénement ». Il m’a paru indispensable que le public ne se contente pas de regarder l’histoire d’Anne mais soit cette jeune femme.
Quelle ligne directrice avez-vous suivi pour votre adaptation ?
Avant de rencontrer Annie Ernaux au sujet de mon projet je voulais être sûre de la direction à prendre. Je lui ai donc soumis plusieurs idées d’adaptation afin qu’elle me donne son avis et que je ne me fourvoie pas. Elle m’a guidé. C’était important pour ne pas tomber dans la lourdeur d’une démonstration.
La transposition à l’écran de « L’Evénement » allait-elle de soi ?
Passer du texte à l’image induisait d’emblée de lier le fond et la forme pour obtenir une cohérence. Une première version me paraissant trop éloignée du livre, j’ai attendu huit mois, puis j’ai repris l’écriture. Entre temps mon projet avait mûri et tout devenait plus évident.
Pourquoi une fidélité exigeante au texte ?
Je ne voyais aucune raison de m’en écarter…
Pensez-vous que les jeunes filles d’aujourd’hui soient si bien informées en matière de sexualité ?
Au plan pédagogique… je ne sais pas. Moi, je crois qu’il y a risque quand la parole n’existe pas ! Avant de lire « L’Evénement » je ne savais pas ce qu’était un avortement clandestin. J’ignorais les dangers encourus… Mais il faut être clair en aucune façon je ne condamne la sexualité car le plaisir de la femme est important… Dans mon film je m’intéresse à une expérience individuelle, je ne parle pas en général.
Vous êtes membre du « Collectif 50 / 50 » qui prône l’égalité des sexes et la diversité dans l’audiovisuel. Pour quelle raison cette implication ?
J’ai rejoint ce collectif assez spontanément en réfléchissant à ma pratique dans le cinéma et à ma façon de constituer une équipe. Dans cette association j’adore le partage de la parole, la manière dont on parle du métier, la galaxie qui m’entoure et m’aide à tenir le cap.
Comment avez-vous choisi vos actrices pour incarner Anne et ses amies, Hélène et Louise ?
J’ai d’abord choisi Anamaria Vartolomei, qui interprète Anne, pour son côté mystérieux, pour son approche minimaliste du jeu, pour son intelligence. Puis j’ai retenu Luàna Bajrami (Hélène). Ce sont ces deux comédiennes qui m’ont indiqué que Louise Orry-Diquéro complèterait bien leur trio. Sur un tournage j’écoute tout le monde et je donne le la.
Dans « L’Evénement » il y a des scènes très dures d’avortement. Dans quel esprit les avez-vous abordées ?
Je ne souhaitais pas choquer pour choquer. Ce que je cherchais c’est qu’on ne baisse pas les yeux… Pour moi la scène la plus terrible est celle des aiguilles à tricoter où la souffrance d’Ane ne transparait que sur son visage. Je ne me suis pas engagée dans une reconstitution mais je m’arrête sur une expérience vécue, celle d’Anne. Lors de la projection au festival de Venise j’ai été surprise que des hommes m’aient dit avoir eu mal au ventre en regardant certaines séquences. Nous, les femmes, on grandit dans le sang. Eux, les hommes, ce n’est pas le cas. Je mesure que voir un avortement clandestin puisse heurter puisque ça n’a jamais été montré à l’écran.
Quel accueil le public – jeune surtout – a-t-il réservé à votre film ?
Après une projection dans une école de cinéma un jeune homme m’a dit qu’en tant que chrétien il était contre l’avortement, mais que ce qu’il avait vu le faisait réfléchir. Sa remarque donne du sens à mon travail.
« Je mesure que voir un avortement clandestin puisse heurter puisque ça n’a jamais été montré à l’écran ».
Audrey Diwan, « Lion d’or » à Venise.
Des difficultés pour boucler le financement de « l’Evénement » ?
Le sujet est difficile et l’on n’a pas manqué de me demander : « Qui va aller voir un tel film ? ». D’autres, carrément antiavortement ne désiraient absolument pas que le tournage se fasse. Boucler le financement a pris un an. Si l’histoire relate une expérience physique, elle traite tout autant de liberté… Heureusement que des stars comme Sandrine Bonnaire et Pio Marmaï ont acceptées de jouer des rôles secondaires et qu’en France il y ait des aides publiques !
Écrivaine, scénariste, journaliste, éditrice, réalisatrice vous débordez d’activité. Quelles sont celles qui vous tiennent le plus à cœur ?
Désormais je fais le choix du cinéma : j’aime la réalisation et l’écriture de scénario. Mais détestant l’idée de ne pas être libre je me réserve la possibilité de changer.
Avez-vous des projets cinématographiques précis ?
