Bernard Bonnet, " l'homme qu'il faut là où il faut "
Quand un préfet dérape et met le feu aux poudres.....
Bernard Bonnet, « l’homme qu’il faut là où il faut »
Quand un préfet dérape et met le feu aux poudres…
Dans l’Histoire récente de la Corse, quelques événements ont cristallisé les rapports entre institutions de l’île et représentants de l’Etat. Bien en amont du bras de fer opposant Gilles Simeoni à Pascal Lelarge, l’assassinat de Claude Erignac, la nomination de Bernard Bonnet comme préfet de Corse et le scandale politico-juridique qui a suivi ont clairement été des moments-clefs. La fameuse affaire des Paillotes aura parachevé de dégrader l'image de l'État dans l’île.
Le 9 février 1998, trois jours seulement après le meurtre de son prédécesseur, Bernard Bonnet, seul volontaire pour le poste, est nommé préfet de Corse par Jean-Pierre Chevènement, pour « rétablir l’État de droit ». Il utilise notamment l'article 40 du Code de procédure pénale qui lui permet de dénoncer à la justice tous les actes répréhensibles dont il a connaissance.
Devant l’Assemblée de Corse, le 31 octobre 1998, interpellé par Paul Quastana, alors porte-parole de Corsica Nazione, lui demandant quand il comptait « partir », Bernard Bonnet répondait « Je partirai quand vos amis cesseront le racket, […] cesseront d’assassiner dans les fêtes de village, quand vos amis cesseront de déposer des explosifs ».
Le 9 avril 1999, Bernard Bonnet, souhaitant mettre un terme à l'installation illégale de paillotes sur le domaine public maritime, fait intervenir des bulldozers pour démolir deux établissements de la plage de Mare e Sole dans le golfe d'Ajaccio. Des manifestants s’interposent. José Rossi, alors Président de l’Assemblée de Corse, apporte lui-aussi son soutien aux paillotiers. Yves Féraud, propriétaire de la paillote Chez Francis, organise le blocage du port d’Ajaccio. Bernard Bonnet accepte de suspendre les destructions en échange de la promesse écrite de huit des propriétaires de raser eux-mêmes leurs constructions après la saison. Dix jours plus tard, au milieu de la nuit, la paillote Chez Francis est ravagée par les flammes.
Alertée, la gendarmerie de Pietrosella retrouve sur place des tracts « Féraud balance des flics », laissés pour faire croire à un règlement de comptes. Les militaires de la section de recherche d'Ajaccio découvriront plusieurs objets contredisant cette thèse, parmi lesquels une cagoule de gendarmerie et un « Corail », appareil radio réglé sur la fréquence du GPS. Le Groupe de pelotons de sécurité, escadron d’élite de la gendarmerie ayant pour missions les opérations de renseignement, les interventions discrètes et la lutte contre le terrorisme, sera très vite mis en cause.
L’ordre venait d’en haut
Interrogé, le colonel Henri Mazères qui dirige la gendarmerie en Corse, explique que trois hommes du GPS étaient « en mission de surveillance » cette nuit-là. Le parquet d'Ajaccio ordonne aussitôt une enquête préliminaire qui révèle que le capitaine Norbert Ambrosse, commandant le GPS, a été exfiltré et hospitalisé à Toulouse pour des brûlures. L'Inspection générale de la gendarmerie relève rapidement plusieurs versions contradictoires. Le 26 avril, le juge d'instruction Patrice Camberou met en examen et place en détention provisoire cinq militaires de la gendarmerie dont le capitaine Ambrosse et le colonel Mazères afin d'éviter tout maquillage de preuves et collusion de témoins. Trois gendarmes du GPS reconnaîtront avoir incendié volontairement la paillote. Le colonel Mazères avouera lors d'un interrogatoire que l’ordre venait du préfet. Le 3 mai 1999, le lieutenant-colonel Bertrand Cavalier, chef d'état-major de la légion de gendarmerie, demande à être entendu par le juge d'instruction. Il confirmera que l'opération a bel et bien été commanditée, bien qu'il ait exprimé son opposition, et fournira la preuve de l’implication de Bonnet, grâce à l'enregistrement clandestin de leur conversation.
Bernard Bonnet, considéré comme l'instigateur des faits, sera condamné le 11 janvier 2002 à trois ans de prison, dont un ferme et trois ans de privation de ses droits civiques et civils. Gérard Pardini, ancien directeur de cabinet à la préfecture, le colonel Mazères, le capitaine Ambrosse et les cinq sous-officiers sous ses ordres seront quant à eux condamnés à des peines allant de 30 à 18 mois d'emprisonnement avec sursis.
Petru Ghjaseppu Poggioli