Algérie : bilan en demi -teinte pour le Hirak
Le Hirak a été l'expression d'une unité nationale et d'une avancée démocratique. Il est toutefois jugé selon deux appréciations.
Algérie : bilan en demi-teinte pour le Hirak
Le Hirak a été l’expression d’une unité nationale et d’une avancée démocratique. Il est toutefois jugé selon deux appréciations.
Hirak signifie étymologiquement « mouvement ».
Ce mot est employé dans le monde arabe pour désigner des protestations ou des soulèvements populaires.
En Algérie, le Hirak a débuté en février 2019 par des manifestations dans deux petites villes. Le 22 février, il a fait tâche d’huile. A Alger et dans la plupart des grandes et petites villes, des manifestations ont éclaté pour protester contre l’intention prêtée à l’entourage du président de la République sortant Abdelaziz Bouteflika (physiquement et intellectuellement très diminué après avoir été atteint d’un AVC en 2013), de maintenir ce dernier au pouvoir dans le cadre d'une transition et d’une mise en œuvre de réformes, et de lui faire solliciter un cinquième mandat.
Ces manifestations ont conduit à la démission d’Abdelaziz Bouteflika le 2 avril 2019 après que l’Armée lui ait retiré son soutien. Il a été remplacé par un président par intérim : Abdelkader Bensalah. Des dignitaires du régime, dont plusieurs ministres, ont alors été arrêtés. Les manifestations n’ont cependant pas cessé. Les participants exigeaient la mise en place d'une transition politique (nomination d'un président et d'un gouvernement de consensus) ayant pour mandat de mettre en place des réformes. Arguant que cette exigence était inconstitutionnelle et source d'instabilité, l’Armée l’a rejetée. Les militaires se sont aussi opposés à la convocation d’une assemblée constituante et à des élections législatives anticipées. Abdelkader Bensalah a été maintenu à la présidence au-delà des trois mois de la période d'intérim.
Durant l'été 2019, avec l’annonce de l’organisation d’une élection présidentielle avant la fin de l'année, la mobilisation populaire a marqué le pas. Elle a repris durant l’automne sans toutefois réunir les foules du début de l’année. Les manifestants rejetaient toute élection présidentielle organisée sous l'égide du pouvoir en place sortant et les cinq candidats retenus (« caciques » proches de l’ancien « système Bouteflika » ou des militaires). Des manifestations importantes ont cependant éclaté avant l’élection présidentielle qui a eu lieu en décembre 2019.
Cette résurgence du Hirak a alors été réprimée (arrestations de manifestants, d’opposants et de journalistes, blocage des accès à Alger pour empêcher les habitants du reste du pays de venir manifester, censure de médias...) Dès après son élection, des manifestants ont réclamé la démission du président de la République Abdelmadjid Tebboune.
Toutefois, au début de l’année 2020, des prisonniers politiques ayant été libérés et le nouveau président ayant annoncé le lancement d’une réforme constitutionnelle, le nombre de manifestants a fortement baissé alors que des opposants qui étaient considérés comme les plus radicaux étaient arrêtés et condamnés à de lourdes peines. Puis la pandémie Covid-19 a conduit à la suspension des manifestations.
Deux appréciations
Depuis le Hirak ne donne plus lieu qu’à des manifestations sporadiques et peu suivies.
Le 22 février dernier, à l’occasion du troisième anniversaire, seules des poignées d’individus ont tenté de se rassembler dans quelques villes du pays.
Quel bilan tirer du Hirak ? Il a d’abord été donné à voir qu’une revendication pacifique et une répression contenue étaient devenues possibles dans un pays où, trois décennies plus tôt, la remise en cause du régime en place issu de la Guerre d’Indépendance avait débouché sur un affrontement entre l’Armée et une majorité électorale islamistes puis sur un bain de sang.
Le Hirak a aussi été l’expression d’une unité nationale et d’une avancée démocratique. Durant les premiers mois, les querelles politiciennes et les revendications sectorielles ont cédé le pas à des débats sur la réforme de l’État et la bonne gouvernance.
