Quand les uns et les autres vacillent
Le président de l'exécutif corse a jugé bon de mettre en berne les drapeaux qui pavoisaient les immeubles de la Collectivité lorsque nous est revenue la dépouille d 'Yvan Colonna.
Quand les uns et les autres vacillent
Le président de l’exécutif corse a jugé bon de mettre en berne les drapeaux qui pavoisaient les immeubles de la Collectivité lorsque nous est revenue la dépouille d’Yvan Colonna. Puis il a porté le cercueil du défunt, ce qui en Corse est loin de représenter une attitude anonyme qui ne fait que prolonger un drame entamé en février 1998 par l’assassinat du préfet Claude Érignac. Et, hélas, cela risque fort de ne pas le fermer.
Précautions psychologiques
Il ne s’agit pas ici de porter un quelconque jugement sur la victime, condamnée à trois reprises bien qu’elle ait toujours proclamé son innocence.
Nous devons respecter sans aucun doute possible la douleur de la famille, des amis et des camarades de combat d’Yvan Colonna. Rien de plus honorable que cette fidélité, n’en déplaise aux politiques continentaux.
Mon propos est ici de relever les fautes commises d’un côté par le président de la République et son envoyé, le ministre de l’Intérieur et par le président de l’exécutif corse, lequel a mélangé ses « trois personnes » mettant ainsi en difficulté la Corse.
Il faut d’abord remonter au mois de février 1998. Le préfet Érignac est assassiné à Ajaccio. Les rumeurs les plus folles courent sur les raisons de cet acte. On parle de la mafia, de tueurs étrangers. Ce sont paradoxalement les dirigeants du bloc Cuncolta-Canal historique qui, les premiers dans les pages du Ribombu, évoquent une « dérive brigadiste » et des « soldats perdus ». 40 000 personnes marchent dans les rues d’Ajaccio pour dénoncer le crime, la plus grosse manifestation depuis la Libération. Malgré cela, les Corses dans leur globalité sont restés dans la mémoire de la haute fonction publique française comme des « préfeticides ». Lors de la nième cérémonie de commémoration (on aimerait que les grands résistants aient droit à autant d’égards), le président Macron avait invité l’exécrable Jean-Pierre Chevènement, l’homme qui avait adoubé le non moins détestable préfet Bonnet.
Rappelons-nous le scandaleux discours d’Emmanuel Macron tenu devant le président de l’exécutif corse lequel avait également été l’avocat d’Yvan Colonna : « Le meurtre du préfet Érignac, une “infamie qui a déshonoré à jamais ses auteurs, ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s’explique pas” niant ainsi aux auteurs réels ou présumés du crime le droit élémentaire d’être défendus, mais surtout ne cherchant pas à comprendre les racines de cette fameuse question corse qui, depuis un demi-siècle, se rappelle avec plus ou moins de cruauté au bon souvenir de la République.
Alors oui l’assassinat du préfet fut un crime et une faute. Mais ses auteurs incarnaient un mal qu’il convenait de comprendre serait-ce pour mieux y mettre fin.
Une affaire de drapeaux
Les drapeaux ne sont jamais que des symboles, mais des symboles essentiels qui ont parfois été cause de guerre. Dans ce domaine, entre la Corse et l’État chacun y est allé de ses maladresses. Le président de l’exécutif corse a eu tort de retirer le drapeau français de son bureau. Lorsqu’on revendique l’autonomie dans le cadre français, on se situe dans le cadre national et on conserve le drapeau tricolore. Le président Macron, de manière puérile, y a répondu en refusant, lors de son passage à Bastia, de pavoiser la tribune officielle aux couleurs insulaires. C’était une faute psychologique et politique. Il a ensuite fait fouiller les élus corses leur signifiant qu’il ne leur accordait aucune confiance. C’était inutile et humiliant.
Dernier épisode en date : pour honorer le retour de la dépouille d’Yvan Colonna, Gilles Simeoni a fait mettre les drapeaux en berne donnant le sentiment que la Corse saluait l’assassin du préfet Érignac. Puis il a tenu à porter le cercueil du défunt soulignant sa proximité de cœur et de raison avec le défunt. Il a confondu son affect avec son rôle officiel. Il n’avait aucun droit de confisquer la symbolique des drapeaux aux seules fins du chagrin ressenti par ses amis et alliés. Le drapeau est l’affaire de tous. Le deuil d’Yvan Colonna ne l’est pas, aussi respectable soit-il.
La confusion des trois personnes
Gilles Simeoni est un individu qui possède le droit sans limites d’exprimer ses préférences privées, ses joies et ses douleurs. Il a été l’avocat d’Yvan Colonna. À ce titre, il défendait un client ce qui lui fixait des limites légales. Il est enfin le président de l’exécutif de la Corse et, à ce titre, il ne s’appartient plus. Il est l’incarnation de notre peuple dans toute sa diversité. Il doit comprendre que pour un nombre indéterminé de Corses, Yvan Colonna n’est pas un héros, mais au pire l’homme qui a tué le préfet Érignac (et d’ailleurs ne l’est-il pas pour tous ceux qui inscrivent sur les murs “Glori’à tè Yvan” ?) au mieux une victime innocente qui de ce fait n’a aucune raison d’être vénéré comme un héros antique. On ne salue pas l’héroïsme d’un homme assassiné (fut-il préfet d’ailleurs), on le plaint, on le pleure. C’est tout. Gilles Simeoni a commis une double erreur qui risque de peser lourd dans les discussions avec l’État. Alors qu’il semblait être devenu un interlocuteur de valeur pour les représentants de l’état, le voilà redescendu au rang de partisan et de partisan sans vision de surcroît.