Avant même le Lion d’or à Venise j’avais entrepris d’écrire mon prochain film. Parallèlement avec Valérie Donzelli, actrice, scénariste, réalisatrice, on coécrit un scénario à partir d’un livre d’Eric Reinhardt.
• Propos recueillis par M.A-P
Audrey Diwan à Bastia pour présenter « L’Evénement ». Un film choc, lauréat de la Mostra de Venise cette année, le plus ancien des festivals cinématographiques, qui a couronné pour la 2 è fois une réalisatrice en… 78 ans !
À l’heure où au nom d’une certaine morale sont remis en cause les droits des femmes et en particulier celui d’avorter, récompenser l’œuvre d’Audrey Diwan peut être vu comme un réconfort. Une raison d’espérer. Un « halte là » à un révisionnisme mental qui voudrait effacer un acquis datant de près d’un demi-siècle en France et l’envoyer à la trappe au Texas ainsi que dans d’autres états américains ou plus près de nous en Pologne. Adapté très fidèlement du livre éponyme, « L’événement », d’Annie Ernaux, paru en 2000, le film de Diwan se singularise par sa forme et son fond en déroulant l’histoire d’Anne, 23 ans en 1963. Etudiante en lettres. Brillante. Belle. Douée pour la vie.
Le récit de la tragédie d’Anne nous invite à la suivre pas à pas, avec une immense sympathie et un égal chagrin. A l’époque avorter quand on n’a pas d’argent, c’est verser dans la clandestinité des faiseuses d’ange au péril de ses jours. C’est tomber sous le coup de la loi et de la sanction pénale si on est dénoncée. En ces temps-là l’hypocrisie veut que les filles soient élevées dans l’ignorance, la peur du sexe, la honte du pêché… Le parcours d’Anne à qui son petit copain a tourné le dos, est ressenti comme un calvaire douloureux et injuste. Comme une via dolorosa où la jeune femme est réduite à se mettre en danger. À braver la mort.
Le film capte autant le bonheur d’exister d’Anne au début que les épisodes d’une terrible cruauté qu’elle doit subir ensuite, dans la solitude la plus totale. Fille d’ouvriers devenus bistrotiers elle aime ses parents et refuse de les décevoir. Ella fait partie de cette génération pour qui l’université est synonyme de libération. De profession choisie loin de l’usine ou de la dactylographie. Bouleversant l’itinéraire d’Anne. On s’inquiète pour elle. On veut qu’elle s’en sorte indemne. Beaucoup de dignité dans les images de la cinéaste. Aucune scène gratuite même si certaines sont crues et à la limite du soutenable. La vérité a un prix… Il faut savoir l’affronter. On retient son souffle…
Point très fort du film : l’époustouflante, Anamaria Vartolomei qui incarne Anne, bien entourée par les jeunes comédiennes que sont Luàna Bajrami et Louise Orry-Diquéro, sans oublier la merveilleuse mère jouée par Sandrine Bonnaire et le prof, un peu lunaire, interprété par Pio Marmai. La réalisation d’Audrey Diwan, cinéaste franco-libanaise, a aussi un autre incontestable mérite : nous replonger dans l’œuvre littéraire d’Annie Ernaux dont l’œil et la plume scalpent une société oublieuse des petites gens.
La sortie de « L’Evénement » est prévue en novembre. Un film nécessaire à ne pas manquer. De la cinéaste on peut aussi voir ou revoir son premier long-métrage, « Mais vous êtes fous ». Une histoire d’addiction surprenante dans une famille en apparence sans problèm
Audrey Diwan à la Mostra de Venise
Comment avez-vous découvert le livre d’Annie Ernaux, « L’Evénement » ? Quelle a été sa résonance en vous ?
Je lis beaucoup Annie Ernaux qui représente une école de pensée qui m’intéresse parce qu’elle interroge la société. Parce que ce qu’elle écrit m’aide à comprendre le monde. Je suis heureuse qu’elle reçoive de plus en plus d’écho auprès des lecteurs et que certains de ses textes soient au programme des écoles. Quand j’ai avorté j’ai réfléchi à la signification de cet acte avant qu’il soit légalisé. On m’a alors conseillé de lire « L’Evénement », c’est à cette occasion que j’ai pris conscience de ce qu’était le sort d’une jeune femme des années 60 qui voulait avorter et ne pouvait le faire que dans la clandestinité. J’ai saisi quelle était ma chance à moi… Cela m’a poussé à tourner « L’Evénement ». Il m’a paru indispensable que le public ne se contente pas de regarder l’histoire d’Anne mais soit cette jeune femme.
Quelle ligne directrice avez-vous suivi pour votre adaptation ?
