Bernard Filippi : 50 ans d'expressionnisme méditerranéen
Une exposition récente à la " Galerie Noir et Blanc " et 50 ans de peinture.
Bernard Filippi
50 ans d’expressionnisme méditerranéen
Une exposition récente à la « Galerie Noir et Blanc » et 50 ans de peinture. Promoteur avec Ange Leccia et Jean Paul Pancrazi du renouveau des arts plastiques en Corse. Enseignant. Graveur. Lithographe. Représentant des artistes plasticiens au Conseil économique, social, culturel et environnemental de l’île. Responsable du service de la création, de la diffusion et des pratiques artistiques à l’ex-CTC, Bernard Filippi a un parcours intensément riche.
Explosion de couleurs. Des bleus. Des rouges. Des jaunes. Avec parfois l’esquisse d’une route ou d’un chemin de vie. Avec aussi une gestuelle éclatante tel un surgissement incandescent exaltant le mouvement. Beaucoup de poésie encore et toujours dans les toiles accrochées à « La Galerie Noir et Blanc » de Bastia. De la gravité également, plus évidente sans doute que dans de précédentes expositions, même s’il souligne que le tourment est chez lui une constante. Point sur les « i » : « Je ne peins pas comme un oiseau qui chante ! » Traduction : sans une idée, sans un concept un tableau tombe dans le décoratif.
Du « Groupe de Tox » aux « Centurions »
Souvenir heureux de son enfance à Tox aux débuts des années cinquante, son oncle, l’abbé Gregale, qui possédait une petite caméra – un miracle pour l’époque – et surtout, surtout une boîte de peinture. Ses couleurs le prêtre les utilisait en racontant des histoires. Fascinante habitude ! Il avait aussi énormément de livres dans un village où les maisons n’avaient ni eau courante ni électricité et où l’écolier, Bernard, apprenait à lire à la lampe à pétrole et à écrire à la plume Sergent Major si dure qu’il fallait l’attendrir en la mouillant de salive à grands coups de langue. C’était le temps des pleins et des déliés impeccables à faire sauf à s’attirer les foudres de l’instituteur… Apprentissage fertile.
Tox, drôle de nom pour un village corse puisque le « x » n’existe pas in lingua nustrale ! Tox, francisation probable de Tochisi (gros rochers). Tox gagne en célébrité quand en 1974 sous son appellation se constitue le groupe de plasticiens réunissant Jean Paul Pancrazi, Ange Leccia, Bernard Filippi et le poète Antoine Graziani. Jeunes, fougueux ils choisissent de s’identifier sous le label, « Groupe de Tox » pour leur première exposition collective à la MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) de Bastia. Tox, parce que cela sonne fort. Parce que cela fait choc. Parce que cela comporte une certaine connotation punk. Parce qu’à l’évidence ce qu’ils exposent rompt avec la routine picturale insulaire… Avec eux on est très loin de L’Ecole d’Ajaccio. On est dans un autre monde où les échanges avec l’extérieur de l’île se nouent, où la Corse des arts plastiques n’est plus cantonnée dans une sorte d’isolat culturel. « Le groupe de Tox » réitère une seconde fois son expérience à la MJC, puis s’envole vers Paris et L’Isle-sur-la Sorgue. Terminus de son itinéraire ? Une exposition lors d’une édition du festival du film de Méditerranée en 2006.
Les membre du groupe se sont connus au lycée Giocante de Casabianca à Bastia et ont étudié sous la houlette de leur professeur José Lorenzi, peintre renommé. Autre élève de l’établissement bastiais, Dominique Degli Esposti, plasticien, photographe, cinéaste qui lance « Les Centurions ». Ceux-ci s’adonnent au théâtre et à l’image cinématographique. Bernard Filippi rejoint l’équipe et assiste à la réalisation de « Brusgiature », film onirique. Baroque, Flamboyant. L’œuvre tournée en 1972, sort après moult difficultés en 1983.
« AVA », la poésie, le livre
La peinture ne se réduisant pas à un acte solitaire Bernard Filippi anime avec Jean Louis Fieschi, surnommé « Falellu » et François Retali, l’association « AVA » (Association pour la valorisation de l’art). « AVA » dure de 1991 à 2005. Retali, c’est l’artiste… qui a l’art de se jouer des lumières colorées des tubes de néon au gré de ses envies. « Falellu », c’est le post pop aux nuances psychédéliques. « AVA » expose à Londres, Bruxelles, Ajaccio, Bonifacio et dans plusieurs villes du continent. En mémoire de François Retali, décédé, Bernard Filippi s’apprête à lui dédier cet été une exposition dans son village de Santa Reparata.
