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Exposition Mounir Fatmi

Exilés. Réfugiés.Déplacés. Immigrés....

Exposition Mounir Fatmi
Exilés. Réfugiés. Déplacés. Immigrés…


A Oletta la Casa Santini transformée en lieu d’exposition par Ange Leccia ouvre ses portes sur l’univers de Mounir Fatmi, artiste marocain interrogeant l’exil par ses vidéos. Exil formulé en immigré, en réfugié, en personne déplacée.



Le périple débute dans les caves -splendides bouches d’ombre – de la Casa Santini. Et surgit cet hier qui fut un terrible jour, celui de l’arrachement à sa terre. Première étape : « L’histoire n’est pas à moi », qui au rythme trépidant d’un marteau sur un clavier de machine à écrire, illustre l’impuissance à s’inscrire en un récit d’emblée formaté pour ne pas dire tronqué et l’impossibilité à trouver une cohérence en une existence soumise à des aléas parfois surprenants, souvent éprouvants.

Avec « D’où vient le vent » surgit un condensé d’incertitudes où se mêlent départs et arrivées, ailleurs et ici, maintenant et passé marqués au feu de la couleur rouge, qui éclate par instants ou s’installe dans des havres dont on ignore les noms. Rouge soleil. Rouge crépuscule. Rouge de l’adieu. Rouge du devenir… peut-être !

S’il est une affaire nauséabonde dans les relations prégnantes et pesantes des années soixante entre Paris et Rabat, c’est bien celle de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka devant la Brasserie Lipp, faubourg Saint Germain. Ben Barka, figure du Tiers Monde, de l’opposition au colonialisme et aux régimes qui en ont été les héritiers. Ben Barka, « évaporé ». Disparu. Assassiné. Dans « Face au silence » Mounir Fatmi réactualise en convoquant images de l’époque et vues présentes ce drame que les autorités françaises et marocaines ont voulu occulter. Soit une interpellation des consciences somnolentes occupées à leur nombril. Soit cette question : un artiste peut-il se contenter d’être un observateur passif ? Doit-il se rebeller ? Doit-il s’obstiner à dénouer l’écheveau des tromperies, des mystifications que s’évertuent à échafauder les puissants ? La vidéo délivre des indices et des pistes qui sont de cinglantes claques administrées aux indifférents et aux assoupis afin de les inciter à affronter violences policières, politiques, basses œuvres.

« A travers la lune » ausculte un tour de passe-passe, façon prestidigitateur, orchestré par des partisans de Mohamed V exigeant, en 1955, son retour au pays alors qu’il était en exil. Au-delà de leurs espérances ils parviennent à faire croire à leurs compatriotes qu’il est possible de regarder le visage de sa majesté sur l’astre lunaire. La vidéo se fait méditation sur une duperie égale aux marketings contemporains les plus efficaces.

La vie sous pseudo pour fuir l’anathème tel que le subit Salman Rushdie, l’édification de mégapoles se substituant aux cadres étatiques, la précarité de la condition humaines à la mesure d’un pas à la progression erratique, voilà d’’autres problématiques abordées par Mounir Fatmi… Identité. Chamboulement du paysage. Fin de l’histoire ou l’histoire sans fin… Le parcours artistique proposé à la Casa Santini – Ange Leccia est fertile.


La Casa Santini est dédiée aux images en mouvement, entre cinéma et art contemporain.
Ouverte mardi – mercredi – de 15 h à 19 h. Jeudi et vendredi de 15 h à 19 h 30. Samedi – dimanche de 14 h à 19 h 30. Juin – août sur rdv le matin (06 18 56 83 94).



                   ENTRETIEN AVEC MOUNIR FATMI



Votre exposition à Oletta est-elle pensée comme un poème à l’exil ? Comme une plongée dans la psyché d’un exilé ?
Plutôt comme un poème à l’exil… Parce que ce qui est dur dans l’exil c’est ce que l’on laisse derrière soi : les senteurs, les saveurs, la nourriture, la langue… La langue c’est un vrai déchirement, puis on s’efforce à entrer dans la peau de l’autre…


Vivant hors de votre pays natal vous vous sentez exilé ?
Tout à fait ! Mais il ne faut pas oublier que dans l’exil il faut pénétrer la culture de l’autre et apprendre. Simultanément on doit se rappeler qu’on a aussi à donner. Alors, si l’exil donne, la séparation d’avec la terre d’origine demeure violente d’autant qu’on n’est pas là en voyageur ou en touriste.


