Discussions avec Paris : dans l'attente d'une stratégie corse
Une réaction s'impose.
Discussions avec Paris : dans l’attente d’une stratégie corse
La Corse subit un pouvoir macronien faisant dans l’approximation et la contradiction et constate que les partis politiques aux responsabilités ou dans l’opposition manquent d’une stratégie commune pour défendre les spécificités de l’intérêt collectif. Une réaction s’impose.
Il y a plus de deux mois qu’à Aiacciu, Gérald Darmanin et le Président du Conseil Exécutif Gilles Simeoni ont acté puis publiquement annoncé l’ouverture d’un cycle de négociations portant sur les problématiques du dossier Corse, et plus particulièrement celles concernant le volet institutionnel. Une première rencontre qui aurait dû avoir lieu le 8 avril dernier, deux jours avant le premier tour de l’élection présidentielle, a été ajournée par le ministre de l’Intérieur. Ce dernier a diplomatiquement expliqué que « les conditions d’un dialogue normalisé n’étaient guère réunies ». Ses collaborateurs ont mis les point sur les i en invoquant les explosions de violence et en faisant allusion au caractère selon eux inapproprié voire déplacé de la présence d’élus de la majorité territoriale nationaliste à des manifestation ou rassemblements ayant dégénéré.
A l’heure où vous lirez ces lignes, si Gérald Darmanin a conservé son portefeuille, si une modification imprévue d’agenda n’est pas survenue, les négociations auront été ouvertes. Une délégation corse aura été reçue au ministère de l’Intérieur. Mais, au fond, peu importera que cette première réunion ait eu lieu ou non car, à l’aune des questions devant être abordées et de l’enjeu pour la Corse et les Corses, une semaine ou deux ou même un mois ou deux de retard à l’allumage sont peu de choses. L’essentiel est que toutes les parties qui seront un jour autour de la table, et ce, tout au long des discussions qui auront lieu au fil des mois, voient leur légitimité reconnue par tous, jouent franc jeu, fassent preuve d’inventivité et aient la volonté d’aboutir. Ce qui exige qu’elles s’emploient à rendre lisibles leurs propositions, à prendre en compte les réalités, à bannir les postures et les slogans, à faire la part du feu quand seront abordés les sujets qui fâchent, à renoncer aux rapports de force stériles, et bien entendu à clairement identifier, poser, traiter et résoudre les problématiques.
Tout cela s’impose car, aujourd’hui, la Corse vit une situation calamiteuse que la tragédie d’Arles a non pas causée mais éclairée. En effet, elle subit un pouvoir macronien faisant dans l’approximation et la contradiction et constate que les partis politiques aux responsabilités ou dans l’opposition manquent d’une stratégie commune pour défendre les spécificités de l’intérêt collectif.
Approximation et contradiction
Depuis la tragédie d’Arles, le pouvoir macronien use d’une démarche erratique qui mêle l’approximation et la contradiction. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin auquel Emmanuel Macron venait tout juste de confier la gestion du dossier Corse, a ouvert le bal de l’approximation. Il a déclaré être « prêt à aller jusqu'à l'autonomie » avant d’ajouter, comme si le concept « autonomie » lui était presque étranger ou si sa déclaration avait été précipitée : « La question est de savoir ce qu'est cette autonomie. Il faut qu'on en discute. ». A l’approximation du premier danseur, le maître de cérémonie a ajouté la contradiction. Alors que Gérald Darmanin à Aiacciu et Bastia échangeait avec les élus et assurait : « Nous pouvons discuter de tout », en région parisienne, lors de la présentation aux médias de son programme de président-candidat, Emmanuel Macron a énoncé une limite de taille. Il a affiché qu’il écartait une revendication fondamentale des nationaliste : la coofficialité.
En effet, il a affirmé que « reconnaître les spécificités historiques, géographiques et culturelles » de la Corse se ferait « dans la République française et la langue française ». Du côté du pouvoir macronien, l’approximation et la contradiction ne sont malheureusement pas cantonnées dans l’exercice de la parole. En avril dernier, deux gestes d’apaisement ont été faits. Ils ont consisté en la levée de l’inscription d'Alain Ferrandi et Pierre Alessandri au répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS) et en le transfèrement des intéressés au Centre Pénitentiaire de Borgo. Ces jours derniers, un nouveau geste d’apaisement semblait acquis : ayant pris connaissance du projet de semi-liberté (sortie pour travailler en journée, retour en détention le soir) de Pierre Alessandri, le Tribunal d'Application des Peines Anti-terroriste de Paris a donné son accord mais, patatras, le Parquet National Antiterroriste a fait appel. Troublant et consternant si l’on considère que selon l’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la justice. »
Certes, comme le feront peut-être remarquer quelques puristes, la loi du 25 juillet 2013 spécifie que la subordination du Parquet ne peut en principe plus se traduire par des instructions ministérielles dans les affaires individuelles. Mais comment croire que confrontés à un dossier reconnu comme étant plus que chaud bouillant, les parquetiers concernés aient unilatéralement pris le parti de contrarier l’action gouvernementale ? Il semble plus réaliste d’estimer qu’une fois de plus le pouvoir macronien a fait dans l’erratique.
Dispersion stratégique
Alors que le pouvoir macronien ne brille ni par la cohérence de la parole, ni par celle des actes, il faut reconnaître que la classe politique corse, est, elle aussi, loin de se montrer à la hauteur. Alors que la discussion avec le pouvoir macronien s’annonce difficile, un manque de stratégie commune affecte les partis politiques aux responsabilités ou dans l’opposition et réduit leur capacité de défendre efficacement les spécificités de l’intérêt général corse. Le président du Conseil exécutif ne rassure guère. S’il souligne que les différents contours de l’autonomie sont désormais identifiés par les acteurs politiques corses (merci Wanda Mastor !), Gilles Simeoni reconnaît que reste à décider lesquels devront être défendus par tous (l’esprit de synthèse et de conciliation du regretté Pierre Chaubon manque beaucoup !).
L’opposition de droite n’est pas plus réconfortante : Jean-Martin Mondoloni estime que « les plus petits dénominateurs communs » n’ont pas encore été identifiés. Quant à une partie de l’opposition nationaliste, elle est, elle aussi, au diapason de la dispersion stratégique. Le Partitudi a Nazione Corsa prend le parti de risquer le blocage en annonçant que la coofficialité ne sera pas négociable et qu’il entend entrer dans une ère de reconnaissance du peuple corse ; deux revendications étant rejetée l’une par Emmanuel Macron et l’autre par le Conseil Constitutionnel. Paul-Félix Benedetti avance pour Core In Fronte, le minimum acceptable suivant : « Une large autonomie à l'égal de ce qui est fait dans les autres îles de l'arc méditerranéen et latin. »
Petit espoir néanmoins, étant peut-être conseillé par Paul Quastana qui a été un acteur majeur du processus de Matignon et de ceux qui ont permis un consensus ayant associé la droite de José Rossi, la gauche de Paul Giacobbi, Simon Renucci et Laurent Croce et le nationalisme indépendantiste de Jean-Guy Talamoni, le même Paul-Félix Benedetti - appelle les élus à se « rendre à Paris avec une demande qui soit une unanimité du moment pour éviter l'arbitrage gouvernemental. » Pourvu que cet appel soit entendu et donne lieu à une réaction salutaire.
Pierre Corsi