Le maritime corse : changer de stratégie
Le transport maritime vers la Corse est depuis longtemps la vache à lait de différents opérateurs grâce à la subvention publique résultant de la DSP.
Le maritime corse : changer de stratégie
Le transport maritime vers la Corse est depuis longtemps la vache à lait de différents opérateurs grâce à la subvention publique résultant de la délégation de service public la DSP. Sa seule fonction est de faire baisser le prix de la traversée pour le fret et pour les passagers.
La SNCM autrefois, Corsica linea aujourd’hui disposent de deux destinations essentielles : le trajet Corse Marseille et Marseille Maghreb. Toulon et Nice sont sous un régime d’obligations de service public (OSP) car un opérateur privé (Corsica Ferries) assure ces OSP : fréquences minimales et tarifs résident maximum, sans contrepartie financière. Les lignes sur le Maghreb ont une rentabilité irrégulière due à la forte variabilité de la demande. Les liaisons avec Marseille sont rentables, mais uniquement grâce à la DSP délivrée par la Collectivité de Corse après une étude des offres diverses..Or le montant de la compensation financière est fonction de deux paramètres principaux : le nombre de passagers et le prix du carburant. Ces facteurs peuvent générer des pertes ou des surplus selon les années., les reliquats qui ont eu la possibilité d’être affectés à partir de 2002 à l’amélioration des infrastructures portuaires et aéroportuaires puis quinze ans plus tard, à à la demande de la majorité nationaliste aux infrastructures routières et ferroviaires et à partir de 2018 aux territoires de l’intérieur et de montagne. Or, avec la complicité de la CdC et des services de l’État, ces reliquats ont été inférieurs à ceux attendus, alors que les compagnies bénéficiaires de la DSP ont été surcompensées. La question est donc : où est passée la différence qui aurait dû profiter à l’usager ?
Des reliquats détournés de leur fonction première
Difficile de ne pas se perdre dans le maquis législatif qui régit le transport maritime corse où se croisent l’ancienne législation française et les impératifs européens. Mais l’étude des différents textes provenant du Code général des Collectivités territoriales (DGCT) et de Bruxelles permet d’acquérir quelques certitudes.
Par exemple, l’utilisation des reliquats pour les infrastructures portuaires et aéroportuaires qui, rappelons-le, reste donc une priorité dans la loi. Le rapport de la CRC faisant l’objet du tout récent rapport du Président de l’exécutif, a fait apparaître que les sommes allouées aux infrastructures portuaires et aéroportuaires pendant la période sous revue sont marginales. Mais la CRC relève aussi « des incohérences observées quant aux données de l’annexe budgétaire D1 avec les versements opérés par l’OTC » et s’interroge sur « l’éligibilité des opérations d’investissement à un financement par le reliquat ». Or pas de réponses. Les reliquats ont donc servi à autre chose qu’à leur destination première.
La responsabilité première de l’Etat
Mais commençons par le début : l’obligation faite à l’état de surveiller les opérations. Celui-ci a reconnu que lors de la recapitalisation de la SNCM, il ne s’était pas comporté en « bon investisseur privé » et a été sommé de récupérer ces sommes. En somme il a été le chef d’orchestre d’un détournement de fonds publics dont il devait être le garant. C’est une autre dette qui pèse aujourd’hui sur Corsica linea, celle du surdimentionnement du service complémentaire, puisque cette compagnie n’a jamais rompu ses liens juridiques avec l’ancienne SNCM. Il s’agit tout de même de deux cents millions d’euros et que Corsica linea pourrait devoir rembourser à l’état si Bruxelles l’exige. En second lieu, l’Etat (comme dans l’affaire des hectares fantômes) au lieu de surveiller les opérations comme il lui en était fait devoir et malgré les mises en garde de la Cour régionale des Comptes, a couvert ces opérations pour maintenir à flot coûte que coûte la SNCM puis pour acheter la paix avec la Corse. Sur cette lancée, l’exécutif (mandatures Giacobbi puis Simeoni dans la continuité l’une de l’autre) a alors multiplié les « erreurs » parfois par ignorance parfois par volonté d’aller plus loin dans « l’erreur » comme si un pacte secret liait les deux mandatures. Mieux, un avenant dit avenant 2, votée à la demande du conseiller Jean-Félix Acquaviva, a supprimé une clause de la DSP en cours en 2016, relative à la surtaxe carburant. Or elle complétait la DSP maritime de 2014 et permettait d’ajuster les tarifs en cas de variation des prix du carburant. C’était donc l’exécutif de la CdC qui contrôlait alors les opérations. La majorité nationaliste l’a donc supprimée et, dès lors, ce sont les opérateurs privés qui ont conservé les sommes et en ont disposé à leur gré. Un beau cadeau fait à ces compagnies à la tête desquelles se trouve Corsica linea. Le résultat de ces économies aurait permis d’aujourd’hui largement payer la somme due à Corsica ferries, somme qui elle même n’aurait pas été due, si la continuité économique n’avait pas été entretenue et démontrée par un bien “maladroit” sous-contrat d’affrètement avec Corsica Linea.
