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Pierre-Paul Marchini :l'artiste-ouvrier de la onzième heure

Ren ontre avec un homme peu ordinaire les italiens ont surnommé " il spadaccino ".....

Pierre-Paul Marchini : l’artiste-ouvrier de la onzième heure



Doté d’un talent révélé sur le tard, l’artiste ajaccien que les Italiens ont surnommé « Il spadaccino » pour son habileté à manier le couteau et créer ses toiles abstraites, a acquis une notoriété internationale. Rencontre avec un homme peu ordinaire…


Barbe de quelques jours, allure nonchalante, casquette sur la tête, cigarette grillée jusqu’au mégot, Pierre-Paul Marchini semble plus proche d’un personnage de Simenon ou San Antonio que du monde de l’art. Et si son regard perçant parfois perdu dans ses pensées laisse apparaître les prémices de son côté abstrait, tout dans son attitude correspond à ce qu’il est. Un homme simple comme il en existe tant. Sauf, pour ce qui le concerne, que le virus de l’art abstrait est venu frapper à sa porte alors qu’il avait passé la quarantaine et que son parcours le destinait plutôt à celui de « M.tout le monde ».
Un parcours débuté dans le quartier du Parc Berthauld. « J’ai vécu dans plusieurs endroits à Ajaccio, explique-t-il en tournant mécaniquement une petite cuillère dans sa tasse de café, Loretto, Saint-Jean et même à Porticcio mais le Parc Berthauld et l’Albert 1er, c’est toute mon enfance. »

L’Ajaccien-il se définit comme tel- suit sa scolarité à l’école annexe, Miot et un peu plus tard, au Fesch. « Je n’aimais pas trop l’école, ajoute-t-il, je voulais comprendre, cela ne suffisait pas que l’on dise les choses, je voulais une explication à tout. »


Du football à l’art abstrait

Comme beaucoup d’ados de son âge, il trouve refuge dans la musique et plus particulièrement le Hard Rock à l’époque des Deep Purple, Led Zeppelin... « On avait un petit groupe avec mes potes du quartier, on grattait pour s’amuser. Mais ma véritable passion, c’était le football...Et l’ACA. J’accompagnais mon grand-père au Jean Luis, il s’occupait du tableau d’affichage. Le score se marquait à l’époque à la main. Mon grand-père, dont je porte le prénom, me faisait rentrer dans les vestiaires et je côtoyais les stars du moment : Touré, Barou, Sansonetti, Marcialis...Je rêvais de porter un jour ce maillot. »

S’il endosse la tunique « bianca è rossa » à l’âge de 12 ans, Pierre-Paul Marchini rejoint, suite au dépôt de bilan du club, le GFCA pour une bien belle aventure aux côtés de joueurs plus ou moins renommés : César Bruni, Paul-Henri Raymond, Antoine Pireddu, Louis Marcialis, Eric Sapet, Charles Frigara... « Une équipe de copains et des joueurs de grande qualité. Certains ont connu le monde professionnel. J’ai joué jusqu’à 17 ans avant de signer à l’ACA, mon club de coeur, en DH. Puis j’ai rejoins l’USHA, club corpo prestigieux après avoir été engagé à l’hôpital. Là aussi, on avait une équipe super avec notamment Georges Baldovini et Charles Angeletti... »


William Turner : la « rencontre » qui fait tout basculer

Entre-temps marié et père de famille, l’Ajaccien mène une vie paisible...
Avant que l’art ne vienne frapper à sa porte. « La peinture ? Interroge-t-il, je ne me posais pas la question. Moi, c’était plutôt la musique, on peut vivre sans peinture, pas sans musique ! »

C’est en feuilletant un magazine, il y a une vingtaine d’années que Pierre-Paul Marchini est séduit par l’art pictural. « J’ai découvert la peinture de William Turner, argumente-t-il, en regardant ses toiles, je me suis dit que c’était du cinéma et non de la peinture. J’ai essayé d’en savoir plus sur cet artiste, apprécié les mouvements qu’il donne à son art, étudié son œuvre. »

In fine, l’artiste achète une toile vierge, des pinceaux, de la peinture, et se lance dans l’aventure. « J’ai travaillé la technique de base : reflets, ombres, lumières et débuté par une toile sur les Calanches de Piana, que j’ai toujours d’ailleurs. Ce n’était certes pas la plus belle mais il y avait déjà quelque chose. J’ai débuté à l’huile. »