L’amitié profonde qui lie le peintre au poète, Antoine Graziani, va se concrétiser par la publication de livres d’artistes dont la suite « Saint Jean Baptiste ». A cette occasion Bernard Filippi s’initie à la gravure et à la lithographie. Des expériences neuves qui lui permettent de se frotter à des artisans maîtrisant sur le bout des doigts leur métier, eux qui travaillent en domestiquant le plomb pour fondre les caractères de typographie et en maniant « la bête à corne » (la presse). Plus que la gravure la lithographie séduit l’enfant de Tox … car cet artisanat d’art n’ignore pas la couleur ! Il adore côtoyer le savoir de ces vrais professionnels et s’abreuver de leurs connaissances. « En terrain difficile mieux vaut conduire une Ferrari qu’un vieux tacot » ! Une réflexion ironique de l’artiste, résumé préférable à un long discours.
Autre étape très importante du plasticien, l’enseignement. En particulier à l’université de Villetaneuse, plantée à son commencement en plein champs dans une lointaine banlieue nord de Paris. Communiquer, échanger avec ses étudiants est un vrai plaisir pour l’artiste.
Rentré en Corse Bernard Filippi assiste à la fondation du FRAC (Fond régional d’art contemporain). Il est d’ailleurs l’un des premiers plasticiens corses à faire partie de sa collection. Le FRAC, selon lui, voué à faire connaitre les artistes émergents et à diffuser les œuvres en direction des écoles mais encore hors de l’île. Le FRAC qui complète ses activités par des performances et des installations.
Incontournable suivi…
Recruté en tant que conseiller aux arts plastiques en 2005, puis en 2012 en tant que chef de service de la création, de la diffusion et des pratiques artistiques à la Collectivité Territoriales de Corse, le peintre met son expérience à disposition des autres artistes : expositions à Nice, Toulon, Ajaccio… Comme responsable il a en charge le livre, les arts plastiques, le théâtre, le cinéma avant que le 7 ème art ne prenne son indépendance ! En termes de budget trois secteurs priment : le Conservatoire Henri Tomasi, les Centres culturels, le cinéma. Un constat : le champ cinématographique ensemencé avec régularité et de longue date vient maintenant afficher des résultats probants avec Frédéric Farrucci, Thierry de Peretti, Pascal Tagnati, Alexandre Oppecini, Gabriel Le Bonin pour ne citer que quelques noms de cinéastes insulaires. Avoir de la ténacité en la matière s’impose ainsi comme la clé de la réussite.
Bernard Filippi est trop modeste pour avoir un avis tranché sur tout. Avec le recul et fort de son expérience il avoue que le problème d’une politique culturelle publique ne peut évacuer la question des moyens, ni celle de la formation des responsables, ni celle de la priorité à accorder à l’éducation. Et d’insister aussi sur le suivi de cette politique, car sans lui aucun résultat concret n’est à escompter sur le long terme. Une façon de formuler que sans suite dans les idées, quoiqu’il en coûte, même si l’ambition a quelque chose de démesuré au départ, aucun projet n’est tenable. Dans la culture on n’investit pas à fonds perdus…
« Bastia-Corsica » … et Bruxelles !
« Bastia-Corsica », capitale européenne de la culture ? Pourquoi pas, d’après l’artiste, si cela autorise une audience accrue de l’art en Corse, pulse la création insulaire et si des investissements patrimoniaux sont listés ! Ainsi la rénovation complète du théâtre bastiais et le sauvetage du couvent Saint François, le premier fondé par l’ordre d’Assise sur l’île, qui est actuellement en état de mort avancée… Le hic ? L’absence d’Ajaccio partie prenante à ce projet. Nécessité également d’avoir de la patience et de la vigilance alliées à une faculté de lobbying à Bruxelles, même si cela hérisse et écorne quelque peu l’idéalisme de la démarche.
Cinquante ans de peinture soit un laps de temps suffisant pour saisir les évolutions les plus notables dans le domaine de la culture. Constat de Bernard Filippi : « Il y a aujourd’hui plus d’artistes, plus d’événements culturels, plus de contacts avec l’extérieur ce qui est indispensable pour aller de l’avant ». Evolutions positives en somme !
L’avenir en cette période troublée et cruelles ? Réponse : « Je suis optimiste pour ce qui est du pessimisme ». Si Bernard Filippi reprend la formule de Jules Renard c’est par amusement et sans acrimonie aucune. Une devise pour sourire et très vite de préciser : « De nature je suis plutôt optimiste. Je n’ai peur ni du Covid ni de la guerre. Je crois… en Dieu et en l’humain qui est capable d’améliorer l’existant. D’inventer. De créer ».
Michèle Acquaviva-Pache
* A voir et revoir le « Med in Arte » que Michèle Don Ignazi a consacré à Bernard Filippi sur Via Stella. Un vrai régal. On le retrouve facilement sur « YouTube ». L’artiste y dévoile les mystères de sa création picturale avec passion et poésie