Quel statut pour les îles de Méditerranée ?
La revendication pour une autonomie de la Corse a fait du chemin depuis les années 70.
Quel statut pour les îles de Méditerranée ?
La revendication pour une autonomie de la Corse a fait du chemin depuis les années 70. Suite à l’assassinat d’Yvan Colonna et aux nombreuses et violentes mobilisations qui ont suivi, l’Etat français est désormais prêt à mettre cette question sur la table. Qu’en est-il de la situation des autres îles de Méditerranée aujourd’hui ? Sont-elles réellement autonomes ? Tour d’horizon.
Récemment, Gilles Simeoni s’est déclaré satisfait sur les ondes de RTL de la nouvelle position adoptée par l’Etat sur un statut d’autonomie. Le Président du Conseil Exécutif de Corse a souligné par la même occasion un constat déjà mis en exergue par certains chercheurs. Selon lui, « l’autonomie est le droit commun de l’ensemble des îles méditerranéennes. » La réalité du terrain est de fait bien plus complexe, le droit applicable aux îles se caractérisant par la superposition de quatre niveaux juridiques : le droit international, le droit européen, les divers droits nationaux et droits régionaux. Dans un article publié en 2015 et intitulé Le statut juridique des îles de la Méditerranée : un droit fragmenté, Pantelina Emmanouilidou, auteure par ailleurs d’une thèse sur la question, pointait du doigt la particularité corse au sein du Mare Nostrum.
En effet, la chercheuse distingue clairement trois catégories de statuts politiques : les îlots côtiers faisant partie d'une autorité régionale continentale, comme les îles du Frioul, intégrées dans la municipalité marseillaise, les États insulaires, comme Malte, et les îles qui jouissent d'un statut d'autonomie, comme la Sardaigne, la Sicile ou les Baléares. La Corse est selon l’auteure très à la marge, puisqu'elle a un statut spécial, mais qui ne lui confère pas une vraie compétence législative, contrairement à ses sœurs autonomes ou indépendantes. La chercheuse précise : « à Malte, le droit national est un droit insulaire sui generis » (expression juridique d’origine latine, signifiant « qui est particulier, spécial, qu'on ne peut comparer à aucun autre », ndlr). « Théoriquement, ceci permet une meilleure prise en compte des effets de l'insularité. […] Les îles du Frioul font partie du Parc National des Calanques, régime qui interdit la plupart des activités humaines et garantit ainsi la préservation de l'espace naturel terrestre et marin. […] La Sardaigne et la Sicile sont des regione à statuto speciale depuis l'après-guerre et les îles Baléares forment une comunidad autònoma depuis les années quatre-vingt, bénéficiant d'un statut d'extrême autonomie. La Corse reste un cas à part ».
Cette analyse souligne à quel point la Corse est en retard par rapport au statut des grandes îles de Méditerranée, notamment ses deux voisines directes, la Sicile et la Sardaigne. Cette différence s’explique par le centralisme de l’Etat français, lié à la construction de cette entité politique, très différente de celle de l’Italie. Depuis sa construction tardive, actée grâce au Risorgimento à la fin du XIXe siècle, l’Etat italien a laissé beaucoup plus d’autonomie à ses territoires, y compris ceux de la Péninsule.
Quant aux îles Baléares, elles ont pu bénéficier elles aussi d’une conception de l’Etat espagnol historiquement beaucoup moins centraliste que celle de son homologue français. L'archipel a connu deux statuts d'autonomie : une première loi organique, en 1983, révisée à deux reprises, puis la loi organique de 2007. Toutefois, ces différents statuts n’ont pas préservé les Baléares des dérives du tout-tourisme, qui a ruiné leur littoral. Avant la pandémie, ce sont plus de 16 millions de touristes qui déferlaient chaque année sur leurs rivages. Débordée par cet afflux et les incidences environnementales des bateaux de croisière, l'île de Majorque va d’ailleurs limiter le nombre de navires autorisés à y jeter l'ancre à partir de cette année. Trois bateaux de croisière maximum seront désormais autorisés à arriver le même jour, et il ne pourra y avoir parmi eux qu'un seul "méga-paquebot", c'est-à-dire accueillant plus de 5.000 passagers. Selon un rapport de l'ONG Transport & Environment sorti peu avant le confinement, Palma de Majorque serait le deuxième port européen le plus pollué derrière Barcelone, à cause de ces énormes navires de croisière.
