Un film de Corinne Mattei << 5 mai >>

Un film de Corinne Mattei

Il y a 30 ans : la catastrophe de Furiani… Corinne Mattei, comédienne et réalisatrice, a perdu son frère, Christian, dans la tragédie. Corinne où l’impossible oubli ! Immense et inguérissable chagrin marqué au vif de la mémoire corse : 19 morts, 2357 blessés. De ce drame l’artiste a ouvré un court-métrage : « 5 mais 92 », à voir absolument !

Ce jour-là tout avait commencé dans la joie, dans l’euphorie même. Bastia, la Corse vibraient. Le petit Sporting allait affronter le géant marseillais de l’OM. En ville c’était un enthousiasme de folie. Le grand mérite du film de Corinne Mattei est de nous restituer avec finesse et bonheur des images de cet avant match où tout était lumineux et gai. Ce 5 mai, la réalisatrice nous le fait revivre par les yeux de Romain dont c’est justement l’anniversaire et quel plus beau cadeau que cette rencontre footballistique pour un gamin de 9 ans fan de foot !

Dans son film Corinne Mattei fait le pari de la vie. Elle nous montre un quotidien attendrissant dénué de mièvrerie. Un quotidien qui ressemble à celui de tout le monde. Un quotidien qui reflète une sensibilité pleine de finesse dépouillée de toute grandiloquence. Cette manière très ordinaire de retracer ce qui précède la catastrophe force inéluctablement à se questionner. A chercher où se cache une vérité… si aveuglante que personne ne l’a subodorée. Pourquoi cette tragédie ? Comment la fête a-t-elle viré au cauchemar ? Les interrogations pleuvent en suivant le récit que déroule devant nos yeux la réalisatrice.

Il y a cette école où la maîtresse distribue à ses élèves des places pour assister au match. Il y a ce bourdonnement amical et bon enfant du bar où l’on s’échine à brancher une télévision. Il y a la foule de ces jeunes brandissant des «bandere » avec une exaltation fiévreuse dans les rues… Il y a la mère de Romain, la seule à s’inquiéter d’éventuels problèmes : peut-être un clash entre supporters qui dégénère, peut-être une banale bagarre qui finit mal, peut-être… elle ne sait.

Rien ne sonne faux dans ce film. Les scènes du bistrot des grands-parents de Romain sont remarquables. Elles évoquent Manet ou Renoir. Les séquences intimistes entre le père et la mère de l’enfant touchent au cœur. Les vues happées dans le centre-ville ont un parfum de réalité vraie. L’atmosphère que nous donne à ressentir la cinéaste rappelle celle des premiers films d’une Diane Kurys.

Et… éclate l’horreur.
Corinne Mattei sait être d’une élégance émouvante en usant d’une sobriété intense.
Merci l’artiste !


30 ans après sur Via Stella
— 4 mai, à 19 h édition spéciale de Corsica Sera. 20 h 45, magazine long format sur la catastrophe et travail mémorial du collectif du « 5 Mai ».
— 5 mai, à 12 h, Corsica Prima en direct de Furiani. 20 h 10, « Foot è basta », les répercussions de la tragédie sur le football insulaire. 20 h 45, diffusion du film de Corinne Mattei, « 5 mai 92 ».
— 8 mai, 20 h 45 retransmission du spectacle d’Alexandre Oppecini, une création originale tournée le 6 mai au théâtre de Bastia. « Furiani 30 anni » avec une douzaine d’acteurs interprétant des points de vue différents sur la catastrophe.

ENTRETIEN AVEC CORINNE MATTEI

Pourquoi la comédienne, que vous êtes, est-elle passée derrière la caméra pour « 5 mai 92 » ?
C’était une nécessité pour raconter cette histoire qui me touche personnellement comme beaucoup d’autres personnes en Corse. Passer derrière la caméra m’a permis de m’exprimer pleinement. Tourner était une telle responsabilité qu’il fallait que je maîtrise tout car devaient primer pudeur et dignité.


