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Crise aux Antilles : Les raisons de la colère

Depuis la mi-novembre, la Guadeloupe et la Martinique sont secouées par des émeutes.
Crise aux Antilles : les raisons de la colère

Depuis la mi-novembre, la Guadeloupe et la Martinique sont secouées par des émeutes. Derrière la protestation déclenchée par la vaccination obligatoire pour les soignants et la suspension de ceux qui la refusent, c’est une crise beaucoup plus profonde qui secoue les Antilles, engendrée par une situation socio-économique et politique spécifique à ces territoires d’Outre- Mer. Quinze jours après le début des troubles, le gouvernement semble reconnaître ce fait, et propose même, contre toute attente, de discuter d’une autonomie future.

Au vu de la tournure des évènements, difficile effectivement de limiter les émeutes en Guadeloupe et l’extension des troubles à la Martinique à une protestation factuelle. Des tirs à balles réelles ont visé les véhicules de gendarmes, des pillages de banques, de magasins d’alimentation et de pharmacies se sont multipliés, des affrontements avec les forces de l’ordre ont fait des blessés, les écoles ont été fermées, le couvre-feu a été déclaré…

De quoi la crise est-elle le nom ?


Si les émeutes ont été effectivement déclenchées par des revendications liées à la crise sanitaire, elles recouvrent des problèmes bien plus profonds. Les Mouvements à la tête des mobilisations, ainsi que les élus, mettent en avant les différentes raisons de la colère : les inégalités sociales renforcées par la crise sanitaire, le coût de la vie plus chère de 12% par rapport à la métropole, la baisse du pouvoir d'achat, le boom du chômage des jeunes, le manque d’accès à l’eau potable dans certains zones et l’absence d’infrastructures ou leur vétusté, les suites du scandale du chlordécone, un pesticide qui a contaminé les terres et les habitants… Quant à la pandémie elle-même, au moment où elle enregistrait en juin dernier l’un de ses plus hauts pics, le quota était de seulement deux infirmiers pour 100 patients ! Au lieu de prendre des mesures d’envergure pour pallier aux graves problèmes structurels et anticiper sur la crise qui ne pouvait qu’en découler, ce sont… les sanctions de personnels, dans un contexte déjà tendu, puis la surenchère sécuritaire qui ont initialement été mises à l’ordre du jour, mettant un peu plus le feu aux poudres.

Le couvre-feu et des blessés


Suite à une Grève générale, lancée le 15 novembre et accompagnée de multiples incidents, le Ministre de l’Intérieur n’a répliqué dans un premier temps que par des sanctions contre les manifestants et l’envoi de renforts policiers venus de la Métropole, dont une cinquantaine de membres du GIGN et du Raid. Les affrontements qui ont opposé pompiers grévistes et gendarmes ont fait des blessés, entraînant plusieurs dizaines de mises en garde à vue. En première ligne, les pompiers seraient en grande majorité non-vaccinés : entre 70 et 75 %, selon Jocelyn Zou, responsable syndical Force ouvrière. Ils sont touchés de plein fouet par les sanctions de suspension décidées par l’Etat, qui devaient prendre effet le 15 novembre, jour de l’appel à la grève générale. Le 19 novembre, le préfet de Guadeloupe a décrété un couvre-feu entre 18 h et 5 h du matin, jusqu’au 23 novembre, prolongé ensuite jusqu’au 28.

La peur d’un embrasement


Alors que l’appel à la grève générale s’est étendu le 22 novembre à la Martinique et que le conflit menace de s’installer dans la durée, dans les deux îles, l’Etat a très sensiblement modifié sa stratégie pour ouvrir la voie au dialogue. Il redoute visiblement un enlisement qui serait très préjudiciable à Emmanuel Macron et sa majorité, à quelques mois de l’élection présidentielle. Le gouvernement a sans doute peur également de l’interprétation par certains de la situation comme une « sécession » ultramarine, et de l’affaiblissement qui en résulterait pour l’image de la France... La hantise de la résurgence d’une contestation politique violente, qui s’était manifestée à plusieurs reprises par le passé, croisant l’émergence d’un nouveau discours politique dit décolonial, fait craindre un embrasement qui pourrait devenir incontrôlable et avoir des suites dans l’Hexagone. Cette perspective, à un moment particulièrement sensible de la vie politique française – l’approche de la Présidentielle – semble avoir incité le gouvernement à changer son fusil d’épaule quant à la gestion de la crise.

