L'homme seul

L’homme seul

Mitterrand était un homme de réseaux. Le réseau de la résistance et ses parfums du maquis. Le réseau de la collaboration et ses arômes de souffre. Et bien d’autres encore, dans la finance, la droite, la gauche, la culture, le show-biz etc... Chirac, Sarko, et à un degré moindre Hollande, n’échappaient pas à cette règle immuable. On accède à la fonction suprême avec un maillage fait d’influences multiples, tissées patiemment au long cours des années. Rien de tout ça dans la galaxie Macron.


Le Big Bang qui a propulsé Macron à l’Elysée, ne lui a pas permis de construire, des fondations à la charpente, une forteresse suffisamment solide pour être protégé en toutes circonstances des mouvements de terrain qui rythment la vie politique. Et, pour ce qui le concerne, d’être protégé avant tout et surtout de lui-même. Cet homme aime se mettre en danger, évoluer en permanence sur le fil du rasoir. Et pas seulement par calcul politique cynique et froid, même s’il y a, ne soyons pas dupes, de çà. Son Q.I. c’est finalement son talon d’Achille.

“Jamais je ne me lasserai d’offenser les imbéciles” (Bernanos).
Voilà son péché mignon, sa gourmandise ultime. Il ne peut résister. Il se fait plaisir. Tant pis pour les conséquences. Quitte à devoir ramer, et toujours seul, pour rattraper le coup. “Le Grand Débat”, cette grande vadrouille où il a dû se maitriser comme jamais, pour supporter pendant des mois tout ce qu’il devait snober pendant une présidence annoncée jupitérienne. Il avait promis un mandat sans blablas. Un Président au travail, dans le secret de sa fonction, rare sur la scène médiatique. Jamais un Président n’a été aussi bavard. Jamais un Président n’a autant occupé l’espace. Il a arpenté tous les trottoirs de France de Navarre et d’Outre-Mer, saisi tous les portables et a blablaté dans tous les micros qui se tendaient. Il sort la petite phrase qui met le feu, et aussitôt, pour se refaire, il part avec sa lance en tournée. Et le patron, sa tournée il la met. Sert, ressert, c’est open Macron bar. Ivre de lui-même, de selfies en autographes, “jupicron” a passé cinq ans à tenter l’entarteur. Jusqu’à s’échouer sur la main du gifleur. “On a mis un gamin à l’Elysée et on va le payer très cher”. (Ancien ministre)

“Je ne porte pas de message. Il y a des télégraphistes pour çà” (Paul Morand).
L’homme politique Macron s'est fait à travers les rencontres, les coups de gueules et les coups de poker avant, sur une inspiration géniale, de renverser la table. Et tout ça en quelques mois. Alors on a recruté à la vitesse du son. Et dans la précipitation il y a eu un paquet d’erreurs de casting. La grande majorité des députés de la REM n’ont pas le niveau, ont tous les mêmes éléments de langage, et partagent, pour la plupart, une arrogance commune à toute la macronie. Ils n’ont posé aucun problème à la majorité, chez eux pas de frondeurs, mais n’ont apporté aucune valeur ajoutée. Et les snipers de talent, qui, à l’origine, œuvraient pour le boss, ne peuvent plus aujourd’hui le servir. Ferrand est prisonnier de sa fonction. Comme Bayrou. Griveaux est tombé au champ d’honneur. Attali et Alain Minc sont des hommes de l’ombre. Le monde de la culture, refroidi par la gestion de la crise sanitaire, n’est pas chaud pour monter au créneau. Bref pour défendre la pensée complexe, d’un Président pas toujours facile à suivre, il n’y a pas foule. Comme d’habitude il sera son meilleur promoteur, mais aussi son pire ennemi. Le “en même temps” de son horloge biologique.

L’histoire pas banale, de son couple est l’atout romanesque qui contrebalance l’image du Rastignac à la tête de la start up nation. Les enquêtes menées sur le personnage ne permettent pas de percer le secret de l’homme. Entre ceux qui sont terrorisés à l’idée de s’exprimer, ceux qui ont des comptes à régler et ceux qui sont dans la soumission béate, il est difficile de se faire une idée. On sait juste que Macron est un caméléon. “Look d’ado khâgneux et cheveux longs de philosophe avant l’ENA, costume de banquier, en conseiller à l’Elysée”. On sait aussi que l’homme n’a pas développé de réelles amitiés. Forcément, à vingt ans il vivait comme l’on vit à cinquante. C’est peut-être les hommages funèbres, notamment ceux à destination des artistes, dont il s’est fait une spécialité, qui en disent le plus long sur sa personnalité. L’hommage à Belmondo, “l’homme de brio”, était éloquent. Il a surjoué en cabot qui a dû rêver longtemps d’un autre destin. Et si banquier, Président, n’étaient que des rôles. Ce type joue. Avec les gens, la fonction. Son équipe de robots va encore nous servir une version scénarisée de sa trajectoire. Mais “la vérité d’un homme, c’est d’abord ce qu’il cache” (Malraux).

.Sgaiuffu