Une stratégie concertée
Tout porte à croire que la mandature Giacobbi a agi pour favoriser un système de navigation grâce auquel elle trouvait une clientèle électorale. Pour la majorité nationaliste, l’idée essentielle semble avoir été de monter un ersatz de compagnie maritime corse au fil des années quitte à se trouver en dehors des clous européens, mais en comptant toujours sur la complicité passive ou active de l’Etat. Ainsi, l’exécutif a multiplié durant six années les DSP courtes illégales, car favorisant nécessairement les mêmes opérateurs. Parfois, l’Office des transports, émanation de la CdC, a exécuté des tours de passe-passe pour ne pas déplaire aux usagers insulaires. Le rapport du JO de la CE du 7 août 2020 par exemple mentionne les tarifs applicables aux passagers pour les services maritimes hors DSP (toutes les liaisons avec le continent francais sauf Propriano et Porto Vecchio). Surprise : les tarifs notifiés à la Commission européenne pour les passagers résidents sont inférieurs de 30 % à ceux votés le 25 avril 2019 par l’assemblée de Corse dans une délibération rectificative à la délibération de juillet 2018 qui définissait les OSP ! Il y a donc eu volonté de tromper la Commission européenne en n’indiquant pas les tarifs appliqués réellement. Mais peut-être est-ce le résultat d’une regrettable erreur jamais corrigée ?
Des critères non remplis
Pour remporter la DSP, il faut remplir un certain nombre de critères drastiques. Par exemple, la SNCM a été condamnée à 220 M€ plus les intérêts concernant le service complémentaire de la SNCM pour la DSP 2007 (c’est cette dette qui menace aujourd’hui Corsica linea). La raison était qu’un critère, un seul n’avait pas été rempli. La DSP 2014 a, quant elle, été annulée par le juge administratif parce que trois des quatre critères n’étaient pas remplis. Et si elle n’a pas été condamnée à rembourser (la DSP a été « seulement » annulée par le tribunal administratif), c’est qu’à ce jour aucune plainte n’a été déposée auprès de la Commission européenne. Il reste à savoir pourquoi la Corsica ferries ne l’a pas fait. Existait-il un pacte secret avec la mandature d’alors ? On ne le sait pas, donc inutile d’épiloguer. Pour en revenir à l’attribution des DSP, dans le rapport très argumenté de la Commission européenne du 28 février 2020, relatif à l’ouverture d’une enquête sur la DSP 2019 attribuée à la Corsica Linea, il n’apparaît qu’aucun des quatre critères de la jurisprudence n’est rempli. Le délégataire n’échappera donc pas à la demande de restitution des aides illégales.
Quel avenir pour une compagnie régionale ?
Il faut le répéter dans cette affaire les torts sont largement partagés. La CdC a fait preuve d’un amateurisme causé par une longue habitude. Parce que les nationalistes n’ont pas changé de logiciel, ils ont agi comme si la France couvrait ad eternam leurs manœuvres. La CdC, toujours à la conquête de son inaccessible étoile, vise la constitution d’une compagnie régionale bâtie grâce à la mise en place de deux structures publics-privés (exploitation et investissement) pour « garantir la sécurité juridique de la prochaine desserte maritime ». Il lui faudra donc acquérir des navires. Or, elle devra, loi oblige, les payer le prix du marché pour ne pas risquer de devoir rembourser les DSP qu’elle espère obtenir ce qu’elle est incapable d’assumer financièrement. En d’autres termes, elle ne pourra profiter de l’aubaine si Corsica linea pour des raisons financières devait brader ses vaisseaux. S’ajoute à cela un déficit important de l’Office des transports qui avait sous-estimé la DSP aérienne. Il y a là une vingtaine de millions à trouver. Nous reviendrons ultérieurement sur les dangers qui guettent Air Corsica et qui sont aussi importants que ceux qui menacent le maritime.
Les raisons d’un désastre annoncé
La Corse semble être restée bloquée dans les couloirs du temps. Alors qu’on espérait sincèrement un changement majeur dans les pratiques, mais surtout dans l’analyse de la situation, la majorité nationaliste a donné le sentiment de perpétuer l’époque des débrouilles et des embrouilles. Or le monde a changé. L’ultra libéralisme et l’ultra concurrence se sont imposé à la planète entière et donc à la Corse. Les relations avec l’état se sont distendues et cet état est lui aussi sous pression européenne. Il ne peut plus décider comme s’il était le monarque en son royaume. Les élus corses, mais aussi ceux de Marseille semblent avoir zappé cette mutation et continuent d’agir comme ils pouvaient continuer de « traire Marianne » au même rythme qu’auparavant. Hélas, ça n’est plus le cas. Mais l’Etat semble avoir oublié de prévenir nos élus. La compagnie maritime régionale qui serait seule attributaire des DSP à venir est un rêve. Bruxelles privilégie la concurrence et il n’y aura bientôt plus de place pour une économique clientélaire qui choisit l’emploi souvent improductif plutôt que la supposée efficacité. Sans une véritable remise en cause de notre manière d’aborder l’avenir, nous courrons à la catastrophe c’est-à-dire à un isolement croissant de notre île.
Gouverner c’est choisir et choisir c’est sacrifier une partie de ce qui existait hier et qui n’a plus de raison d’être. Sans une telle ligne de conduite, nous n’aurons bientôt plus que nos yeux pour pleurer.
GXC