Par ailleurs, l’afflux massif de nouveaux arrivants et la spéculation induite par le boom des résidences secondaires ont impacté très lourdement les îles Baléares, occasionnant même un reflux récent du Catalan. Cette langue locale avait pourtant acquis un statut de coofficialité avec le castillan. Depuis 2013, le système éducatif a en revanche été réformé au profit d'un trilinguisme catalan-castillan-anglais, qui s’est accompagné de la suppression de l'obligation du catalan comme langue de l'administration. Aujourd'hui, 50 % des habitants des Baléares utilisent le castillan, 37 % le catalan et 10 % les deux indistinctement.
La situation problématique que le tout-tourisme a engendrée aux Baléares, malgré plusieurs statuts d’autonomie successifs, ne peut qu’interroger. En Corse, à l’aube de discussions au sujet d’un nouveau statut pour l’île, elle doit inciter à une vigilance extrême quant à certaines orientations économiques et aux dérives induites. Par ailleurs, si des mesures plus coercitives ne mettent pas un frein à la spéculation immobilière, à la gangrène du grand banditisme, ainsi qu’à l’arrivée annuelle d’une population venue de l’Hexagone alors qu’une rupture culturelle menace l’île, l’autonomie tant attendue ne permettra pas de construire un nouvel avenir pour la Corse.
La revendication pour une autonomie de la Corse a fait du chemin depuis les années 70. Suite à l’assassinat d’Yvan Colonna et aux nombreuses et violentes mobilisations qui ont suivi, l’Etat français est désormais prêt à mettre cette question sur la table. Qu’en est-il de la situation des autres îles de Méditerranée aujourd’hui ? Sont-elles réellement autonomes ? Tour d’horizon.
Récemment, Gilles Simeoni s’est déclaré satisfait sur les ondes de RTL de la nouvelle position adoptée par l’Etat sur un statut d’autonomie. Le Président du Conseil Exécutif de Corse a souligné par la même occasion un constat déjà mis en exergue par certains chercheurs. Selon lui, « l’autonomie est le droit commun de l’ensemble des îles méditerranéennes. » La réalité du terrain est de fait bien plus complexe, le droit applicable aux îles se caractérisant par la superposition de quatre niveaux juridiques : le droit international, le droit européen, les divers droits nationaux et droits régionaux. Dans un article publié en 2015 et intitulé Le statut juridique des îles de la Méditerranée : un droit fragmenté, Pantelina Emmanouilidou, auteure par ailleurs d’une thèse sur la question, pointait du doigt la particularité corse au sein du Mare Nostrum.
En effet, la chercheuse distingue clairement trois catégories de statuts politiques : les îlots côtiers faisant partie d'une autorité régionale continentale, comme les îles du Frioul, intégrées dans la municipalité marseillaise, les États insulaires, comme Malte, et les îles qui jouissent d'un statut d'autonomie, comme la Sardaigne, la Sicile ou les Baléares. La Corse est selon l’auteure très à la marge, puisqu'elle a un statut spécial, mais qui ne lui confère pas une vraie compétence législative, contrairement à ses sœurs autonomes ou indépendantes. La chercheuse précise : « à Malte, le droit national est un droit insulaire sui generis » (expression juridique d’origine latine, signifiant « qui est particulier, spécial, qu'on ne peut comparer à aucun autre », ndlr). « Théoriquement, ceci permet une meilleure prise en compte des effets de l'insularité. […] Les îles du Frioul font partie du Parc National des Calanques, régime qui interdit la plupart des activités humaines et garantit ainsi la préservation de l'espace naturel terrestre et marin. […] La Sardaigne et la Sicile sont des regione à statuto speciale depuis l'après-guerre et les îles Baléares forment une comunidad autònoma depuis les années quatre-vingt, bénéficiant d'un statut d'extrême autonomie. La Corse reste un cas à part ».