Un piège qui va se refermer sur Femu
Il est très vraisemblable que le président de l’exécutif ne s’est pas seulement laissé emporter par une vague émotionnelle que jusque-là il donnait l’impression de dominer. Au lieu de regarder au loin, c’est-à-dire vers les négociations à venir, il s’est retrouvé l’esclave de ses émotions et de ses calculs politiques locaux. Il a confondu son rôle officiel avec les deux autres. Et ce faisant, il a mis les pieds dans un redoutable piège.
D’une part, il a affaibli sa position vis-à-vis de l’État qui était pourtant en position moins solide qu’on ne le croit. Gérard Darmanin se serait fait sérieusement reprendre par le président Macron pour avoir promis plus qu’il n’en avait le droit. Ce dernier est parfaitement conscient qu’à moins d’un tsunami législatif, il n’aura jamais les moyens d’imposer une réforme constitutionnelle. Mais son ministre l’avait promis et c’était une force pour Simeoni de le rappeler. Il vient de la ruiner, mais surtout, il s’est livré pieds et poings liés aux autres partis nationalistes qui n’attendent que l’occasion de lui couper les jarrets. En se rangeant à leurs arguments, il est condamné à subir leur surenchère sans pouvoir s’appuyer sur des concessions que lui octroierait un état peu disposé à lui faire des cadeaux. Bref, en pensant se renforcer localement, il s’est singulièrement affaibli.
Le pire est à venir
Pour défendre Yvan Colonna mis en cause par presque tous les autres conjurés et leurs épouses, ses avocats avaient choisi d’évoquer un complot qui aurait été ourdi par ces derniers. Je n’aurais pas la cruauté d’exhumer le scénario décrit par ses conseils les plus proches. Un des hommes dont on réclame aujourd’hui à juste titre le retour était particulièrement et scandaleusement désigné. On avait alors assisté à une véritable cacophonie parmi les avocats du commando.
Les trois procès d’Yvan Colonna se sont tous achevés sur une condamnation à perpétuité en partie à cause de la fatuité des défenseurs qui cherchaient chacun de son côté à tirer la couverture à lui alors que le doute aurait dû profiter à Yvan Colonna. C’était le rôle des avocats de l’imposer et ça aurait pu l’être. Oui Yvan Colonna aurait pu échapper à sa condamnation si les avocats avaient travaillé de conserve au lieu de jouer les uns contre les autres. Mais un autre fait a joué. La campagne en faveur d’Yvan Colonna exigeait un procès équitable afin qu’il puisse prouver son innocence. Pendant ce temps, des imbéciles couvraient les murs de “Glori’à tè Yvan” saluant le crime dont il refusait d’endosser la paternité. Puis, après le 3e procès, toute campagne de masse a cessé. Où étaient-ils tous ceux qui aujourd’hui pleurent la mort d’un innocent ? Pendant des années, seuls deux noms ont été essentiellement cités pour le rapprochement des prisonniers.
Quelque chose qui ressemble à une malédiction
Je l’ai écrit dans un précédent article : une sorte de malédiction semble frapper les protagonistes de ce drame effroyable. On ne peut être corse et balayer d’un revers de manche l’hypothèse d’une destinée tragique. Quand bien même nous nous voudrions rationnels, nous restons sensibles à ce que les scientifiques appelleraient la synchronicité des faits. Autrement dit, derrière le hasard se cache une logique secrète. Les membres du commando ont été étrangement et durement éprouvés par le malheur. Deux d’entre eux ont perdu leur fils. Un troisième, impliqué sans preuve dans la piste agricole, a été tué par son fils tout en le tuant. Deux des avocats corses ont péri dans des circonstances dramatiques. Et je ne suis pas certain que cela soit terminé. Je ne saurais interpréter cet enchaînement de malheurs. Mais je note qu’il existe et que toutes ces morts possèdent un point commun : l’assassinat du préfet.
Comprendre et pardonner
Je crois qu’un des grands remèdes aux malheurs de notre monde est l’intercompréhension et la capacité à pardonner. Sans une telle démarche, nous allons à nouveau nous enfermer dans l’un de ces cercles vicieux que la Corse connaît si bien : la dialectique violence répression. Et, comme toujours, la Corse sera perdante. Le rôle de nos élus, à commencer par le président de l’exécutif, est de chercher les voies de l’apaisement afin de mettre un terme aux malheurs. Et si le président de la République française ne trouve pas en lui assez de sagesse pour comprendre qu’il existe une vraie question corse (comment font-ils pour ne pas l’accepter ?) à laquelle il convient d’apporter une solution alors c’est à nous autres Corses de l’obliger à se comporter en homme de paix et non comme un maître envers des sujets rebelles.
GXC