33e Musicales / 2O21
Le Chant des étoiles
33 è MusicalesLe Chant des Etoiles
Musicale 2021. Emerveillement des musiques d’Afrique d’Amadou et Mariam et de la voix en majesté de la mezzo-soprano, Claire Cervera. Eblouissement du jazz de Robin Mckelle et de la jonglerie magique de Vincent de Lavenère. Enchantement avec le trio, Soledonna dans son répertoire de polyphonies et par son cadeau de neuf titres sublimes d’artistes qui ont rejoint les étoiles… Salvador, Escudero, Cesaria Evora, Pierre Vassiliu, Nougaro, Manu Dibango, Léo Ferré, Nilda Fernandez, Georges Moustaki… qui ont illuminé le festival bastiais.ENTRETIEN AVEC PATRIZIA POLI
Les dernières Musicales nous ont procuré la joie de retrouver, Soledonna, avec ses polyphonies et dans une performance inattendue et originale. Soledonna, trois filles, sœurs et amies. Quand votre trio a -t-il été créé ?
Soledonna est la transformation au féminin des NPC (Nouvelles Polyphonies Corses) cofondées avec Patrizia Gattaceca. Le trio est né en 1998 au moment où ma sœur, Lidia, nous a rejoint pour chanter. Notre maison de disques nous avait demandé de trouver un nom facile à retenir et représentatif de la Méditerranée.
Décliner la polyphonie au féminin quelle réaction cela a-t-il suscité ?
Avec Patrizia Gattaceca nous avons toujours chanté la polyphonie et cela depuis les années 1976 – 1977 où nous avons enregistré notre premier disque en commun. La polyphonie nous est venue spontanément, sans calcul. C’était le chant dans lequel on baignait. Avec les NPC on a fait l’événement : des femmes aux manettes, qui écrivaient textes et musiques, qui décidaient des chanteurs à inviter… c’était du neuf ! Lidia, elle, avait eu sa propre trajectoire puisqu’elle avait fait partie des Chjam’Aghjalesi, réputé peu féministe ! Le public, lui, a d’abord été étonné d’écouter et de voir trois femmes dans un répertoire polyphonique. Il a été conquis par notre palette comportant une énergie du bonheur, du sourire, du plaisir de chanter et par notre interprétation nouvelle de la polyphonie alliant tradition et création.
Quelles rencontres importantes avez-vous fait avec Soledonna ?
On a noué une amitié avec Nilda Fernandez et avec Nougaro à qui ont a fait la surprise d’interpréter « Armstrong » en polyphonie. Pour Nilda on a écrit des vers en corse de « No te pongas triste » sur une musique d’Alejandro Barcelona. Nilda a aussi participé à notre album, « Marine ». Quant à notre rencontre avec Lavilliers elle date des NPC.
Votre parcours et celui de Patrizia Gattaceca avant les NPC ?
On a formé le duo, E duie Patrizie, en 1976. Puis la compagnie de chant et de théâtre, Fola Fuletta. Patrizia a ensuite intégré le groupe, Ottobre, et moi j’ai rallié Teatru Paisanu de Dumenico Tognotti. Parallèlement nous avons fait toutes les deux nos chemins en solo. En 1989 on a lancé les NPC et invité sur nos album Petru Guelfucci, Mai Pesce, Jean Pierre Lanfranchi, les frères Andreani pour ne citer que quelques noms.
Quelle est, pour vous, ce qui caractérise la polyphonie corse ? Qu’est-ce qui a fait son succès auprès de tous les publics ?
La polyphonie c’est toute notre histoire. On est ça. On vient de là. Elle est unique. On la chante et on n’a pas besoin de s’expliquer. Elle est puissante et monte du fond de nos tripes. Le public bien au-delà de la Corse l’a compris… Dans la polyphonie chaque participant a ses mélismes, semblables à son empreinte digitale.
Les répercussions de la pandémie sur la polyphonie ?
En nous empêchant de nous retrouver pour chanter ensemble elle a été une véritable souffrance… Dans la polyphonie la présence physique de tous est capitale. Authentique et sans artifice elle exprime combien est précieux l’humain.
Dans votre récital aux Musicales vous êtes passées de la polyphonie à des chansons de grands artistes de la scène française récemment disparus. Ce passage a-t-il été facile ?
C’était un autre exercice. Nous avons gardé les trois voix en interprétant des chansons avec des codes harmoniques différents. On aurait pu chanter a capella mais on a fait appel à Pascal Arroyo, qui au piano et à la guitare nous a beaucoup apporté.