Vous vous définissez également comme un travailleur immigré. Quel distinguo faites-vous entre exilé et immigré ?
Dès que l’on quitte son pays, sa langue maternelle, sa famille on est vu comme une personne déplacée, exilée, immigrée même si ce n’est pas le même statut. En même temps au Maroc je suis un expatrié. Quand je montre mes œuvres hors de chez moi je suis un artiste, mais aussitôt
la porte de l’exposition franchie je suis un immigré à qui on peut sans cesse exiger de montrer ses papiers. Artiste et immigré, les deux sont différents, tout en étant marqués du sceau de la fragilité et de la violence.


L’exil au XXI è siècle ne va-t-il pas représenter un des « pays » les plus peuplés du monde ?
Absolument, d’autant que partout on bâtit des murs au lieu de construire des ponts. La guerre en Ukraine a pu surprendre, mais c’est ce même Poutine qui a envoyé son armée en Syrie ! Syriens ou Ukrainiens face à l’exil on n’est pas pareil. Il faudrait se souvenir qu’on est tous susceptibles de devenir exilés. Il suffit qu’une centrale nucléaire d’un des états les plus développés se fissure et explose pour qu’il faille déguerpir… Qu’on songe encore aux répercussions mondiales d’un petit virus… On est tous connectés.


Chez un exilé, chez un immigré il y a l’identité d’avant et celle d’après. Quel impact sur la personne ?
On a une identité double, mais cette identité est fugitive. Au Maroc je suis « un résident travaillant à l’étranger », donc pas considéré comme vraiment… Marocain. Toute sa vie un immigré essaie de gagner la reconnaissance du pays d’origine et du pays d’accueil, sans avoir sa place ni ici ni là-bas.


Dans votre vidéo vous évoquez l’affaire Ben Barka à propos de laquelle vous questionnez le rôle de l’artiste. Qu’est-ce qui doit le déterminer ?
L’enlèvement de Ben Barka en plein Paris alors qu’il synthétisait l’espoir d’un Maroc démocratique et progressiste est un événement essentiel dans l’histoire de mon pays et dans celle de la France. Ben Barka, Paris et Rabat ont voulu l’effacer des mémoires… même son corps n’a pas été retrouvé. Je m’interroge sur l’évolution du monde si des Kennedy, Sankara, Lumumba, Cabral et tant d’autres n’avaient pas été assassinés ? En Afrique, dans les pays arabes on a perdu tant d’hommes de valeurs sans que les peuple aient pu décider de quoi que ce soit. La poésie et la démocratie voilà ce qui nous reste face à la violence du monde, face à l’exploitation, face à un horizon de guerre.


Avec « A travers la lune » vous rappelez une hallucination collective plaidant pour le retour au Maroc de Mohamed V en exil. Cette hallucination fruit d’une manipulation se justifiait-elle ?
Dès qu’il y a tricherie – même au nom de bonnes intentions – c’est dangereux. En l’occurrence les partisans du roi ont joué sur la crédulité des Marocains et cette tromperie les a divisés, car elle a abouti à mettre le roi, Mohamed V, sur un piédestal à l’égal d’un dieu.


Echo de « L’enfant sauvage » de Truffaut la vidéo, « The beautiful langage », n’est-elle pas une dénonciation de l’apprentissage forcé de la « civilisation » par le dominant ?
Quand le colon est arrivé quelque part, il a édicté : cette terre est mienne et le langage est devenu un instrument de sa domination. Avec Lévi-Strauss on peut se demander : qui est le sauvage ? Par rapport à qui ? A quoi ? Pour moi, je suis toujours fasciné par les cultures que je ne connais pas. Certes, le langage a aussi un côté libérateur… à l’instar des nouvelles technologies et des data, tout dépend de ce qu’on en fait.


Pourquoi le choix de la vidéo présentement ?
Suivant mon sujet la vidéo s’impose automatiquement. La vidéo, art de notre temps, est un média fragile qui permet de partager un moment avec le visiteur. La vidéo est force et fragilité. La peinture, que je défens, est plus solide et généreuse.

Propos recueillis par M.A-P

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