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BD à Bastia du 31/3 au 3/4

<< Main basse sur une île >> en SF !
BD à Bastia du 31/3 au 3/4
« Main basse sur une île » en SF !


Des expositions à Una Volta, à L’Arsenal, au Musée de la ville, à la Bibliothèque centrale et à celle du Nebbio. Une vingtaine d’auteurs et d’illustrateurs de France mais aussi des Etats-Unis, d’Allemagne, de Suisse. Une douzaine de rencontres avec les invités. Des ateliers. Des visites guidées. Alléchant le programme 2022 de BD à Bastia.



Parmi les artistes de cette édition Hugues Micol occupe une place à part. Parce que ses planches sont exposées au Musée. Parce que son dernier album, « Agughia », se déroule à Porto Vecchio dans un demain infernal. Parce que, paru il y a deux ans, « Black-out » a reçu le prix René Goscinny à Angoulême. Parce que son livre « Whisky » offre des images de toute beauté.

« Agughia » n’est ni plus ni moins qu’une version science-fiction du mémorable, « Main basse sur une île », livre phare d’une génération ! « Agughia », des touristes partout et partout en surnombre. Une société dite de développement, véritable ogre dévorant tout. Des ballets de voitures envahissant le ciel. Des plages climatisées. Des tours érigées dans des réserves naturelles. Des drones en veux-tu en voilà. D’immenses rôtissoires à bronzer de vacanciers. Des « Rages de vert » qui tentent de protéger ce qui subsiste. Agughia, petite voleuse, fine, hardie qui résiste aux « Voltigeurs » expédiés du continent. L’île débitée à la découpe et morceaux voguant dans la stratosphère. Vision cauchemardesque. Hugues Micol tire le signal d’alarme sur les méfaits mortifères d’une spéculation immobilière implacable. Mais le maître qu’il est, sait également manier avec excellence les couleurs et le graphisme. On est impressionné par son récit sans en être toutefois accablé, car au détour l’ironie invite au sourire. Car subitement l’humour apporte une tendre respiration. Car les occasions de rire franchement surgissent, apaisantes.

Avec « Black-out », en compagnie de sa complice, Loo Hui Phang au texte, il nous fait découvrir l’envers de la carte postale hollywoodienne et le spectacle n’est pas joli-joli. La fabrication brutale des stars y voisine avec les discriminations raciales les plus insupportables. A travers l’acteur, Maximus Wyld, condensé de tout ce qu’honnit l’Amérique blanche, dessinateur et scénariste brossent l’histoire cachée d’Hollywood et ils ont de quoi faire ! Maximus n’est-il pas en effet un peu noir, un peu jaune, et très rouge puisqu’il descend d’un chef indien et que sa sensibilité politique penche très à gauche ! Les deux créateurs soulignent aussi des concordances de temps révélatrices : la naissance de la Mecque du 7 ème art coïncide avec la promulgation de la législation ségrégationniste, Jim Crow. Curieux hasard ?…


A voir : « Voyage » du Berlinois, Sebastian Lörscher, « Cammini » exposition collective de Nicolas de Crécy, Alix Garin, Alfred, Nyslo, Ulli Lust, Tronchet. Suivre les traces de « La fille maudite du capitaine pirate » de l’Américain, Jeremy Bastian. Caresser « Cabot-Caboche » de Grégory Panaccione. Pénétrer dans l’univers médiévale de Juliette Mancini. Admirer la palette de l’illustratrice, Marie Migraine.



ENTRETIEN AVEC HUGUES MICOL


La BD, une passion d’enfance ?

Enfant je consommais beaucoup de bandes dessinées. Puis j’ai décroché un moment car la BD était en crise. Heureusement cette étape a été surmontée à l’arrivée de nouveaux auteurs et de nouvelles maisons d’édition. Je suis revenu à mes premières amours et j’ai publié mon premier album à 30 ans.


Dans « Agughia » vous êtes au texte et au dessin. Est-ce pour dominer complétement votre sujet ?

