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Arabacciu », un court-métrage d’Alexandre Oppecini sur le racisme anti-arabe, sujet assez délaissé par le cinéma corse, du moins frontalement…

« Arabacciu » sur Arte.tv
Un film d’Alexandre Oppecini


« Arabacciu », un court-métrage d’Alexandre Oppecini sur le racisme anti-arabe, sujet assez délaissé par le cinéma corse, du moins frontalement… Une nuit. Un bistrot anonyme d’un bord de route. Une femme. Un maghrébin. Des fiers à bras. Voilà les ingrédients d’un drame ordinaire sur l’île avec in fine une jolie et délicate surprise.



Stella, peut-être une pute. Elle est accoudée au comptoir du bar. Hakim, un arabe assurément, peut-être un brave type, peut-être un arnaqueur. Il boit une bière. Le bistrotier désabusé a envie d’aller se coucher. Des malabars hurlent soudain au voleur de portable. Faut-il les croire ? Castagne car l’accusé – ramasseur de clémentines venu du Maroc– se rebiffe. La prostituée tout à une mal-vie qu’elle tente de délayer dans des canons de rouge, prend fait et cause pour l’agressé. Le cafetier aussi.

L’intérêt d’«Arabacciu », outre son thème, est de nous surprendre tant les réactions des personnages peuvent aller à l’opposé de ce qu’on attend et tant la caméra parvient à révéler de vécus de souffrance captés sur les visages de Stella ou d’Hakim et ce bien au-delà d’apparences trompeuses. Des liens vont ainsi progressivement se tisser entre l’ouvrier agricole maghrébin et la femme qui n’en finit plus de noyer son mal de vivre dans le vin. Des liens tenus, fragiles. Des liens qui sont ce qu’ils sont…

Alexandre Oppecini sait filmer les visages de ses héros avec tendresse ou âprement. Il ne les enjolive pas. Il les malmène s’il le faut ! Et leur vérité de se dévoiler dans leur ambiguïté. Charlotte de Casanova est une Stella cabossée par l’existence. Une femme dont l’histoire se résume par les objets enfouis pêle-mêle dans son sac. Elle est parfaite dans un rôle aiguisé d’aspérités, broyée dans des angoisses encore plus redoutables de nuit, mais à qui le jour va accorder une sorte de rédemption, une fois pulvérisé le puzzle de ses échecs et déboires. Lyes Kaouah en Hakim qui manie si bien la fable, le conte, la poésie, est tout à fait convaincant tant sous les boucles de sa barbe il y a de la malice et cette clairvoyance dont seuls les enfants sont pourvus. La caméra d’Oppecini saisit avec dextérité les périodes où l’obscurité reflète les états d’âme des personnages et le temps où s’épanouit la clarté du jour porteuse d’une embellie. D’une promesse de devenir… peut-être !

Alexandre Oppecini est un metteur en scène et un auteur très occupé. Sur son agenda : sa pièce « T-REX, à l’affiche du Lucernaire à Paris et un spectacle pour se souvenir de la catastrophe de Furiani – il y a trente ans – à base de témoignages, spectacle programmé au théâtre de Bastia et diffusé sur Via Stella.



En 2012 Alexandre Oppecini créée « La Compagnie Spirale ». Comédien il écrit plusieurs pièces : « Davia, la sultane corse », « T-REX », « Main dans la main », « Paroles d’étoiles ». Pour le cinéma il est le réalisateur de « Sur tes traces ».



                        ENTRETIEN AVEC ALEXENDRE OPPECINI


Faire un film sur la façon dont les maghrébins sont vus par les Corses, vous tenait-il à cœur depuis longtemps ?
Né et grandi à Bastia j’ai toujours senti qu’il y avait une relation étrange entre insulaires et maghrébins. Mais c’est lors de mes études sur le continent que j’ai perçu avec plus d’acuité cette singularité, pour autant ce n’était pas une de mes priorités de cinéaste ! Bien sûr pour écrire et monter ma pièce, « Davia, la sultane corse », je m’étais déjà beaucoup renseigné sur l’islam et l’histoire de la Méditerranée. Cependant c’est surtout lors de la présentation de mon premier court-métrage, « Sur tes traces », en Kabylie et au Maroc que j’ai vraiment ressenti le besoin d’en savoir plus sur la culture du Maghreb.


