Bianca Fazi, Conseillère Exécutive en charge de la Santé et du social
«Nous avons travaillé de manière à ne pas être débordés mais il est difficile de prévoir l’avenir »
Avec 263 personnes testés positives, 22 décès et 80 personnes hospitalisées (au 26 mars dernier), la Corse subit, depuis un mois, les assauts du Covid 19. Le corps médical, appuyé par la Collectivité de Corse dans les domaines où elle en a la compétence, s’efforce de faire front. Une situation évoquée pour nos lecteurs, Bianca Fazi, Conseillère Exécutive en charge de la santé et du social
-Où en est l’évolution du virus en Corse à ce jour ?
La situation, comme chacun le sait, s’aggrave puisque l’on note l’émergence de certains foyers dans les microrégions, ce que l’on n’avait pas il y a quinze jours. J’ai demandé à l’ARS à ce que les chiffres soient communiqués en fonction des communes. Un cluster débute sur la Balagna, principalement à Isula Rossa mais aussi en Plaine Orientale. Le virus est apparu sur Ajaccio mais les personnes ayant fait des études prospectives savaient à cette époque déjà et en dépit d’une protection maximale, qu’il allait forcément se répandre dans toute l’île. Il y a n’a pas, contrairement à ce que l’on pense, que l’Italie qui a impacté la Corse mais aussi certains de nos résidents, porteurs sains et rentrés de plusieurs villes du Continent. La situation est donc aujourd’hui très préoccupante.
-On évoque un pic concernant l’évolution de la pandémie. Il semble reculer de semaine en semaine. Où en est-on à ce niveau ?
Sur Ajaccio, il est contenu dans son ensemble. Mais l’hôpital ne dispose plus, à ce jour, que de patients Covid 19. La situation va nécessairement aller en augmentant au fil des jours. Pour autant, on ne peut prévoir, à l’heure actuelle, quels seront les cas les plus graves. Toutes les réanimations de France se préparent, en effet, au fameux pic mais il varie selon les régions. En Corse, nous sommes décalés par rapport à l’Alsace et en avance par rapport à d’autres régions. On sait que des porteurs sains ont été, à un moment ou un autre, contaminants. C’est pour cela que cette épidémie est très difficile à contenir. Au niveau de l’Europe entière, personne n’a été capable de la voir venir et d’anticiper.
-Les moyens humains et matériels en Corse ?
On tient le coup sur l’hôpital d’Ajaccio où le plus grand nombre de cas est recensé. Mais nous commençons à avoir des soignants malades et cela m’inquiète. Il ne faudrait pas que les professionnels de santé soient touchés car nous serions, alors, confrontés à un problème de personnel soignant. C’est la raison pour laquelle les tests de dépistage sur les soignants est indispensable. Dépister à l’hôpital, dans les Ehpad, les services tels que les crèches où l’on garde les enfants des soignants. Le système de transmission du virus est très rapide. Les gens confinés présentent beaucoup moins de risques, il faut donc se préoccuper des soignants. Une stratégie va être mise en place dans ce sens avec l’ARS. Le manque de masques, de gants et de blouses, de charlottes, de sur-chaussures, sur-blouses constitue tout de même un handicap qui freine le travail.
-Peut-on craindre, en Corse, une vague lourde de conséquence ?
Si l’on prend en compte les Italiens, qui ne sont pas moins bons, on voit bien qu’ils y ont été confrontés. La stratégie d’Olivier Véran, ministre de la Santé est de contenir l’épidémie de manière à ne pas avoir d’hôpitaux saturés. Va-t-on, pour autant, arriver à contenir ? C’est encore très incertain. Les services de l’hôpital d’Ajaccio avaient bien anticipé. L’arrivée du Porte-Hélicoptère Tonnerre a permis de donner une bouffée d’oxygène au service de réanimation. Je tiens, par ailleurs, à saluer les initiatives personnelles de médecins corses qui résident sur le Continent et qui veulent rentrer pour aider leurs concitoyens. J’ai relayé la demande auprès de la Directrice de l’ARS, on attend la réponse de leurs services respectifs qui ont très peur d’être dépassés. Nous espérons qu’ils les laisseront venir deux ou trois semaines, cela nous permettra d’avoir une aide supplémentaire, surtout les réanimateurs qui sont en première ligne dans cette lutte.
