« Sintinelli », 40 ans d’histoire corse
Le spectacle réunit les univers artistiques de Laurent Simonpoli, scénariste et réalisateur, Frédéric Antonpietri, musicien et compositeur, Armand Luciani, photographe et vidéaste. Sur scène : du théâtre, des chansons en « live », des projections. Cette fiction s’inscrit dans l’histoire contemporaine récente – celle qu’on n’apprend pas à l’école. Celle dont la proximité temporelle est souvent gommée voire occultée. Et pourtant sans le rappel des souvenirs les plus brûlants, les plus nécessaires à graver dans une mémoire critique impossible d’inventer un avenir !
« Sintinelli » braque l’éclairage sur le vécu, les émotions, les tourments, les déchirements d’hommes et de femmes ordinaires qu’on peut croiser, tous les jours, dans la rue et non sur la grande histoire même si elle est constamment sous-jacente et soulignée par ces chants devenus hymnes ou professions de foi qui se sont au fil des ans imprimés dans les cœurs et les esprits. Très présent le riacquistu musical et vocal, mais « Sintinelli » démontre aussi combien il fut fait de société et acte politique qui bouleversèrent la Corse et modifièrent les consciences de beaucoup.
Du choc de Bastelica-Fesch au succès de nationalistes aux élections territoriales de 2015 on marche dans les pas de deux frères et d’un de leurs amis qui vont s’engager au FLNC. Réactions de leur entourage. Lutte clandestine. Attentats. Assassinats. Prison. Elargissement. Retour à la « normalité ». Honnêteté et sincérité des uns. Malhonnêteté et compromissions des autres. Dissensions au sein des nationalistes. Scission avec ses drames, ses deuils, son fol engrenage mortifère. Puis la raison reprend sa place. Enfin… Il faut reconstruire et là le rôle prédominant est dévolu à la jeunesse.
L’idée de « Sintinelli » taraude Laurent SImonpoli depuis plus de dix ans. D’abord elle a été film mais le cinéma français étant trop frileux dès qu’il s’agit d’histoire contemporaine immédiate, a fortiori de celle d’une île de Méditerranée loin du centre de la gouvernance, le réalisateur a décidé d’adapter son projet à la scène. Objectif ? Combler les lacunes des jeunes sur ce passé tout récent qui a amené des transformations profondes en Corse. User d’un regard sensible, bienveillant et surtout pas partial sur des personnes partie prenante ou témoins de cette période historique. Aider à la compréhension de ce qui peut maintenant paraitre… incompréhensible !
« On s’est interdit d’avoir une approche manichéenne ou de prendre parti pour tel ou tel camp. J’étais décidé à raconter des histoires vécues par des gens non à faire de l’histoire. » Laurent Simonpoli
Avez-vous, toute de suite, eu envie de réunir la parole dite, la musique, l’image ?
On a discuté entre nous pour évaluer la faisabilité du projet. Comme avec Frédéric Antonpietri et Armand Luciani on a déjà travaillé ensemble on a assez vite conclu que l’entreprise était de l’ordre du possible. On a donc mutualisé nos connaissances, nos compétences et convoquer nos univers réciproques à tous les trois.
Comment êtes-vous passé du scénario au théâtre, de l’écran à la scène ?
J’ai fait une adaptation de mon scénario initial en fonction des comédiens choisis et de ce qu’ils pouvaient apporter. J’ai aussi pris en compte la -les- musique(s) qui seraient intégrée(s) à « Sintinelli ». Au théâtre les personnages racontent. Au cinéma ils font. Ecrire pour la scène permet plus de liberté que le cinéma car on arrive plus aisément à enrichir un texte, à étoffer une évocation.
Chanteurs, musiciens, comédiens il y a beaucoup de monde sur scène dans « Sintinelli ». La distribution a-t-elle été facile à boucler ?
Pour moi, il était évident de faire appel au groupe « A Filetta ». Pareil pour les comédiens incarnant des personnages… sauf pour l’acteur, Antoine Albertini, qui joue Jacques et qui est le plus jeune de la distribution. Là, j’ai eu à chercher…
Que comporte la partie musicale dont s’est chargé Frédéric Antonpietri (Tonton) ?