Le jour-même où la grève générale a touché la Martinique, le premier ministre Jean Castex organisait une réunion à Matignon avec les élus de Guadeloupe, qui ont souligné à leur sortie la dimension insurrectionnelle prise par les évènements. Ils ont aussi enjoint l’Etat à résorber les inégalités entre leur territoire et l’Hexagone, terreau de la crise actuelle. Jean Castex a annoncé quant à lui, dans un premier temps, la création d’une instance de consultation pour accompagner vers la vaccination les professionnels de santé… A la même date, Emmanuel Macron, sortant pour la première fois de son silence sur le sujet, a lancé un appel au calme et assuré la Guadeloupe de la solidarité de la Nation face à ce qu’il reconnaît être « une situation très explosive ». Le Président de la République a par ailleurs demandé de « ne rien céder au mensonge et à la manipulation » ...

Les Métropolitains et les oubliés de l’Outre-Mer…


Sur place, les revendications sociales sont très explicites. Une hausse des salaires et des minimas sociaux est réclamée. En Guadeloupe, 34,5 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. La misère et les larges inégalités sociales sont renforcées par la crise sanitaire. Si les salariés du secteur public, regroupant des Métropolitains et une partie des classes favorisées locales, ont continué à toucher leur salaire largement supérieur à celui de l’Hexagone, et qu’une partie de ceux du secteur privé, plus touchés par la crise, ont eu accès au dispositif national (chômage partiel, notamment), ce n’est pas le cas de nombreux actifs non déclarés, en majorité autochtones, et faisant partie des milieux les plus défavorisés. Oubliés des statistiques et des études de l’INSEE, ils constituent une économie invisible mais bien réelle.

Derrière la dénonciation d’injustices sociales pointent ainsi des protestations d’ordre identitaire, notamment contre les arrivants de la Métropole, aux salaires beaucoup plus importants que ceux de la majorité des autochtones. La paupérisation, amplifiée par le Covid, exacerbe les tensions socio-ethniques, dans des territoires très marqués par l’histoire de l’esclavage et le racisme.

Un chômage vertigineux

Dans un marché du travail étroit, parallèlement à l’arrivée de fonctionnaires métropolitains attirés par une importante majoration de leur salaire brut (+ 40% en Guadeloupe et Martinique), le chômage des autochtones a connu une forte hausse, car la Guadeloupe, comme le reste des Antilles, est victime de très importants retards dans les niveaux de formations, selon le rapport parlementaire du 23 novembre 2021. Selon une étude de l’INSEE réalisée en 2019, en Guadeloupe, seulement 23 % des 15-29 ans ont un emploi, mais le taux de chômage pour cette tranche d’âge n’est lui que de 16%. Les 61% restants sont quant à eux simplement identifiés comme « inactifs ». Dans les colonnes du Figaro, le 23 novembre, Olivier Sudrie, maître de conférences à l'Université Paris-Saclay et spécialiste des Outre-mer, soulignait que « de nombreux jeunes sont inemployables, souvent éjectés dès 16 ans du système éducatif. Aujourd'hui, ils n'ont pas de formation professionnelle. Il y a un déterminisme social écrasant. » Il évoque la hausse du coût de la vie en Outre-Mer et du taux de fret qui a bondi de façon spectaculaire, atteignant 200 % dans certains lieux !

En outre, dans certaines zones, surtout habitées par la population autochtone, pas par les Métropolitains, l’accès à l'eau potable lui-même est très difficile. Un rapport parlementaire avait mis en exergue en juin cette crise de l’eau, particulièrement préoccupante.