« La Corse est la première région à avoir fermé ses établissements scolaires »
Le Président de l’Exécutif avait mis en place dix mesures pour lutter contre la pandémie. Où en sont-elles ?
Dans l’ensemble, nous avons été écoutés et entendus. Le Préfet de Corse était sur les directives nationales mais, très vite, il a compris qu’il fallait s’adapter à la spécificité du territoire. Il a été en avance sur le national puisque la Corse est la première région à avoir fermé ses établissements scolaires. On a demandé à limiter la circulation mais à ce moment-là, la population n’avait pas encore conscience des risques encourus, y compris par leurs proches. J’ai moi-même demandé, et je précise dans un registre médical et non politique, le report du premier tour des élections municipales, nous aurons d’ailleurs et très vite un retour d’expérience malheureux à cet effet. Par ailleurs, les contrôles aux ports et aéroports ont été renforcés mais là aussi, de nombreux porteurs sains sont passés. Pour le reste, les centres Covid se mettent en place dans l’île, je tiens à saluer la réactivité de tous les professionnels qui se sont investis. Un centre à ouvert à Bastia, Isula Rossa, Porto-Vecchio, d’autres vont ouvrir dans le Fium’Orbu et le Valincu.
La Collectivité pourrait-elle prendre d’autres mesures ?
Une demande appuyée par le Conseil de l’Ordre a été faite concernant la massification des tests de dépistage et le traitement à la chloroquine. Cela reste, toutefois, des domaines régaliens sur lesquels nous n’avons pas la main. Ce traitement est autorisé à l’hôpital d’Ajaccio et Bastia, les médecins hospitaliers prennent la décision de le prescrire. Mais nous n’avons pas la main sur une prescription plus étendue, cela relève du Conseil de l’Ordre et du ministère de la Santé.
Cela signifie-t-il que la Collectivité est favorable à la découverte du professeur Raoult ?
Je ne suis pas infectiologue et ce qui me gêne beaucoup dans ce cas, c’est la sur-médiatisation qu’il y a eu autour. Je pense que l’heure n’est pas à la polémique sur ce sujet. Le professeur Raoult est quelqu’un de reconnu par ses pairs, il a choisi une méthode qui n’est pas forcément scientifique. Personnellement et d’un point de vue strictement médical je dirais, pour en avoir discuté avec des collègues et au vu des retours d’expérience que j’en ai, que ce traitement fonctionne. Il est dommage que les choses se soient ainsi emballées, d’autant que nous n’avons pas le retour d’expérience scientifique. Le professeur Raoult peut se tromper mais s’il a raison, on lui décernera le prix Nobel. Tous les chercheurs du monde entier travaillent sur un traitement. On a connu l’épidémie du Sida, il y avait beaucoup d’attente au début, cela n’a pas fonctionné, il ne faudrait pas que l’on soit confronté à la même attente.
La Corse est-elle suffisamment armée pour faire face au fléau ?
Bastia et le reste de l’île sont moins impactés. Sur Ajaccio, je félicite les réanimateurs de l’hôpital qui ont réagi très en amont. On est passé en plan blanc il y a un mois, tout a été déprogrammé au niveau des chirurgies, la Réa fait en sorte que l’on augmente les lits, la capacité s’accroît. Ceci étant, il est difficile, même si la situation est, pour l’heure contenue, d’établir un pronostic. J’en reviens à notre modèle, l’Italie. Avec des hôpitaux de niveau international comme à Milan ou Bergame, ce pays a été très vite dépassé. On a travaillé de manière à ne pas être débordé mais il est difficile de prévoir l’avenir.
Les gouvernements n’ont-ils pas, d’une certaine manière, minimisé tous ces risques ?
Nous étions prévenus des épidémies du Sras et H1-N1, la première est restée en Asie et la seconde n’a pas trop impacté l’Europe. Tout le monde a sans doute cru que le Covid 19 allait être contenu lui aussi. Malheureusement, on doit se rendre à l’évidence. Les flux de population avec de nombreux européens partis en Asie, a permis au virus de se développer partout. L’Italie nous a alertés mais l’Europe n’était guère préparée. C’est une pandémie et personne, y compris parmi les médecins, n’y a songé un seul instant.
L’économie mondiale sera forcément impactée par cette crise. Est-ce une répétition du passé (grippe espagnole, peste…) et faut-il envisager d’autres modèles de société en Corse comme ailleurs ?