Le Hirak est toutefois jugé selon deux appréciations. Le pouvoir en place considère qu’il a pris fin et qu’il a été marqué par d’importantes étapes ou avancées : départ d’Abdelaziz Bouteflika, emprisonnement de dignitaires, procès anti-corruption, élection présidentielle, révision de la Constitution.
En juin 2021, le président Abdelmadjid Tebboune a en ce sens déclaré : « Le Hirak authentique béni a sauvé l’Algérie d’une véritable catastrophe. »
Par contre, de nombreux Algériens regrettent que ne soit pas intervenu un véritable changement et déplorent que l’incapacité des principaux meneurs du Hirak de s’organiser ou de saisir les offres de dialogue aient conduit au découragement du peuple et à des radicalisations du discours sans perspective. Ces Algériens soulignent aussi que si l’Algérie a gagné en culture de la contestation pacifique et du débat démocratique, elle est loin d’être sortie d’affaire. Ils rappellent que leur pays : compte des détenus politiques ; reste confronté à l’hypertrophie de l’administration, à un système politique archaïque, à la gestion mafieuse de secteurs économique, à l’influence prépondérante de l’Armée ; rencontre d’énormes problèmes économiques et sociaux (dépendance aux revenus gazier et pétrolier, Covid-19, inflation, précarité, chômage de masse de la jeunesse). Ces Algériens appellent en fait de leurs vœux un certain conservatisme de l’État et de l’Armée (garants de sécurité des personnes et des biens et de la protection du pays contre les groupes islamistes armés et les turbulences géopolitiques) mais aussi une évolution vers un État moderne et régulateur en capacité de traiter les dossiers cruciaux (assainissement des pratiques politiques, équilibre des finances publiques, bonne utilisation de l’exploitation des matières premières et des revenus en étant tirés, lutte contre la pauvreté, développement productif de l’agriculture, changement climatique, numérisation des pratiques…)
Enfin, ces Algériens mettent l’accent sur la nécessité de nouvelles avancées démocratiques passant en particulier par une communication publique et des grands médias moins propagandistes ou sous contrôle, et des partis politiques proposant de véritables projets de société plutôt que d’en rester à n’être que des groupes d’intérêts qui ne recherchent que conserver le pouvoir ou y accéder.
Alexandra Sereni
Le Hirak a été l’expression d’une unité nationale et d’une avancée démocratique. Il est toutefois jugé selon deux appréciations.
Hirak signifie étymologiquement « mouvement ».
Ce mot est employé dans le monde arabe pour désigner des protestations ou des soulèvements populaires.
En Algérie, le Hirak a débuté en février 2019 par des manifestations dans deux petites villes. Le 22 février, il a fait tâche d’huile. A Alger et dans la plupart des grandes et petites villes, des manifestations ont éclaté pour protester contre l’intention prêtée à l’entourage du président de la République sortant Abdelaziz Bouteflika (physiquement et intellectuellement très diminué après avoir été atteint d’un AVC en 2013), de maintenir ce dernier au pouvoir dans le cadre d'une transition et d’une mise en œuvre de réformes, et de lui faire solliciter un cinquième mandat.
Ces manifestations ont conduit à la démission d’Abdelaziz Bouteflika le 2 avril 2019 après que l’Armée lui ait retiré son soutien. Il a été remplacé par un président par intérim : Abdelkader Bensalah. Des dignitaires du régime, dont plusieurs ministres, ont alors été arrêtés. Les manifestations n’ont cependant pas cessé. Les participants exigeaient la mise en place d'une transition politique (nomination d'un président et d'un gouvernement de consensus) ayant pour mandat de mettre en place des réformes. Arguant que cette exigence était inconstitutionnelle et source d'instabilité, l’Armée l’a rejetée. Les militaires se sont aussi opposés à la convocation d’une assemblée constituante et à des élections législatives anticipées. Abdelkader Bensalah a été maintenu à la présidence au-delà des trois mois de la période d'intérim.