Pourquoi une fiction et non un documentaire de création ?
Les heures d’avant match n’existent pas vraiment à l’image parce que France 3 était en grève ce jour-là. On manque donc d’archives télévisuelles ! Par ailleurs en tant que comédienne je suis attachée à la fiction qui permet de donner vie à des personnages dans lesquels les spectateurs vont se retrouver.


Vous avez coécrit le scénario avec Marie Murcia. Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Quand j’ai parlé de mon projet à Marie, je l’ai sentie émue. Or ce projet était tellement énorme à affronter seule que j’ai trouvé normal de lui demander son aide pour le scénario puisqu’elle avait de l’expérience en la matière ! Quatre ans durant on a accumulé les témoignages. On a tricotté l’histoire, discuté de chaque mot sans dételer… Un film c’est tant de paramètres à cocher !


Votre film est une histoire simple, quotidienne, familiale, était-ce là le moyen le plus évident de restituer ce jour de fête qui vire au cauchemar ?
Je désirais que chacun se reconnaissent dans la famille de Romain et son entourage où on s’aime et où on est aimé… dans ces gens ordinaires qui sont précipités dans une catastrophe extraordinaire. Au début j’ai insisté sur le côté festif qui rend encre plus tragique ce qui sa suivre… J’ai essayé de raconter l’aveuglement collectif de l’avant match. Seule la maman de Romain exprime de l’inquiétude car l’OM est un géant et les risques de débordements sont possibles. La tribune élevée à la hâte ne suscite guère de questions… La commission de sécurité n’a-t-elle pas délivrer son aval ?


Faire jouer un enfant n’est pas aisé. Comment vous y êtes-vous prise avec Marc Andria qui interprète Romain ?
On a d’abord fait des castings à Bastia et Ajaccio et vu beaucoup d’enfants. Marc Andria a été retenu car il jouait bien et surtout il savait être résistant lors d’un tournage où il y a maint temps morts et d’attente entre les prises. Marc Andria a été un bonheur à diriger. Il ne s’est jamais plaint. Une vraie perle ! Un vrai « pro » !


Directement frappée par la catastrophe qu’est-ce qui a été le plus dur à l’occasion du tournage ?
Je me suis continuellement demandé si je restais sur les rails de la narration. Si on était dans la sincérité, dans la dignité. Emotionnellement le plus dur a été de tourner au stade, là j’ai dû mobiliser toute mon énergie pour faire le mieux possible. Aux comédiens j’ai demandé non de jouer mais d’incarner leurs personnages. Je me suis interdit le pathos et je devais demeurer sur le fil de crête.


Vous a-t-on pris au sérieux lorsque vous avez présenté votre projet qui était un premier film ?
On m’a dit : quelle belle idée !... Sans jamais donner suite !... J’ai cumulé les refus et je ne comprenais pas pourquoi ?


Le montage financier du court-métrage a-t-il exigé des efforts particuliers ?
J’ai pris mon bâton de pèlerin et frappé à toutes les portes. J’ai lancé un appel aux dons. C’est alors que Corinne Leca m’a rejoint. Elle aussi avait été meurtrie par la catastrophe. Elle s’est investie, a trouvé des sponsors et eu la super idée de s’adresser aux footballeurs connus de l’époque ce qui a boosté notre initiative. Elle a trouvé des diffuseurs télé et obtenu ainsi le label du CNC (Centre national du cinéma). Elle a en outre écrit au prince Albert de Monaco pour avoir le parrainage de son association dédiée. On a eu également un avis favorable de la CdC dont le comité de lecture était au départ peu favorable à notre scénario…


Quelles scènes ont été les plus délicates à réaliser ?
Celles du bar réunissant de nombreux comédiens et figurants ont été de véritables casse-têtes. Heureusement que nous avons pu compter sur notre chef-opérateur, Jean Michel Martinetti. Heureusement encore que je sais ce qu’est l’ambiance d’un bar, parce que mon père en tenait un quand j’étais petite ! Les scènes du stade ont, elles, susciter un torrent d’émotion.


Prête à renouveler cette expérience ?
C’est magique de mettre des images sur des émotions…

Propos recueillis par M. A-P

Distribution
Romain : Marc Andria Sanna. Le père : Nicolas Poli. La mère : Caroline Fostinelli.
Production : Pastaprod.