Peu de temps après ses premiers balbutiements, l’Ajaccien s’ouvre progressivement vers l’art abstrait. Nous sommes alors au début des années 2000, l’artiste prend déjà son envol et appose sa griffe à travers des personnages peints sur fond sombre et dont les formes semblent dépourvues de toute matérialité. L’art de Pierre-Paul Marchini est en route. Pour trouver définitivement sa voie, il va « s’armer » d’une petite spatule fine : « le couteau », un outil particulier qui va donner tout son sens à l’expression de l’artiste. « J’ai essayé le couteau sur les conseils d’un artiste italien qui m’a dit : « Ton expression nécessite plus d’espaces, tu devrais essayer le couteau. » J’ai effectivement découvert cet outil qui m’a fait définitivement basculé vers l’art abstrait. »

Depuis, l’art de Pierre-Paul Marchini ne cesse de fasciner de par son expression directe où couleurs, ombres, lumières et formes diverses s’entrelacent donnant à l’ensemble, un certaine « unité ». « J’ai souhaité travailler avec une peinture plus fluide, qui est réalisée spécialement pour moi par un artisan sicilien. Quant à l’expression, elle est directe. Je pars sur une base de couleurs mais je ne sais pas où je vais. Je prends parfois une direction, puis elle change en cours de route. »

Depuis sa toute première exposition à la Galerie Arcane à Ajaccio au début des années 2000, l’artiste a fait son chemin. Il en a est aujourd’hui à plusieurs centaines de toiles et des dizaines d’expositions. Sa notoriété a très vite franchi les frontières de la Corse : Paris (Louvre et Espace Cardin), New-York, Vienne, Miami, Venise, Florence, Palerme, on ne compte plus ses destinations…


Une notorité internationale

Et c’est en 2015 que sa notoriété lui permet d’acquérir un standing international lorsqu’il est sélectionné par des historiens d’art pour figurer parmi les cinquante artistes internationaux liés à l’art abstrait contemporain. Ce qui lui vaut le surnom de « Il Spadaccino ». Suivra le titre prestigieux « Leonardo Da Vinci » obtenu à la maison Borghese à Florence. Rattrapé par son tempérament rebelle et l’attachement à ses racines, il arbore toujours la Bandera et demande à ce qu’il soit présenté comme un artiste corse. « Je leur ai imposé au salon international de Palerme notamment. Sinon, je refusais de venir...Je n’ai jamais eu peur de me confronter à des artistes de renommée mondiale, c’est peut-être dû à mon côté compétiteur. »

Si cette notoriété intervient comme un cadeau du ciel, l’artiste ajaccien reste lui-même et va peu à peu reculer. Non pas dans l’expression de son art pictural encore moins par crainte mais face au monde de l’art. « J’ai découvert le monde de la peinture, rencontré des gens formidables, visité des lieux magnifiques. En même temps, j’ai découvert un monde de requins comme dans tous les domaines. Cela m’a fait changer d’orientation. Depuis, je choisis ou non de participer à une exposition ou un salon. J’ai tout balayé ! »


« Je suis un artiste populaire »

En 2019, Marchini créée une page Facebook sur fond noir intitulée « No Art ». La rupture est consommée. C’est aussi l’occasion d’élargir son public. « Les gens venaient me voir pour me dire que mes toiles étaient sublimes mais qu’ils n’avaient pas les moyens de se les offrir. Je suis un homme du peuple et me considère comme un artiste populaire. J’ai adapté mes tarifs. Ce qui n’a pas été du goût de tous. Ce monde n’est pas le mien, je sais d’où je viens ! »

C’est aussi l’occasion, la même année, pour le peintre de créer un collectif d’artistes insulaires. « On avait réuni 300 artistes issus de tous les arts de Corse mais en raison de querelles internes, il a tenu un an. C’est dommage. Il y a des artistes excellents ici, notamment des peintres, ce sont les structures qui manquent… »


Au Lazaret courant 2022

Depuis deux ans, n’allez pas croire que Pierre-Paul Marchini a « levé le pied ». Bien au contraire, il continue de peindre et prépare même une exposition au Lazaret courant 2022. « Si les conditions sanitaires le permettent... »
Depuis ces dernières années, «Il Spadaccino » s’est vu affubler d’un deuxième surnom : « Le rebelle »

« Si dire les choses, c’est être rebelle, alors je le revendique, se défend-il, être artiste, ce n’est pas seulement créer, c’est aussi un état d’esprit et sans doute le dernier bastion de liberté... »

Un artiste atypique aussi affûté avec son couteau qu’avec les mots. Un homme qui sait savourer le moment présent en scrutant l’horizon sur la plage près du quartier où il a grandi. Une façon de boucler la boucle…

Philippe Peraut
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