Durant l'été 2019, avec l’annonce de l’organisation d’une élection présidentielle avant la fin de l'année, la mobilisation populaire a marqué le pas. Elle a repris durant l’automne sans toutefois réunir les foules du début de l’année. Les manifestants rejetaient toute élection présidentielle organisée sous l'égide du pouvoir en place sortant et les cinq candidats retenus (« caciques » proches de l’ancien « système Bouteflika » ou des militaires). Des manifestations importantes ont cependant éclaté avant l’élection présidentielle qui a eu lieu en décembre 2019.
Cette résurgence du Hirak a alors été réprimée (arrestations de manifestants, d’opposants et de journalistes, blocage des accès à Alger pour empêcher les habitants du reste du pays de venir manifester, censure de médias...) Dès après son élection, des manifestants ont réclamé la démission du président de la République Abdelmadjid Tebboune.
Toutefois, au début de l’année 2020, des prisonniers politiques ayant été libérés et le nouveau président ayant annoncé le lancement d’une réforme constitutionnelle, le nombre de manifestants a fortement baissé alors que des opposants qui étaient considérés comme les plus radicaux étaient arrêtés et condamnés à de lourdes peines. Puis la pandémie Covid-19 a conduit à la suspension des manifestations.
Deux appréciations
Depuis le Hirak ne donne plus lieu qu’à des manifestations sporadiques et peu suivies.
Le 22 février dernier, à l’occasion du troisième anniversaire, seules des poignées d’individus ont tenté de se rassembler dans quelques villes du pays.
Quel bilan tirer du Hirak ? Il a d’abord été donné à voir qu’une revendication pacifique et une répression contenue étaient devenues possibles dans un pays où, trois décennies plus tôt, la remise en cause du régime en place issu de la Guerre d’Indépendance avait débouché sur un affrontement entre l’Armée et une majorité électorale islamistes puis sur un bain de sang.
Le Hirak a aussi été l’expression d’une unité nationale et d’une avancée démocratique. Durant les premiers mois, les querelles politiciennes et les revendications sectorielles ont cédé le pas à des débats sur la réforme de l’État et la bonne gouvernance.
Le Hirak est toutefois jugé selon deux appréciations. Le pouvoir en place considère qu’il a pris fin et qu’il a été marqué par d’importantes étapes ou avancées : départ d’Abdelaziz Bouteflika, emprisonnement de dignitaires, procès anti-corruption, élection présidentielle, révision de la Constitution.
En juin 2021, le président Abdelmadjid Tebboune a en ce sens déclaré : « Le Hirak authentique béni a sauvé l’Algérie d’une véritable catastrophe. »
Par contre, de nombreux Algériens regrettent que ne soit pas intervenu un véritable changement et déplorent que l’incapacité des principaux meneurs du Hirak de s’organiser ou de saisir les offres de dialogue aient conduit au découragement du peuple et à des radicalisations du discours sans perspective. Ces Algériens soulignent aussi que si l’Algérie a gagné en culture de la contestation pacifique et du débat démocratique, elle est loin d’être sortie d’affaire. Ils rappellent que leur pays : compte des détenus politiques ; reste confronté à l’hypertrophie de l’administration, à un système politique archaïque, à la gestion mafieuse de secteurs économique, à l’influence prépondérante de l’Armée ; rencontre d’énormes problèmes économiques et sociaux (dépendance aux revenus gazier et pétrolier, Covid-19, inflation, précarité, chômage de masse de la jeunesse). Ces Algériens appellent en fait de leurs vœux un certain conservatisme de l’État et de l’Armée (garants de sécurité des personnes et des biens et de la protection du pays contre les groupes islamistes armés et les turbulences géopolitiques) mais aussi une évolution vers un État moderne et régulateur en capacité de traiter les dossiers cruciaux (assainissement des pratiques politiques, équilibre des finances publiques, bonne utilisation de l’exploitation des matières premières et des revenus en étant tirés, lutte contre la pauvreté, développement productif de l’agriculture, changement climatique, numérisation des pratiques…)
Enfin, ces Algériens mettent l’accent sur la nécessité de nouvelles avancées démocratiques passant en particulier par une communication publique et des grands médias moins propagandistes ou sous contrôle, et des partis politiques proposant de véritables projets de société plutôt que d’en rester à n’être que des groupes d’intérêts qui ne recherchent que conserver le pouvoir ou y accéder.
Alexandra Sereni