N’avez-vous pas éprouvé de coup de blues à l’évocation de ces artistes ?
On on a ressenti une intense émotion, car ces artistes nous les avions connus, sauf Léo Ferré et Leny Escudero. Pour arrêter le choix des titres à interpréter j’ai réécouté l’intégralité de leurs répertoires. Leur rendre hommage était un vrai bonheur. J’ai eu, par exemple, beaucoup de joie à faire redécouvrir, « Parler aux anges » de Vassiliu, bien moins célèbre que les titres de ses débuts.
De Moustaki vous avez sélectionné « Sans la nommer », qui évoque la Révolution permanente, parce que c’est une chanson en rupture avec le climat parfois glauque de la campagne présidentielle ? « Sans la nommer » ou le bon côté de la France des métèques ?
Cette chanson colle au contexte. Elle est appel à continuer le combat. A ne pas baisser les bras… Pour moi la révolution est toujours d’actualité…
Qu’appréciez-vous le plus chez les artistes dont vous étiez proches ?
Doué d’une belle écoute Nilda Fernandez était fantasque, plein de finesse et d’humour. Chez Manu Dibangu on ne pouvait qu’aimer son côté solaire, spontané, sa manière d’être encourageant. Pierre Vassiliu était bouleversant par son hyper sensibilité. Quant à Nougaro il était la poésie en personne. Il rendait tout poétique.
Vous avez commencé votre récital par six polyphonies. Sur quels critères les avez-vous retenues ?
« Memoria » s’imposait par sa symbolique car c’était une façon de célébrer Petru Guelfucci et Jackie Micaeli qui venaient de nous quitter. « No te pongas triste » nous renvoyait automatiquement à notre ami très cher, Nilda Fernandez. « Indianu » dénonçant le racisme et l’intolérance nous est apparu très opportun à l’heure présente. « Giramondu » était le chant que le public attendait. Ce chant interprété à l’ouverture des JO d’Albertville a fait le tour du monde. Enfin, « Sò pascure » par sa tonalité rythmé et tonique était un rayon de soleil.
Avec Patrizia Gattaceca comment vous partagiez-vous le travail de création ?
J’étais plutôt la compositrice et Patrizia l’auteur des textes. Mais souvent on faisait œuvre collective. De nos rencontres avec des artistes de l’extérieur survenaient aussi des collaborations. Notre objectif était de faire des choix cohérents de chants qui puissent se chanter à trois voix.
La contribution des artistes au riacquistu ?
Nos voix, nos textes, nos musiques ont porté le riacquistu. Ils en ont été le moteur et la base de la réappropriation culturelle corse. Ce riacquistu il faut le poursuivre aujourd’hui.
De quel œil voyez-vous la scène musicale insulaire actuelle ?
Les jeunes aiment chanter. Les belles voix sont là. J’apprécie qu’il y ait sur scène de plus en plus de femmes. Si des groupes innovent en mariant tradition et modernité, d’autres se répètent ou imitent ceux qui les ont précédés. Il faudrait plus de recherches, plus déchanges. Sans perdre un pouce d’identité on devrait ouvrir en grand nos oreilles au monde ! L’avenir réside dans la formation de la jeunesse qui mérite un centre de pointe pour perfectionner ses créations. Cette jeunesse bien formée c’est en elle que réside l’espoir.
Un spectacle récent qui vous a franchement plu ?
Celui de Fanou Torracinta. Sur scène c’est un régal tant il fait plaisir à voir. Excellent musicien il sait bien s’entourer, ses compositions sont modernes, sensibles. Il a un style neuf. J’ai adoré !...
Comment jugez-vous la marotte chez beaucoup de jeunes de chanter en anglais ?
Personnellement j’ai privilégié la création en langue corse, néanmoins je ne me trahis pas en chantant en espagnol. L’important, c’est la sincérité. Alors, si on fait le choix de l’anglais, pourquoi pas ! Mais attention à l’uniformisation.
Artiste engagée qui a attrapé le virus de la création à 15 ans, que souhaitez-vous pour la Corse ?
Politique et culture sont indissociables. Je rêve d’une Corse modèle d’inventivité, de créativité pour la Méditerranée avec des échanges intensifiés. Il faut que les politiques soient toujours plus conscients que la culture est indispensable à l’épanouissement de l’humain.
Propos recueillis par Michèle Acquaviva-Pache