Le Préfet, c'est l'Etat
Un préfet tire son pouvoir de décision et d'action non pas de sa volonté et de ses qualités personnelles, mais .....
Le Préfet, c’est l’Etat
Un préfet tire son pouvoir de décision et d’action non pas de sa volonté et de ses qualités personnelles, mais des prérogatives et devoirs de sa fonction de représentant de l’État sur un territoire donné.
Il était préfet de Corse depuis l’été 2020. Pascal Lelarge va quitter notre île. Son remplaçant, Amaury de Saint-Quentin, encore pour quelques jours préfet du Val d'Oise, fera très bientôt son entrée au Palais Lantivy. Ce mouvement préfectoral met fin aux rumeurs de l’existence d’un décalage entre l’action du partant et la politique corse voulue par Paris. En effet, même s’il a pu agacer en haut lieu en tenant des propos qui ont permis à la majorité territoriale d’avoir le beau rôle de l’agressée et de mettre en cause l’action de l’Etat, Pascal Lelarge n’est semble-t-il ni désavoué, ni en disgrâce.
Ces derniers jours, alors qu’était venue l’heure qu’il fasse ses cartons, il a eu toute latitude de lancer la procédure de mandatement d'office devant permettre de prélever, dans le budget de la Collectivité de Corse, plus de 9 millions d’euros étant dus par cette dernière à la Corsica Ferries à titre d’intérêts légaux.
Il est peu probable qu’il ait agi de son propre chef… Dans quelques jours, il intégrera une institution prestigieuse : le Conseil d’État. Il existe de pires placards… Par ailleurs, après l’indication déjà très significative qu’a représenté le non-rapprochement des prisonniers, le dit mouvement préfectoral confirme que jusqu’au sortir des élections présidentielles et législatives, le curseur du thermostat de régulation des relations entre le pouvoir parisien et la majorité territoriale restera en position hors-gel. En effet, Franck Robine qui, selon Gilles Simeoni et ses amis et d’ailleurs aussi de l’avis général, s’était montré cordial et constructif durant les six mois qu’il avait passé entre les murs du Palais Lantivy et dont le retour serait apparu comme un passage du curseur à la position pré-chauffage, reste à Paris.
La majorité territoriale devra faire avec Amaury de Saint-Quentin. Ce qui suscite des inquiétudes. En effet, se référant à la carrière du nouveau préfet au sein de l’appareil d’État et auprès de différents responsables politiques, certains doutent d’emblée que l’intéressé se révèle être un « bon préfet ». Ils voient déjà en lui, et ce, avant même qu’il ait posé un pied sur la terre de Corse, un préfet qui ne saura pas ou ne voudra pas au contraire d’un Franck Robine qu’ils portent au pinacle, « respecter le vote des Corses » et se montrer constructif dans les rapports avec la majorité territoriale.
Ni « bon », ni « mauvais »
La notion de « bon préfet » relève-t-elle de la réalité ? La réponse est non si l’on s’extrait du cadre relationnel et s’en tient à ce qu’est la fonction préfectorale. Il est certes évident que des préfets puissent se révéler être plus empathiques que d’autres ou même apparaître plus compétents. Ce qui peut naturellement conduire à les considérer comme de « bons préfets ».
En revanche, un préfet ne peut être qualifié de « bon » ou de « mauvais » au regard de sa démarche globale et des décisions graves ou stratégiques qu’il prend car ni cette démarche, ni ces décisions ne sont vraiment les siennes. En effet, un préfet tire son pouvoir de décision et d’action non pas de sa volonté et de ses qualités personnelles, mais des prérogatives et devoirs de sa fonction de représentant de l’État sur un territoire donné. Il doit faire respecter les intérêts nationaux, les lois et règlements, les valeurs républicaine. Il lui faut appliquer les politiques gouvernementales. Il est garant de l'ordre public et de la sécurité des biens et des personnes. Il doit contrôler les actes des collectivités territoriales. Il peut certes déroger aux normes réglementaires dans quelques domaines pour alléger des démarches administratives, réduire des délais de procédure ou favoriser l'accès à des aides publique, mais il doit le justifier par un motif d'intérêt général et l'existence de circonstances locales.