Un pesticide maintenu sur le Marché malgré sa nocivité connue


Le contexte local par rapport à la vaccination est très marqué en fait aussi par le scandale du chlordécone, un pesticide mis sur le marché dans les Années 70. Si les États-Unis en ont interdit la vente sur leur territoire en 1977, à cause d'intoxications avérées, l'État français ne l’a pas retiré, le laissant être largement utilisé, notamment dans les plantations de bananes. Il a suscité de graves problèmes sanitaires et environnementaux et une défiance accrue envers le Gouvernement. Si une procédure judiciaire est enfin en cours, elle a été très tardive et de nombreux Guadeloupéens et Martiniquais assimilent ce scandale au vaccin, persuadés que ce dernier peut aussi conduire à un empoisonnement. L’une des revendications actuelles des syndicats est d’ailleurs la prise en charge totale des tests de chlordéconémie, maladie liée à ce pesticide.

Le détonateur


L'UGTG, Union générale des travailleurs guadeloupéens, a appelé à poursuivre la contestation, cette mobilisation traduisant « la profondeur des souffrances, des inégalités, de la pauvreté et de l'exclusion subies par la population ». Un constat non réfuté pas le Président de la région Guadeloupe Ary Chalus, macroniste en rupture de ban : « Nous avons plus de 40 ans de retard par rapport à l’Hexagone au plan du développement économique ». Selon Olivier Sudrie, « Cette crise sporadique pourrait être le détonateur d'une crise sociale beaucoup plus profonde ». Dans un territoire où l'économie informelle est très importante, les acteurs de ce secteur « n'ont pas été sous le robinet des aides sociales : mécaniquement, les inégalités ont augmenté. »

Vers l’Autonomie de la Guadeloupe et de la Martinique ?


Alors que différents travaux interministériels ont été mis à l’ordre du jour, ainsi que des réunions de diverses instances politiques locales, les élus avaient demandé, lors de la réunion organisée au Ministère, l'ouverture d'un débat sur une évolution du statut de la Guadeloupe. Le 26 novembre, Sébastien Lecornu a assuré, dans une déclaration inattendue, que le gouvernement serait « prêt à parler », et que lui-même n’avait « aucun tabou », quant à la question d’une future autonomie. Le Ministre des Outre-Mer a également annoncé le financement de 1 000 emplois aidés pour les jeunes, avec un accompagnement spécifique et une formation, dans le secteur non marchand, pour soutenir les collectivités ou les associations sociales, sportives, environnementales du territoire. Selon Roselyne Bachelot, Ministre de la Culture, interrogée sur Europe 1 au sujet d’une éventuelle baisse des dotations de l’Etat en cas d’évolution institutionnelle en Guadeloupe, « il peut y avoir des démarches d’autonomie. On l’a vu dans certains secteurs, on l’a vu par exemple dans la Collectivité de Corse, mais l’Etat est toujours présent et l’Etat n’abandonnera pas ces territoires, évidemment ».

L’obligation vaccinale pour les soignants et les pompiers, point de départ des émeutes, a été reportée au 31 décembre. La suspension de la rémunération pour les soignants et pompiers qui accepteraient les échanges individuels décidés par l’Etat, sera levée durant toute la durée de cette procédure.

Une lecture politique des émeutes


Quinze jours après le début des émeutes dans ces « derniers confettis » de l'empire colonial français, si voués à l’oubli par leur éloignement de la Métropole, en dehors de périodes de troubles, la « crise des Antilles » est enfin l’objet d’une lecture politique. Emmanuel Macron avait reconnu lui-même le 22 novembre que la situation est « liée à un contexte local, à des tensions qu'on connaît, qui sont historiques ». Il aura cependant fallu attendre plus de deux semaines pour qu’un membre du gouvernement ne se rende sur place. Serait-ce pensable, si une situation analogue survenait dans un territoire métropolitain de la République ? Le 27 novembre, Deux députés corses – Jean-Félix Acquaviva et Paul-André Colombani – ont réclamé l'ouverture d'un dialogue autour de l'autonomie de l'île, à l'image de ce qui a été proposé en Guadeloupe.

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