On avait cru à la fin des guerres
Nous avions cru, nous les enfants du baby-boom, ceux que l'histoire avait particulièrement gâtés, ne jamais connaître une nouvelle guerre sur le sol européen.
On avait cru à la fin des guerres
Nous avions cru, nous les enfants du baby-boom, ceux que l’histoire avait particulièrement gâtés, ne jamais connaître une nouvelle guerre sur le sol européen. C’était la première fois dans l’histoire humaine connue que notre vieux continent échappait à sa malédiction. Il ne s’était pas passé une génération sans que le sol de l’Europe ne soit ensanglanté. N’allons pas penser que l’humanité connaissait notre tranquillité. Les guerres meurtrissaient dans le même temps les autres continents. Mais, nous, nous étions épargnés.
Un monde bipolaire
Les racines de la paix européenne étaient doubles : d’une part la division du monde décrétée à Yalta et d’autre part la dissuasion nucléaire. La paix avait donc pour corollaire que le monde occidental laisse les peuples d’Europe de l’Est sous le talon de fer soviétique, mais aussi que dans l’autre partie du monde, les puissances occidentales soutiennent voir nourrissent des dictatures sanglantes.
Mais cela nous satisfaisait nous autres Européens occidentaux en ce sens que nous n’étions pas directement menacés. Trop longtemps nous avons été bercés par une chanson qui visait à désigner l’idéologie communiste comme source de tous les malheurs. Or voilà qu’avec la guerre d’Ukraine, nous devons bien constater que la
Russie qui n’a plus rien de communiste, qui n’est plus dirigée par un Parti, mais par un homme seul, est plus dangereuse encore que l’Union soviétique.
Comme un métal résilient, le monde tend à retrouver une bipolarité avec la Chine en embuscade. En fait, sous l’apparence d’un éternel recommencement, l’intelligence du système nous envoie un message : que ce soit du point de vue climatique, démographique ou social, nous devons changer notre logiciel faute de quoi le Vivant se chargera de démontrer qu’il n’a pas besoin de l’espèce humaine.
L’histoire sans fin
Il est toujours utile et intéressant d’étudier l’histoire des peuples.
Celle de la Russie nous apprend que les dirigeants ont toujours été renversés après une défaite militaire. Sans remonter au XVe siècle, la révolution de 1905 a éclaté après la défaite de la Russie devant le Japon. Celle de 1917 alors que l’armée russe reculait devant les Allemands et les Alliés. Nikita Kroutchev a été sommé de prendre sa retraite après la crise des missiles de Cuba qui vit l’URSS reculer devant la menace américaine. Gorbatchev provoqua la fin de l’URSS après que l’armée avait quitté piteusement l’Afghanistan.
Le président Poutine sait tout cela comme il sait qu’il joue sa vie en Ukraine. Malheureusement pour lui, il n’a pas anticipé la réaction européenne qui a été celle des cités grecques face à la menace perse : le rassemblement plutôt que la dispersion. Il n’avait surtout pas prévu l’incroyable résistance ukrainienne. Comme l’écrit le grand écrivain roumain Mircea Cartarescu dans le journal Die Welt : « la guerre entre l’esclavage et la liberté s’est maintes fois répétée au fil des siècles et dans les diverses régions du monde, tel un indéracinable archétype de la condition humaine*. Car il ne s’agit pas seulement d’une guerre armée, sur-le-champ de bataille, mais d’un conflit éternel qui se livre en chacun de nous.
Des rapports de force aussi désespérés créent les conditions favorables à l’héroïsme, une des qualités les plus rares et les plus précieuses de l’humanité. Dans son pragmatisme, le monde moderne a tendance à nier ou à tourner en dérision l’esprit et la volonté de sacrifice — tout comme ce qu’il inspire aux arts, et son idéalisme en tant que façon d’être —, pourtant pas un jour ne passe sans qu’une situation pousse le genre humain à accomplir des actes d’altruisme et d’abnégation extraordinaires dont nous sommes les témoins.
C’est le côté lumineux et droit de ce “bois tordu de l’humanité” qu’évoquait Emmanuel Kant. Ce côté lumineux et droit existe certes dans la vie de tous les jours, dans les petites et les grandes choses, mais surtout dans les points cardinaux de l’humanité, tel celui que nous vivons en cet instant même. » Mais ajoute-t-il : « Une chose cependant distingue la guerre de Poutine, une chose qui n’a aucun précédent historique. C’est la première fois que, derrière la conduite d’une guerre conventionnelle, on peut distinguer un doigt tremblant qui se rapproche du bouton rouge de l’Apocalypse. Un seul homme, perdu dans ses hallucinations, peut aujourd’hui détruire l’amour, la créativité, la compassion, la solidarité, la joie, la contemplation, le sourire, le sentiment maternel, la curiosité, l’intelligence et tant d’autres facettes de cette merveilleuse créature qu’est l’être humain.
Désormais, Poutine ne fait pas la guerre à l’Ukraine, mais à chacune et chacun d’entre nous. »
GXC