L’Histoire de « La Préfectorale» est d’ailleurs imprégnée du devoir de représenter l’Etat et d’appliquer les politiques des gouvernements en place. Et ceci a prévalu dès la création de la fonction préfectorale par Napoléon Bonaparte alors Premier Consul, le 17 février 1800. Après l'expérience révolutionnaire d'une certaine autonomie des collectivités locales, il entendait mettre au pas les autorités locales et, de suite, les préfets ont dû obéir aux ministres. Représenter l’État et faire appliquer les politiques des gouvernements en place a même malheureusement conduit certains préfets à emprunter des chemin s les ayant fait atteindre l’ignominie.
En effet, si durant l’Occupation nazie, trente-neuf d’entre eux sont morts pour la France de la Résistance, d’autres ont participé à la Collaboration et certains se sont impliqués avec zèle dans la déportation des Juifs et la chasse aux Résistants. Chez nous, à partir des années 1970, avec le développement de la revendication nationalistes et les tentatives de la contenir pilotées depuis Paris, les rôles préfectoraux de représentation de l’État et d’application des politiques gouvernementales ont été particulièrement sollicités et visibles.
En première ligne
Les préfets, on a pu le vérifier avec le destin tragique de Claude Erignac, ont été placés en première ligne et ils ont souvent dû assumer et appliquer différentes politiques dont certaines étaient particulièrement clivantes ou manifestement contestables ou condamnables. Et pour avoir agi ainsi, sauf Bernard Bonnet qui a franchi la ligne rouge en prenant des initiatives et des décisions personnelles, et même s’ils ont été la cible de la critique et de la vindicte, aucun d’entre eux ne peut être taxé d’avoir été « un bon préfet » ou « un mauvais préfet ».
Ils n’ont fait que rester dans le cadre de leurs fonction. Quand en août 1975, les militants de l’ARC ont occupé la cave Depeille à Aleria, le préfet en place Gabriel Gilly a fait appel à des centaines de gendarmes et de CRS ainsi qu’à des hélicoptères et des blindés. Or, comme l’a souligné quelques années plus tard un de ses collègues le préfet Jean-Etienne Riolacci : « Gilly a été constamment court-circuité par le ministère de l'intérieur {…] Le fait que Poniatowski se soit occupé de tout a été la cause de ce vaste carnaval. » Ce même Jean-Etienne Riolacci qui été nommé préfet de Corse en août 1975, quelques jours après les événements d’Aleria, a par la suite assumé sans mot dire tous les agissements répressifs de l’Etat, y compris les moins recommandables.
Ce qui lui a valu de porter le chapeau du recours au Service d’Action Civique (SAC), police parallèle qui, sous l’étiquette FRANCIA, a perpétré des dizaines d’attentats à l’explosif contre les biens de militants nationalistes et projeté d’éliminer physiquement certains d’entre eux. Claude Vieillecazes, nommé préfet de Corse en avril 1979, a pour sa part été un quasi cas d’école de représentation de l’Etat et d’application fidèle d’une politique gouvernementale. Il a assumé en janvier 1981 les épisodes tragiques de l’affaire Bastelica-Fesch ayant découlé de la volonté de l’Etat de dissimuler une connivence avec le SAC. Il a mis en œuvre le plan de développement économique en lequel le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing et le Premier ministre Raymond Barre disaient voir une solution aux « problèmes de la Corse ». Enfin, en juillet 1981, il a de son plein gré demandé sa mise en congé spécial pour ne pas avoir à appliquer, en Corse ou ailleurs, une politique de gauche. Nommé préfet de Corse en février 1998, après l’assassinat de son prédécesseur Claude Erignac, Bernard Bonnet a lui incarné la vengeresse politique de « retour à l’état de droit » commandée par le Président de la République Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin, ce qui lui a valu d’être qualifié « d’homme qu’il faut, là où il faut » par le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement. On retiendra aussi que certains préfets ont dû avaler de grosses couleuvres. Ainsi le préfet de Haute-Corse André Viaud a dû, en novembre 1996, se plier à la volonté du ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré de laisser se dérouler la conférence de presse de Tralonca à l’occasion de laquelle le FLNC-Canal Historique a réuni des centaines de militants et de sympathisants armés. Enfin, il se dira peut-être un jour que Pascal Lelarge n’a fait que mettre en musique la politique corse dessinée en avril 2019, à Cuzzà, par le Président de la République Emmanuel Macron, à savoir réduire la marge de manœuvre de la majorité territoriale nationaliste.
Pierre Corsi