Pourquoi le choix d’un bistrot, qu’on peut situer sur la Plaie Orientale, comme cadre et d’une protagoniste qui est une prostituée ?
A Bastia, arabes et Corses ne se mélangent pas dans les cafés alors que sur la Plaine Orientale ça arrive. Mon personnage de Hakim, le cueilleur de clémentines, et celui de Stella appartiennent à la famille des invisibles qu’on croise sans les voir… sauf dans quelques bistrots. Mais à la réflexion est-elle vraiment une putain ? Est-il avec certitude un voleur ? Je ne tranche pas car ce sont les étiquettes dont on les affuble qui m’intéressent. Pareil au sujet du genre de mon film. Thriller ? Action ? Comédie romantique ?... Ce que je voulais c’était prendre le contrepied des évidences et surtout bannir tout moralisme.


Dans « Sur tes traces » la violence faite à l’enfant était très forte, dans « Arabucciu » avec le racisme c’est une autre forme de violence qui est en cause. La violence est-elle une dynamique motrice au cinéma ?
C’est le conflit qui est forcément moteur de la dramaturgie. J’aime parler des marginaux et ils doivent se forger dans la violence car le monde les repousse… Je vois dans le cinéma une manière de filmer décors et personnages comme étant la symbolisation de ce qui se passe à l’intérieur de mes héros. En l’occurrence ils vivent dans le stress et le danger. Le bar est lui-même dangereux et le comptoir matérialise que leur horizon est bouché. Barré. A l’inverse le matin quand ils sont sur la plage dans la nature leurs regards portent au loin…


Accordez-vous beaucoup d’importance à filmer les visages ?
Des acteurs je n’attends pas la beauté plastique. Je souhaite qu’ils ne soient pas physiquement extraordinaires. Là, je voulais qu’ils aient des visages un peu abîmés, un peu énigmatiques. Charlotte de Casanova, qui interprète Stella, est parfois très dure, parfois très belle. Lyes Kaouah, qui joue Hakim, a des traits plutôt enfantins mais aussi filous. En présence de Stella il a un côté mystérieux et ambivalent.


Comment choisissez-vous vos comédiens ? Comment les dirigez-vous ?
Je fais des castings et les comédiens corses je les connais ! Pour Lyes Kaouh un professionnel, qui travaille avec le sud de la Méditerranée, m’a aiguillé sur lui. Immédiatement il a été une évidence pour le rôle. Ma direction d’acteurs c’est beaucoup de discussions sur les personnages, de questionnements, de mises au point. Sur le plateau je peux ensuite les laisser libres. Pour « Arabacciu » on a travaillé réplique par réplique afin que s’établissent un lien entre Stella et Hakim. A Charlotte de Casanova j’ai en particulier demandé qu’elle retienne fort son émotion.


De quelle manière avez-vous échappé aux clichés qui pèsent sur la prostituée au cinéma ?
Finalement on s’enfiche que Stella soit une putain… Ce qui importe c’est le contenu de son sac qui est un condensé de sa vie : papiers du juge et de la banque, cachets pour tenir le coup, conseils de développement personnel, etc…


« Arabacciu » connote également un conte, « Le petit Poucet », de Perrault et a des aspects très poétiques ?
Certes on passe du drame corse au petit conte de fée dont Hakim est le génie. Tant en Kabylie qu’au Maroc où j’ai présenté mon court-métrage précédent j’ai été frappé par la façon poétique, simple, touchante dont les jeunes évoquaient la nature, les constellations et cette naïveté, cette sincérité j’ai voulu les retrouver chez Lyes-Hakim.


Diriger des comédiens sur une scène de théâtre ou devant une caméra est-ce très différent ?
Au théâtre il faut restituer autrement ce que la caméra va chercher sur le visage des acteurs… Mais dans le fond c’est pareil !


Comment se présente votre pièce, « T-REX, à l’affiche du Lucernaire de Paris ?
« T-REX » est joué du 23 mars au 8 mai. C’est Antoine Gouy qui incarne le protagoniste de la pièce, qui est une comédie sur la vie de bureau dans un open space. Il a déjà interprété ce rôle une vingtaine de fois dont à Avignon en 2019. Il est très drôle à la fois chaton et puissant !

Propos recueillis par M.A-P

* Représentations au Lucernaire du mardi au samedi à 21 h et le dimanche à 17 h 30.
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