Notre Histoire en deuil
Ces dernières semaines, la mort a fauché Nicolas Alfonsi, Lucien Felli, Paul Natali et Jean-Paul Roesch. Ces quatre décès nous ont privés d’autant de grandes figures de l’Histoire corse contemporaine.
Nicolas Alfonsi : le Guépard de Piana.
Il aurait pu être un Tancrède et faire siens les mots de ce dernier : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout. » Il a préféré être un Don Fabrizio Salina qui, durant les dernières années de son existence, a assisté avec détachement au déclin du système politique qu’il avait longtemps défendu et des idées qu’il avait toujours portées. L'ancien conseiller général et maire de Piana, député européen, député et sénateur, premier vice-président du Conseil général de la Corse-du-Sud, premier vice-président de l'Assemblée de Corse, conseiller de Corse, après avoir été ouvert à la décentralisation, a en effet préféré revenir à une conception traditionnelle de la gestion politique de la Corse. Il a fait le choix définitif de rester partisan d’une reconnaissance totale de la souveraineté de la République, d’un partage du pouvoir local entre un clanisme de gauche et un clanisme de droite et d’une répartition des tâches faisant que l’Etat en se concentrant sur un exercice des pouvoirs régaliens abandonnait aux élus insulaires l’administration locale. Durant les années 1970 et au début des années 1980, Nicolas Alfonsi a donc été Tancrède. Il a soutenu Edmond Simeoni et certaines revendications du leader autonomiste, et donné son aval à une première amnistie, à la suppression de la Cour de Sureté de l’Etat et à la mise en place du Statut Particulier élaboré par Gaston Deferre. Mais, après 1982, il s’est fait Guépard. Il a rejeté l’idée de toute nouvelle évolution institutionnelle et, avec Emile Zuccarelli, il est devenu un opposant emblématique à toutes les expressions du corsisme et du nationalisme.
Lucien Felli : l’avocat de la Corse
Lucien Felli était un fou de la Corse. Il en a été l’avocat dans les prétoires, dans le débat politique et sur le terrain du football. Dès la fin des années 1960, il s’est engagé dans les combats régionalistes puis autonomistes. Il est alors très vite devenu un proche d'Edmond Simeoni et a été un de ses défenseurs devant la Cour de Sureté de l’Etat. Il a ensuite été l’avocat et la parole reconnue de nombreux militants dans de grandes affaires : Bastelica Fesch, défense du responsable nationaliste Marcel Lorenzoni et de sa compagne qui avaient été arbitrairement mis en cause et incarcérés après l’assassinat du préfet Claude Erignac, procès de militants du FLNC. En 1982, Lucien Felli a été un des élus de la liste Edmond Simeoni lors de la mise en place du Statut particulier et de l’Assemblée de Corse. Mais, un an plus tard, il a rompu avec les autonomistes et affiché un soutien de plus en plus prononcé à la stratégie de lutte de libération nationale que portait le FLNC. Il a aussi participé à des démarches qui avaient pour point commun la défense des intérêts de la Corse et des Corses : organisation non gouvernementale mettant en avant les droits nationaux du peuple corse, collectifs de défense de la langue et la culture corse, action contre le racisme anti-corse. Homme de conviction et militant, Lucien Felli a cependant toujours rejeté la haine et la polémique. Il a gardé au fil des ans un esprit d’ouverture et de dialogue. Enfin, il serait injuste d’omettre que Lucien Felli a aussi porté son idée de la Corse dans le monde du football, en particulier en étant une des fers de lance de la création d’A squadra corsa, sélection regroupant annuellement les meilleurs joueurs du football corse.
Paul Natali : le Tapie Corse
Durant plus de quarante ans, Paul Natali a été un leader. Il a été le dirigeant sous la présidence duquel le Sporting Club de Bastia a réalisé le parcours qui l’a conduit en finale de la Coupe de l’UEFA. Il est devenu un des principaux acteurs économiques de Corse d’abord dans le secteur du BTP puis en élargissant ses activités, avec sa famille, dans d’autre secteurs de l’économie. Cette réussite économique lui a d’ailleurs valu d’être porté à la présidence de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Haute-Corse. Paul Natali a aussi été une personnalité politique de premier plan. Handicapé par une envergure économique qui, en 1989, a permis à ses adversaires politiques et à certains de ses « amis » de lui barrer le chemin de la mairie de Bastia en agitant l’épouvantail de l’affairisme, il s’est très vite relancé Au début des années 1990, il a été élu conseiller général du canton de Borgo et président du Conseil général de Haute-Corse. Ces succès, il les a en grande partie construit en étant en mars 1992 l’initiateur des accords de Castirla qui ont représenté la seule véritable unification contemporaine de la droite corse et permis à cette famille politique de mettre fin au règne du radical de gauche François Giacobbi à la tête du Département de Haute-Corse et de s’emparer de la présidence du premier Conseil exécutif de Corse. L’irrésistible ascension de l’ancien conducteur de chantier a été entravée puis stoppée par une enquête pour fraude fiscale. Puis ont suivi des procédures judiciaires pour abus de biens sociaux, favoritisme, prise illégale d'intérêts... En 1998, à l'occasion des élections territoriales, Paul Natali n’a pu mettre en échec son rival à droite Jean Baggioni. Ce dernier est resté à la tête de la Collectivité Territoriale. Cette année-là, Paul Natali a aussi perdu la présidence du Conseil général de Haute-Corse mais a rebondi en étant élu sénateur. En 2005, l’aboutissement d’actions judiciaires s’est soldée par des condamnations et une inéligibilité. La parcours de Paul Natali, dirigeant sportif, acteur économique et élu n’étant pas issu d’un sérail qui ne l’aimait guère, et aussi esprit ouvert ayant su garder des relations viriles mais plus que correctes avec la plupart des mouvances nationaliste, a beaucoup ressemblé à celui d’un certain Bernard Tapie.