Avant de rencontrer Annie Ernaux au sujet de mon projet je voulais être sûre de la direction à prendre. Je lui ai donc soumis plusieurs idées d’adaptation afin qu’elle me donne son avis et que je ne me fourvoie pas. Elle m’a guidé. C’était important pour ne pas tomber dans la lourdeur d’une démonstration.
La transposition à l’écran de « L’Evénement » allait-elle de soi ?
Passer du texte à l’image induisait d’emblée de lier le fond et la forme pour obtenir une cohérence. Une première version me paraissant trop éloignée du livre, j’ai attendu huit mois, puis j’ai repris l’écriture. Entre temps mon projet avait mûri et tout devenait plus évident.
Pourquoi une fidélité exigeante au texte ?
Je ne voyais aucune raison de m’en écarter…
Pensez-vous que les jeunes filles d’aujourd’hui soient si bien informées en matière de sexualité ?
Au plan pédagogique… je ne sais pas. Moi, je crois qu’il y a risque quand la parole n’existe pas ! Avant de lire « L’Evénement » je ne savais pas ce qu’était un avortement clandestin. J’ignorais les dangers encourus… Mais il faut être clair en aucune façon je ne condamne la sexualité car le plaisir de la femme est important… Dans mon film je m’intéresse à une expérience individuelle, je ne parle pas en général.
Vous êtes membre du « Collectif 50 / 50 » qui prône l’égalité des sexes et la diversité dans l’audiovisuel. Pour quelle raison cette implication ?
J’ai rejoint ce collectif assez spontanément en réfléchissant à ma pratique dans le cinéma et à ma façon de constituer une équipe. Dans cette association j’adore le partage de la parole, la manière dont on parle du métier, la galaxie qui m’entoure et m’aide à tenir le cap.
Comment avez-vous choisi vos actrices pour incarner Anne et ses amies, Hélène et Louise ?
J’ai d’abord choisi Anamaria Vartolomei, qui interprète Anne, pour son côté mystérieux, pour son approche minimaliste du jeu, pour son intelligence. Puis j’ai retenu Luàna Bajrami (Hélène). Ce sont ces deux comédiennes qui m’ont indiqué que Louise Orry-Diquéro complèterait bien leur trio. Sur un tournage j’écoute tout le monde et je donne le la.
Dans « L’Evénement » il y a des scènes très dures d’avortement. Dans quel esprit les avez-vous abordées ?
Je ne souhaitais pas choquer pour choquer. Ce que je cherchais c’est qu’on ne baisse pas les yeux… Pour moi la scène la plus terrible est celle des aiguilles à tricoter où la souffrance d’Ane ne transparait que sur son visage. Je ne me suis pas engagée dans une reconstitution mais je m’arrête sur une expérience vécue, celle d’Anne. Lors de la projection au festival de Venise j’ai été surprise que des hommes m’aient dit avoir eu mal au ventre en regardant certaines séquences. Nous, les femmes, on grandit dans le sang. Eux, les hommes, ce n’est pas le cas. Je mesure que voir un avortement clandestin puisse heurter puisque ça n’a jamais été montré à l’écran.
Quel accueil le public – jeune surtout – a-t-il réservé à votre film ?
Après une projection dans une école de cinéma un jeune homme m’a dit qu’en tant que chrétien il était contre l’avortement, mais que ce qu’il avait vu le faisait réfléchir. Sa remarque donne du sens à mon travail.
« Je mesure que voir un avortement clandestin puisse heurter puisque ça n’a jamais été montré à l’écran ».
Audrey Diwan, « Lion d’or » à Venise.
Des difficultés pour boucler le financement de « l’Evénement » ?
Le sujet est difficile et l’on n’a pas manqué de me demander : « Qui va aller voir un tel film ? ». D’autres, carrément antiavortement ne désiraient absolument pas que le tournage se fasse. Boucler le financement a pris un an. Si l’histoire relate une expérience physique, elle traite tout autant de liberté… Heureusement que des stars comme Sandrine Bonnaire et Pio Marmaï ont acceptées de jouer des rôles secondaires et qu’en France il y ait des aides publiques !
Écrivaine, scénariste, journaliste, éditrice, réalisatrice vous débordez d’activité. Quelles sont celles qui vous tiennent le plus à cœur ?
Désormais je fais le choix du cinéma : j’aime la réalisation et l’écriture de scénario. Mais détestant l’idée de ne pas être libre je me réserve la possibilité de changer.
Avez-vous des projets cinématographiques précis ?
Avant même le Lion d’or à Venise j’avais entrepris d’écrire mon prochain film. Parallèlement avec Valérie Donzelli, actrice, scénariste, réalisatrice, on coécrit un scénario à partir d’un livre d’Eric Reinhardt.
• Propos recueillis par M.A-P