« A Filetta » chante des chansons de son répertoire et des standards corses ainsi que des airs internationaux anglo-saxons dont les paroles sont traduites in lingua nustrale. Tonton a écrit des compositions dans une tonalité Morricone et Scorsese. Ses musiques originales participent à créer l’atmosphère, le climat du spectacle. Elles lui donnent sa résonance propre. Seules deux chansons sont interprétées en entier car les morceaux sont en si grand nombre qu’il ne pourrait en être autrement. Ces mélodies sont chantées par Patrizia Gattaceca et par Cédric Appietto. Il y a également des créations instrumentales dont l’exécution est confiée à Paul Cesari, guitare, cetera, Michè Dominici, batterie, percussions, Jean Marie Giannelli, basse acoustique et électrique, contrebasse.
Quel est le rôle d’Armand Luciani, photographe-scénographe ?
Il a réalisé des vidéos en particulier à partir d’images d’archives et utilisé des petits films tournés en super 8 dans les années 80 et 90 par nos parents. Ceux-ci donnent à voir des réunions familiales, des repas pris en commun. Ces images aident à situer le contexte historique et par leur grain mélancolique elles amènent une touche de douceur en contrepoint de la dureté de l’époque.
L’élaboration à trois du spectacle a-t-elle été longue ?
Avec Armand et Frédéric on y a travaillé un an durant. J’ai consacré l’été dernier à l’adaptation théâtrale du long métrage que j’avais prévu à l’origine tandis que mes complices s’occupaient des musiques et des images. Tous les trois on a tout fait en concertation.
Autour de quelles thématiques se développe la narration ?
Elle suit l’ordre chronologique. J’ai voulu avant tout traiter de l’engagement et aborder des questions qui me paraissent primordiales : qu’est-ce qu’être un homme dans des périodes tragiques ? Au bout du compte qu’est-ce qui reste en nous du tumulte des événements traversés ? Quelles sont les réactions d’une famille dans ces conditions. Je crois que lorsqu’on vit de tels épisodes on n’en sort pas indemne. Je me suis placé du point de vue des témoins et des acteurs des faits survenus dans les décennies 80 et 90. Et surtout j’ai évité de trier les bons d’un côté les méchants de l’autre. Asséner des réponses toutes prêtes à l’emploi n’était pas mon propos.
Quarante ans d’histoire vécue par une famille c’est long. Quel dispositif scénique avez-vous retenu ?
On a opté pour la sobriété : un comptoir de bar pour évoquer la vie du village. Une table pour mettre en évidence la vie familiale. Un banc dans un coin pour représenter la vie à l’extérieur… Il y a simplement trois zones de jeu où évoluent les comédiens afin de privilégier l’imaginaire et non le didactisme. La scène est partagée par dix comédiens, dix chanteurs, cinq musiciens qui sont au fond. Le timing à respecter est très pointu puisque le spectacle comprend 35 morceaux de musique !
Dans « Sintinelli » les personnages de femmes sont ultra minoritaires. Est-ce pour refléter ce qui se passe dans l’histoire et la société corse ?
Certes il n’y a que trois rôles féminins : une mère, une sœur, une jeune femme dont un protagoniste masculin est amoureux. S’ils ne font pas nombre les personnages de femmes sont importants… Par ailleurs le spectacle parlant d’engagement et de violence il ne semble plus logique qu’il y ait beaucoup plus d’hommes sur scène !
Le spectacle montre des brûlures à vif qui ont du mal à cicatriser ainsi que des deuils subis comme des mutilations de l’âme. Quel était l’écueil dans lequel vous ne deviez pas tomber ?
On s’est interdit d’avoir une approche manichéenne ou de prendre parti pour tel ou tel camp. J’étais décidé à raconter des histoires vécues par des gens non à faire de l’histoire. Dans « Sintinelli » des personnages sont portés par le mouvement, d’autres sont brisés. Il ne fallait surtout pas se limiter aux événements stricto sensu mais insuffler de la densité, de l’épaisseur humaine.
L’apaisement est-il venu… véritablement ?
Je crois que la jeune génération est plus mûre que celle de ses parents.
« Sintinelli » est-il un spectacle total ?
C’est notre ambition. En tous cas la forme de ce spectacle est inédite ici…
Distribution
Comédiens : Nathanaël Maïni, Cédric Appietto, Jean Claude Acquaviva, Patrizia Gattaceca, Francine Massiani, Doria Ousset, Christian Ruspini, Jean Emmanuel Pagni, Antoine Albertini, le groupe « A Filetta ».
Musiciens : F. Antonpietri, P. Cesari, JM. Giannelli, N. Torracinta, M. Dominici.