Jean-Paul Roesch : l’homme qui a tout dit
Jean-Paul Roesch qui est décédé ces jours derniers n’a jamais tenté de capitaliser son engagement d’ancien responsable parisien du FLNC en se lançant dans la course au mandat électif. Il n’a pas non plus, durant les querelles intestines de la mouvance nationaliste, adopté la posture d’un commandeur ou usé des mots de la polémique. Il est resté fidèle à l’engagement et aux mots qui avaient été les siens un certain 15 juin 1979 devant la Cour de Sureté de l’Etat avant d’être condamné à treize année de prison, et qui ont provoqué l’engagement de centaines de jeunes corses : « Messieurs les juges de l’Etat français, Si nous consentons à comparaître aujourd’hui devant vous, ne cherchez dans cet assentiment aucune velléité de mendier votre clémence, aucune intention visant à atténuer la portée de nos actes, qui comme vous le verrez, traduisent dans le concret les aspirations légitimes du Peuple Corse dans sa volonté manifeste de se reconstituer nation souveraine. Forts de notre légitimité, il nous apparaît inconcevable que vous puissiez envisager un seul instant que l’acceptation devant vous apporte un quelconque crédit à une légalité qui nous est totalement étrangère et que nous ne reconnaissons pas (…) Il est indéniable que votre justice n’est pas la nôtre ; flagrant qu’elle n’est pas celle de notre peuple. Elle est pour nous la loi pernicieuse du Conquérant qui porte avec elle les gibets où vous avez pendu nos ancêtres . Vous prétendez juger au nom du Peuple français, selon vos immortels principes de 1789, de soi-disant citoyens français de Corse, pour atteinte à l’intégrité du territoire. Nous vous dénions ce droit : au nom du Peuple corse, au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, au nom de notre légitimité historique L’histoire, Messieurs les Juges français, nous jugera. Mais prenez garde ! Elle jugera aussi tous ceux qui sont aux ordres du colonialisme. »
Il aurait pu être un Tancrède et faire siens les mots de ce dernier : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout. » Il a préféré être un Don Fabrizio Salina qui, durant les dernières années de son existence, a assisté avec détachement au déclin du système politique qu’il avait longtemps défendu et des idées qu’il avait toujours portées. L'ancien conseiller général et maire de Piana, député européen, député et sénateur, premier vice-président du Conseil général de la Corse-du-Sud, premier vice-président de l'Assemblée de Corse, conseiller de Corse, après avoir été ouvert à la décentralisation, a en effet préféré revenir à une conception traditionnelle de la gestion politique de la Corse. Il a fait le choix définitif de rester partisan d’une reconnaissance totale de la souveraineté de la République, d’un partage du pouvoir local entre un clanisme de gauche et un clanisme de droite et d’une répartition des tâches faisant que l’Etat en se concentrant sur un exercice des pouvoirs régaliens abandonnait aux élus insulaires l’administration locale. Durant les années 1970 et au début des années 1980, Nicolas Alfonsi a donc été Tancrède. Il a soutenu Edmond Simeoni et certaines revendications du leader autonomiste, et donné son aval à une première amnistie, à la suppression de la Cour de Sureté de l’Etat et à la mise en place du Statut Particulier élaboré par Gaston Deferre. Mais, après 1982, il s’est fait Guépard. Il a rejeté l’idée de toute nouvelle évolution institutionnelle et, avec Emile Zuccarelli, il est devenu un opposant emblématique à toutes les expressions du corsisme et du nationalisme.