Cette analyse souligne à quel point la Corse est en retard par rapport au statut des grandes îles de Méditerranée, notamment ses deux voisines directes, la Sicile et la Sardaigne. Cette différence s’explique par le centralisme de l’Etat français, lié à la construction de cette entité politique, très différente de celle de l’Italie. Depuis sa construction tardive, actée grâce au Risorgimento à la fin du XIXe siècle, l’Etat italien a laissé beaucoup plus d’autonomie à ses territoires, y compris ceux de la Péninsule.
Quant aux îles Baléares, elles ont pu bénéficier elles aussi d’une conception de l’Etat espagnol historiquement beaucoup moins centraliste que celle de son homologue français. L'archipel a connu deux statuts d'autonomie : une première loi organique, en 1983, révisée à deux reprises, puis la loi organique de 2007. Toutefois, ces différents statuts n’ont pas préservé les Baléares des dérives du tout-tourisme, qui a ruiné leur littoral. Avant la pandémie, ce sont plus de 16 millions de touristes qui déferlaient chaque année sur leurs rivages. Débordée par cet afflux et les incidences environnementales des bateaux de croisière, l'île de Majorque va d’ailleurs limiter le nombre de navires autorisés à y jeter l'ancre à partir de cette année. Trois bateaux de croisière maximum seront désormais autorisés à arriver le même jour, et il ne pourra y avoir parmi eux qu'un seul "méga-paquebot", c'est-à-dire accueillant plus de 5.000 passagers. Selon un rapport de l'ONG Transport & Environment sorti peu avant le confinement, Palma de Majorque serait le deuxième port européen le plus pollué derrière Barcelone, à cause de ces énormes navires de croisière.
Par ailleurs, l’afflux massif de nouveaux arrivants et la spéculation induite par le boom des résidences secondaires ont impacté très lourdement les îles Baléares, occasionnant même un reflux récent du Catalan. Cette langue locale avait pourtant acquis un statut de coofficialité avec le castillan. Depuis 2013, le système éducatif a en revanche été réformé au profit d'un trilinguisme catalan-castillan-anglais, qui s’est accompagné de la suppression de l'obligation du catalan comme langue de l'administration. Aujourd'hui, 50 % des habitants des Baléares utilisent le castillan, 37 % le catalan et 10 % les deux indistinctement.
La situation problématique que le tout-tourisme a engendrée aux Baléares, malgré plusieurs statuts d’autonomie successifs, ne peut qu’interroger. En Corse, à l’aube de discussions au sujet d’un nouveau statut pour l’île, elle doit inciter à une vigilance extrême quant à certaines orientations économiques et aux dérives induites. Par ailleurs, si des mesures plus coercitives ne mettent pas un frein à la spéculation immobilière, à la gangrène du grand banditisme, ainsi qu’à l’arrivée annuelle d’une population venue de l’Hexagone alors qu’une rupture culturelle menace l’île, l’autonomie tant attendue ne permettra pas de construire un nouvel avenir pour la Corse.
Comparaison entre quelques îles méditerranéennes |
|||
Nom |
Pays rataché |
Superficie (km²) |
Population |
Sicile |
Italie |
25 460 |
5 032 818 hab. |
Sardaigne |
Italie |
23 813 |
1 654 796 hab. |
Chypre |
Chypre République turque de Chypre nord Royaume-Uni1 |
9 251 |
1 102 677 hab. |
Corse |
France |
8 681 |
340 440 hab. |
Crète |
Grèce |
8 261 |
621 340 hab. |
Majorque |
Espagne |
3 640 |
873 414 hab. |
Ibiza |
Espagne |
577 |
132 637 hab. |
Malte |
Malte |
246 |
388 232 hab. |