J’aime être maître à bord. Parce qu’« Agughia » est de la science-fiction et se passe en Corse, je préférai maîtriser dessin, couleur, scénario. Cet album je l’ai pensé pendant quatre ans et je l’ai réalisé en un an et demi, une fois que j’ai achevé le texte… De toutes façons je n’ai pas de problème à rester longtemps à ma table à dessin. Je suis un obsessionnel du travail ! Quand je suis sur un projet de BD, j’ai du mal à m’arrêter.


Le tire de l’album, « Agughia » fait songer à une anguille. Est-ce une métaphore ?

L’héroïne s’appelle Agughia parce que c’est une petite voleuse rapide, agile, parce qu’elle glisse entre les doigts de ses poursuivants.


Peut-on dire de cet album que c’est une dystopie ?

On pourrait !... Mais dystopie fait trop sérieux. Pour moi cet album tient plutôt de la fable car il y a de l’humour et l’ambiance est légère ce qui n’empêche pas la réflexion. Même si le ton et le sujet sont amers, « Agughia » est surtout caustique.


Pourquoi des couleurs si acidulées ?

Parce qu’on est dans un endroit voué à la suractivité touristique où il y a beaucoup de lumières, beaucoup de mouvement, beaucoup de couleurs et de bruit afin de fabriquer une atmosphère douce qui est au fond… très agressive.


« Agughia » propose une extrapolation en SF du tourisme échevelé à Porto Vecchio. Comment ce sujet s’est imposé à vous ?

Je vais à Porto Vecchio depuis 1978 et j’ai vu toutes les transformations de cette ville. Enfant sur la plage il y avait une barraque à crêpes… toujours fermée. Maintenant il y a quatre restaurants. Boîtes de nuit, parkings, magasins de luxe se sont multipliés.


Votre album est une attaque frontale contre la spéculation immobilière ?

On voit des choses assez folles et en même temps bien des gens n’arrivent pas à se loger ! C’est un vrai problème pour les Corses. A Paris il y a également des analogies avec l’île car les Parisiens sont eux aussi dépossédés de leur ville par la spéculation… Il y a encore beaucoup à redire de Sperone, véritable camp retranché de la jet set !


L’urne funéraire qu’on découvre dans « Agughia » est-ce le symbole de la mort de l’île, et des Corses avalés par les magnas du fric ?

Pour moi cette urne symbolise mon héroïne qui a conservé le sens des anciens et le respect des morts… perdus ailleurs. A vous lectrice d’y mettre votre ressenti… Je ne suis pas aussi inquiet que vous !


Dans « Black-out » qui met en scène un acteur, aux multiples origines, effacé des mémoires par le maccarthisme vous êtes au dessin et Loo Hui Phang au texte. De quelle manière avez-vous œuvré ensemble ?

Avec cette scénariste on avait déjà fait un album en commun. On s’entend bien. C’est elle qui a eu l’idée de ce personnage qui résume en lui – black, indien, asiatique – tout ce qui est discriminant aux Etats-Unis et qui pourtant fait l’identité de ce pays. Au fond il est de ces invisibles que je suis à l’aise de dessiner.


Dans « Agughia » il y a des cases alors que dans « Black-out » il n’y en a pas. Qu’est-ce qui vous guide vers telle ou telle option ?

Pour « Agughia » je voulais m’inscrire dans la tradition de la BD des années 70 d’où mon choix des cases et de la couleur. Pour « Black-out » album moins classique, qui comporte beaucoup de texte, il fallait que les choses respirent et ne pas surajouter d’informations d’où le refus des cases et l’option du noir et blanc.


Préférez-vous travailler en duo avec un ou une scénariste ou être seul aux commandes
?
Quand je suis seul, je doute de tout et l’écriture plus le dessin c’est compliqué à architecturer. En duo je stresse moins puisque je n’ai plus qu’à me concentrer sur le dessin.


L’album «, « Whisky » échappe aux règles de la BD ?

C’est le résultat d’une démarche personnelle, une œuvre picturale à placer dans le style « art et essai ». C’est une recherche sur le thème du western, des lumières du désert, qui m’est cher depuis l’enfance… Je dessine, je peins toujours à l’instinct, jamais en intellectualisant.


Propos recueillis par M. A-P




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