Lucien Felli : l’avocat de la Corse
Lucien Felli était un fou de la Corse. Il en a été l’avocat dans les prétoires, dans le débat politique et sur le terrain du football. Dès la fin des années 1960, il s’est engagé dans les combats régionalistes puis autonomistes. Il est alors très vite devenu un proche d'Edmond Simeoni et a été un de ses défenseurs devant la Cour de Sureté de l’Etat. Il a ensuite été l’avocat et la parole reconnue de nombreux militants dans de grandes affaires : Bastelica Fesch, défense du responsable nationaliste Marcel Lorenzoni et de sa compagne qui avaient été arbitrairement mis en cause et incarcérés après l’assassinat du préfet Claude Erignac, procès de militants du FLNC. En 1982, Lucien Felli a été un des élus de la liste Edmond Simeoni lors de la mise en place du Statut particulier et de l’Assemblée de Corse. Mais, un an plus tard, il a rompu avec les autonomistes et affiché un soutien de plus en plus prononcé à la stratégie de lutte de libération nationale que portait le FLNC. Il a aussi participé à des démarches qui avaient pour point commun la défense des intérêts de la Corse et des Corses : organisation non gouvernementale mettant en avant les droits nationaux du peuple corse, collectifs de défense de la langue et la culture corse, action contre le racisme anti-corse. Homme de conviction et militant, Lucien Felli a cependant toujours rejeté la haine et la polémique. Il a gardé au fil des ans un esprit d’ouverture et de dialogue. Enfin, il serait injuste d’omettre que Lucien Felli a aussi porté son idée de la Corse dans le monde du football, en particulier en étant une des fers de lance de la création d’A squadra corsa, sélection regroupant annuellement les meilleurs joueurs du football corse.
Paul Natali : le Tapie Corse
Durant plus de quarante ans, Paul Natali a été un leader. Il a été le dirigeant sous la présidence duquel le Sporting Club de Bastia a réalisé le parcours qui l’a conduit en finale de la Coupe de l’UEFA. Il est devenu un des principaux acteurs économiques de Corse d’abord dans le secteur du BTP puis en élargissant ses activités, avec sa famille, dans d’autre secteurs de l’économie. Cette réussite économique lui a d’ailleurs valu d’être porté à la présidence de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Haute-Corse. Paul Natali a aussi été une personnalité politique de premier plan. Handicapé par une envergure économique qui, en 1989, a permis à ses adversaires politiques et à certains de ses « amis » de lui barrer le chemin de la mairie de Bastia en agitant l’épouvantail de l’affairisme, il s’est très vite relancé Au début des années 1990, il a été élu conseiller général du canton de Borgo et président du Conseil général de Haute-Corse. Ces succès, il les a en grande partie construit en étant en mars 1992 l’initiateur des accords de Castirla qui ont représenté la seule véritable unification contemporaine de la droite corse et permis à cette famille politique de mettre fin au règne du radical de gauche François Giacobbi à la tête du Département de Haute-Corse et de s’emparer de la présidence du premier Conseil exécutif de Corse. L’irrésistible ascension de l’ancien conducteur de chantier a été entravée puis stoppée par une enquête pour fraude fiscale. Puis ont suivi des procédures judiciaires pour abus de biens sociaux, favoritisme, prise illégale d'intérêts... En 1998, à l'occasion des élections territoriales, Paul Natali n’a pu mettre en échec son rival à droite Jean Baggioni. Ce dernier est resté à la tête de la Collectivité Territoriale. Cette année-là, Paul Natali a aussi perdu la présidence du Conseil général de Haute-Corse mais a rebondi en étant élu sénateur. En 2005, l’aboutissement d’actions judiciaires s’est soldée par des condamnations et une inéligibilité. La parcours de Paul Natali, dirigeant sportif, acteur économique et élu n’étant pas issu d’un sérail qui ne l’aimait guère, et aussi esprit ouvert ayant su garder des relations viriles mais plus que correctes avec la plupart des mouvances nationaliste, a beaucoup ressemblé à celui d’un certain Bernard Tapie.
Jean-Paul Roesch : l’homme qui a tout dit
Jean-Paul Roesch qui est décédé ces jours derniers n’a jamais tenté de capitaliser son engagement d’ancien responsable parisien du FLNC en se lançant dans la course au mandat électif. Il n’a pas non plus, durant les querelles intestines de la mouvance nationaliste, adopté la posture d’un commandeur ou usé des mots de la polémique. Il est resté fidèle à l’engagement et aux mots qui avaient été les siens un certain 15 juin 1979 devant la Cour de Sureté de l’Etat avant d’être condamné à treize année de prison, et qui ont provoqué l’engagement de centaines de jeunes corses : « Messieurs les juges de l’Etat français, Si nous consentons à comparaître aujourd’hui devant vous, ne cherchez dans cet assentiment aucune velléité de mendier votre clémence, aucune intention visant à atténuer la portée de nos actes, qui comme vous le verrez, traduisent dans le concret les aspirations légitimes du Peuple Corse dans sa volonté manifeste de se reconstituer nation souveraine. Forts de notre légitimité, il nous apparaît inconcevable que vous puissiez envisager un seul instant que l’acceptation devant vous apporte un quelconque crédit à une légalité qui nous est totalement étrangère et que nous ne reconnaissons pas (…) Il est indéniable que votre justice n’est pas la nôtre ; flagrant qu’elle n’est pas celle de notre peuple. Elle est pour nous la loi pernicieuse du Conquérant qui porte avec elle les gibets où vous avez pendu nos ancêtres . Vous prétendez juger au nom du Peuple français, selon vos immortels principes de 1789, de soi-disant citoyens français de Corse, pour atteinte à l’intégrité du territoire. Nous vous dénions ce droit : au nom du Peuple corse, au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, au nom de notre légitimité historique L’histoire, Messieurs les Juges français, nous jugera. Mais prenez garde ! Elle jugera aussi tous ceux qui sont aux ordres du colonialisme. »