Irlande du Nord : l'autre victoire du Sinn Féin
Au sein du Sinn Féin, tout change
Irlande du Nord : l’autre victoire du Sinn Féin
Que la victoire du 5 mai ne soit pas aussi historique ou complète que certains l’ont dit ou écrit ne doit cependant pas cacher l’enseignement le plus important : au sein du Sinn Féin, tout change, c’est compris et accepté par une grande partie de la communauté catholique, cela ouvre de belles perspectives à l’Irlande du Nord.
Le 5 mai dernier, ayant obtenu 29 % des suffrages et 27 sièges à l'Assemblée d’Irlande du Nord, le Sinn Féin, issu de la population catholique, dit « républicain » car favorable à la réunification de l’Irlande et hier politiquement complémentaire et solidaire de l’IRA (Irish Republican Army), est électoralement devenu le principal parti politique d’Irlande du Nord. Il a précédé le Democratic Unionist Party (21,3 % des suffrages, 25 sièges) issu de la population protestante, dit « unioniste » car fidèle à Couronne britannique et hier instigateur de la création de groupes armés. De nombreux observateurs considèrent que cette pole position du Sinn Féin est historique. C’est électoralement et symboliquement vrai car jamais depuis la partition de l’Irlande en 1921, une formation favorable à la réunification n’a été en tête d’un scrutin désignant l’Assemblée d’Irlande du Nord et en situation de nommer le Premier ministre local (le parti qui a le plus de sièges nomme le Premier ministre). En revanche, c’est politiquement moins évident, et ce, pour au moins deux raisons.
Conditions de la réunification non réunies et blocage institutionnel
Primo, les conditions de la réunification ne sont pas réunies. Même si l’on prend en compte les voix et les sièges obtenus par le Social Democratic and Labour Party, autre parti d’essence catholique et lui aussi favorable à la réunification, le rapport de force entre républicains et unioniste reste légèrement favorable aux derniers nommés. Le Royaume Uni n’est à ce jour pas disposé à organiser un référendum qui permettrait aux habitants de l’Irlande du Nord de se prononcer. Selon les derniers sondages, seulement un tiers des irlandais du nord interrogés seraient favorables à la réunification. Enfin, de nombreux irlandais qui aspirent à une Irlande réunifiée, préfèrent temporiser car ils craignent des violences en cas de refus des unionistes de se plier au résultat d’un referendum qui leur serait défavorable. Secundo, les institutions sont à ce jour bloquées et, si cela dure plus de six mois, il faudra retourner aux urnes. En effet, au terme de l’accord du Vendredi Saint (10 avril 1998) ayant scellé le renoncement des républicains et des unionistes à recourir aux armes et leur engagement de s’employer à faire de concert fonctionner l’Assemblée d’Irlande du Nord, le Democratic Unionist Party, arrivé en deuxième position à l’issue du scrutin du 5 mai dernier, doit nommer le vice-premier ministre et participer à la constitution du gouvernement local. Mais il affirme qu’il s’y refusera tant que sera appliqué le protocole qui, à la suite du Brexit, acte le maintien pour l’Irlande du Nord du marché unique, de l’union douanière et des taux de TVA en vigueur au sein de l’Union Européenne et qui, en conséquence, impose des contrôles douaniers à la circulation des hommes et des marchandises entre l’Irlande du Nord et la Grande Bretagne. Le Democratic Unionist Party, comme les autres partis unionistes, estime que, de facto, le protocole met l’Irlande du Nord hors du Royaume Uni. Ni ce dernier, ni l’UnionEuropéenne, ni le Sinn Féin ne semblant disposés à y renoncer, il ne peut être exclu que l’on vote à nouveau dans six mois et qu’en définitive le Sinn Féin soit quasiment privé du bénéfice de sa première victoire.
De belles perspectives pour l’Irlande du Nord
Que la victoire du 5 mai ne soit pas aussi historique que certains l’ont dit ou écrit ne doit cependant pas cacher l’enseignement le plus important : au sein duSinn Féin, tout change, c’est compris et accepté par une grande partie de la communauté catholique, cela ouvre de belles perspectives à l’Irlande du Nord. En effet, le Sinn Féin et son électorat naturel, tout en étant fidèles à leur Histoire et à la revendication de la réunification, ont démontré leur capacité d’aller dans le sens de la construction d’une société irlandaise unie, plurielle et apaisée. Ils l’ont fait en portant un programme ayant été définitivement déconnecté du moralisme et du communautarisme catholique, en proposant un progrès social de nature à séduire le plus grand nombre au sein des communautés catholique et protestante, notamment parmi les jeunes et les femmes, et en acceptant de laisser du temps au temps à la démarche de réunification. Tout cela a d’ailleurs été incarné et porté par leur chef de file Michelle O’Neill. Appartenant à la communauté catholique et à une famille qui a été très engagée au sein de l’IRA (père plusieurs fois emprisonné, cousin abattu dans une embuscade par les forces spéciales britanniques, cousin blessé lors d’un assaut contre une base militaire),étant fidèle à l’histoire militante et familiale (elle a porté le cercueil de Martin McGuinness, ancien chef d’état major de l’IRA), elle a fait accepter son indépendance envers le dogme catholique, son refus de tout clivage confessionnel, son attachement au progrès social et son pragmatisme institutionnel. En effet, elle a assumé avoir été mère célibataire à l’âge de 16 ans, affirmé vouloir privilégier l’unité entre les citoyens nord-irlandais : « J'offrirai un leadership inclusif qui célèbre la diversité, qui garantit les droits et l'égalité pour ceux qui ont été exclus, discriminés ou ignorés dans le passé », défendu un programmepréconisant notamment de restaurer le pouvoir d’achat et de moderniser les services de santé, situé la réunification dans une perspective de longue durée et de co-construction entre toutes les parties concernées.
Alexandra Sereni