Cette crise servira de leçon. Il faudra en tirer les conséquences et sortir des modèles de mondialisation et de production actuels. Il y aura des comptes à rendre au niveau politique mais également une prise de conscience individuelle à avoir. Depuis le début, je fais un parallèle avec la crise des déchets. C’est aussi au citoyen de se mobiliser et de changer sa manière de fonctionner.
-Où en est l’évolution du virus en Corse à ce jour ?
La situation, comme chacun le sait, s’aggrave puisque l’on note l’émergence de certains foyers dans les microrégions, ce que l’on n’avait pas il y a quinze jours. J’ai demandé à l’ARS à ce que les chiffres soient communiqués en fonction des communes. Un cluster débute sur la Balagna, principalement à Isula Rossa mais aussi en Plaine Orientale. Le virus est apparu sur Ajaccio mais les personnes ayant fait des études prospectives savaient à cette époque déjà et en dépit d’une protection maximale, qu’il allait forcément se répandre dans toute l’île. Il y a n’a pas, contrairement à ce que l’on pense, que l’Italie qui a impacté la Corse mais aussi certains de nos résidents, porteurs sains et rentrés de plusieurs villes du Continent. La situation est donc aujourd’hui très préoccupante.
-On évoque un pic concernant l’évolution de la pandémie. Il semble reculer de semaine en semaine. Où en est-on à ce niveau ?
Sur Ajaccio, il est contenu dans son ensemble. Mais l’hôpital ne dispose plus, à ce jour, que de patients Covid 19. La situation va nécessairement aller en augmentant au fil des jours. Pour autant, on ne peut prévoir, à l’heure actuelle, quels seront les cas les plus graves. Toutes les réanimations de France se préparent, en effet, au fameux pic mais il varie selon les régions. En Corse, nous sommes décalés par rapport à l’Alsace et en avance par rapport à d’autres régions. On sait que des porteurs sains ont été, à un moment ou un autre, contaminants. C’est pour cela que cette épidémie est très difficile à contenir. Au niveau de l’Europe entière, personne n’a été capable de la voir venir et d’anticiper.
-Les moyens humains et matériels en Corse ?
On tient le coup sur l’hôpital d’Ajaccio où le plus grand nombre de cas est recensé. Mais nous commençons à avoir des soignants malades et cela m’inquiète. Il ne faudrait pas que les professionnels de santé soient touchés car nous serions, alors, confrontés à un problème de personnel soignant. C’est la raison pour laquelle les tests de dépistage sur les soignants est indispensable. Dépister à l’hôpital, dans les Ehpad, les services tels que les crèches où l’on garde les enfants des soignants. Le système de transmission du virus est très rapide. Les gens confinés présentent beaucoup moins de risques, il faut donc se préoccuper des soignants. Une stratégie va être mise en place dans ce sens avec l’ARS. Le manque de masques, de gants et de blouses, de charlottes, de sur-chaussures, sur-blouses constitue tout de même un handicap qui freine le travail.
-Peut-on craindre, en Corse, une vague lourde de conséquence ?
Si l’on prend en compte les Italiens, qui ne sont pas moins bons, on voit bien qu’ils y ont été confrontés. La stratégie d’Olivier Véran, ministre de la Santé est de contenir l’épidémie de manière à ne pas avoir d’hôpitaux saturés. Va-t-on, pour autant, arriver à contenir ? C’est encore très incertain. Les services de l’hôpital d’Ajaccio avaient bien anticipé. L’arrivée du Porte-Hélicoptère Tonnerre a permis de donner une bouffée d’oxygène au service de réanimation. Je tiens, par ailleurs, à saluer les initiatives personnelles de médecins corses qui résident sur le Continent et qui veulent rentrer pour aider leurs concitoyens. J’ai relayé la demande auprès de la Directrice de l’ARS, on attend la réponse de leurs services respectifs qui ont très peur d’être dépassés. Nous espérons qu’ils les laisseront venir deux ou trois semaines, cela nous permettra d’avoir une aide supplémentaire, surtout les réanimateurs qui sont en première ligne dans cette lutte.
« La Corse est la première région à avoir fermé ses établissements scolaires »
Le Président de l’Exécutif avait mis en place dix mesures pour lutter contre la pandémie. Où en sont-elles ?
Dans l’ensemble, nous avons été écoutés et entendus. Le Préfet de Corse était sur les directives nationales mais, très vite, il a compris qu’il fallait s’adapter à la spécificité du territoire. Il a été en avance sur le national puisque la Corse est la première région à avoir fermé ses établissements scolaires. On a demandé à limiter la circulation mais à ce moment-là, la population n’avait pas encore conscience des risques encourus, y compris par leurs proches. J’ai moi-même demandé, et je précise dans un registre médical et non politique, le report du premier tour des élections municipales, nous aurons d’ailleurs et très vite un retour d’expérience malheureux à cet effet. Par ailleurs, les contrôles aux ports et aéroports ont été renforcés mais là aussi, de nombreux porteurs sains sont passés. Pour le reste, les centres Covid se mettent en place dans l’île, je tiens à saluer la réactivité de tous les professionnels qui se sont investis. Un centre à ouvert à Bastia, Isula Rossa, Porto-Vecchio, d’autres vont ouvrir dans le Fium’Orbu et le Valincu.
La Collectivité pourrait-elle prendre d’autres mesures ?
Une demande appuyée par le Conseil de l’Ordre a été faite concernant la massification des tests de dépistage et le traitement à la chloroquine. Cela reste, toutefois, des domaines régaliens sur lesquels nous n’avons pas la main. Ce traitement est autorisé à l’hôpital d’Ajaccio et Bastia, les médecins hospitaliers prennent la décision de le prescrire. Mais nous n’avons pas la main sur une prescription plus étendue, cela relève du Conseil de l’Ordre et du ministère de la Santé.
Cela signifie-t-il que la Collectivité est favorable à la découverte du professeur Raoult ?
Je ne suis pas infectiologue et ce qui me gêne beaucoup dans ce cas, c’est la sur-médiatisation qu’il y a eu autour. Je pense que l’heure n’est pas à la polémique sur ce sujet. Le professeur Raoult est quelqu’un de reconnu par ses pairs, il a choisi une méthode qui n’est pas forcément scientifique. Personnellement et d’un point de vue strictement médical je dirais, pour en avoir discuté avec des collègues et au vu des retours d’expérience que j’en ai, que ce traitement fonctionne. Il est dommage que les choses se soient ainsi emballées, d’autant que nous n’avons pas le retour d’expérience scientifique. Le professeur Raoult peut se tromper mais s’il a raison, on lui décernera le prix Nobel. Tous les chercheurs du monde entier travaillent sur un traitement. On a connu l’épidémie du Sida, il y avait beaucoup d’attente au début, cela n’a pas fonctionné, il ne faudrait pas que l’on soit confronté à la même attente.
La Corse est-elle suffisamment armée pour faire face au fléau ?
Bastia et le reste de l’île sont moins impactés. Sur Ajaccio, je félicite les réanimateurs de l’hôpital qui ont réagi très en amont. On est passé en plan blanc il y a un mois, tout a été déprogrammé au niveau des chirurgies, la Réa fait en sorte que l’on augmente les lits, la capacité s’accroît. Ceci étant, il est difficile, même si la situation est, pour l’heure contenue, d’établir un pronostic. J’en reviens à notre modèle, l’Italie. Avec des hôpitaux de niveau international comme à Milan ou Bergame, ce pays a été très vite dépassé. On a travaillé de manière à ne pas être débordé mais il est difficile de prévoir l’avenir.
Les gouvernements n’ont-ils pas, d’une certaine manière, minimisé tous ces risques ?
Nous étions prévenus des épidémies du Sras et H1-N1, la première est restée en Asie et la seconde n’a pas trop impacté l’Europe. Tout le monde a sans doute cru que le Covid 19 allait être contenu lui aussi. Malheureusement, on doit se rendre à l’évidence. Les flux de population avec de nombreux européens partis en Asie, a permis au virus de se développer partout. L’Italie nous a alertés mais l’Europe n’était guère préparée. C’est une pandémie et personne, y compris parmi les médecins, n’y a songé un seul instant.
L’économie mondiale sera forcément impactée par cette crise. Est-ce une répétition du passé (grippe espagnole, peste…) et faut-il envisager d’autres modèles de société en Corse comme ailleurs ?
Cette crise servira de leçon. Il faudra en tirer les conséquences et sortir des modèles de mondialisation et de production actuels. Il y aura des comptes à rendre au niveau politique mais également une prise de conscience individuelle à avoir. Depuis le début, je fais un parallèle avec la crise des déchets. C’est aussi au citoyen de se mobiliser et de changer sa manière de fonctionner.