Le complotisme maladie du siècle

Le complotisme maladie du siècle

Un essai de Christophe Bourseiller

Christophe Bourseiller, compagnon de route d’Arte Mare et d’Histoire(s) en mai. Invité pour son dernier ouvrage, « Le complotisme – anatomie d’une religion ». Un livre nécessaire à l’heure où s’invente les théories les plus extravagantes, qui bénéficiant d’une crédulité ambiante parviennent à faire croire à n’importe qui à n’importe quoi, ainsi que l’ont démontré les croisades antivaccin en temps de Covid.


Le 11 septembre 2001. Les Twin Towers pulvérisées par des avions aux commandes d’affidés d’Al-Qaida d’Oussama Ben Laden. Epouvantable tragédie… mais trop évidente à admettre par des cerveaux enclins à déceler partout des puissances maléfiques, avides de mettre la main sur nos destins, à nous pauvres humains ! Le 11 septembre, nous a valu un nombre incroyable de théories du complot accréditant l’idée qu’on nous enfumait et que la vérité était … ailleurs comme dans une série américaine bien connue…Avec l’essor du net le complotisme a eu un retentissement étourdissant dont les XIX et XX èmes siècles avaient été épargnés. Tellement plus facile de diffuser n’importe quel délire sur la toile dorénavant, délire qui peut se répandre partout et à toute heure. Le livre de Christophe Bourseiller dresse le portrait d’initiateurs du complotisme fort oubliés de nos jours. Ainsi Barruel qui ne voit en 1789 qu’un satanique complot des francs-maçons et de juifs. Ainsi l’Ecossais, John Robinson, qui à la même époque dénonce la mainmise des Illuminati, un ordre secret animé d’une soif destructrice. Et puis il y a les complotistes essentiellement antisémites telle Nesta Webster, qui suspecte les juifs de tous les maux de l’univers. Il y a encore Lyndon Larouche, né dans le New Hampshire, à l’origine plutôt trotskiste pour qui tout le mal provient de la couronne britannique qu’il considère à l’instar d’un Belzébuth… Et toutes ces considérations hallucinantes, souvent ça marche !

Au fil des pages, plus près de nous, l’auteur nous emmène à la rencontre de plusieurs personnages, hauts en couleurs, mais très inquiétants. On peut citer : Boyd Graves et sa manière de penser le sida comme arme de guerre ; Ernst Zündel qui défend l’invincibilité d’Hitler réfugié dans son bunker de glace du pôle sud ; ou Thierry Meyssan obsédé par l’hydre américaine.

Le plus étonnant avec le complotisme c’est que ça peut parfaitement fonctionner et prendre une singulière ampleur. Exemple : cette rumeur d’Orléans qui avait répandu des soupçons, aucunement étayés, à l’encontre de commerçants juifs supposés être impliqués dans des réseaux de proxénétisme à destination du Proche Orient.

À la lecture du livre de Christophe Bourseiller on s’interroge : jusqu’où peut se cacher le complotisme ? Ce n’est pas là son moindre mérite !

ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE BOURSEILLER


Pouvez-vous expliquer le titre, « Complotisme – anatomie d’une religion » ? Quel lien entre complotisme et religion ?
Le complotisme est une croyance. Le complotiste comme le religieux est persuadé de détenir la vérité et rien ne l’ébranlera. Mais sa religion a beaucoup d’Evangiles ! Pour lui rien n’arrive au hasard, tout résulte de manœuvres de maîtres du monde occultes qui veulent établir un ordre nouveau sur terre. Il croit en une providence inversée œuvre de forces secrètes qui décident de tout dans l’ombre. Le complotiste est un croyant qui ne délivre pas de message politique. Il n’est ni d’extrême droite ni d’extrême gauche.


Dessinez-nous le profil d’un complotiste ?
Il sait ce que les autres n’ont pas compris et c’est pourquoi il se prend pour un héros, pour quelqu’un de plus lucide que les autres ce qui lui permet de réenchanter son quotidien.


Comment un dirigeant socialiste respectable comme Mario Soarès au Portugal a-t-il pu verser dans le complotisme à propos du 11 septembre ?
C’est arrivé à d’autres aussi illustres que lui. Pour Mario Soarès les attentats du 11 septembre sont à mettre au compte des services secrets américains. Il a pu être séduit par le rationalisme des arguments qu’on lui présentait et se laisser convaincre. C’était à la fin de sa vie et ceci explique peut-être cela … Il demeure qu’il existe de vrais complots et qu’on peut en avoir la preuve. Or, ce n’est pas le cas avec les théories complotistes !


Pourquoi une théorie complotiste réussit-elle là où une autre échoue ?
Jusqu’à l’émergence du web beaucoup de théorie complotistes restaient dans les limbes. Mais le 11 septembre relayé par internet a donné une caisse de résonance au complotisme d’autant qu’il s’est très vite enrobé de rationalisme. De ce fait rapidement il est parvenu à créer une contre-culture de masse.


Vous incriminez le doute à toutes les sauces. Mais c’est le doute qui questionne les sciences ?
La philosophie ?
Les complotistes pratiquent un doute biaisé. Très différent est le doute cartésien qui va jusqu’au bout du doute. Le 11 septembre est le résultat ‘un véritable complot d’Al-Qaida, point n’est besoin d’y voir la main d’agents de la CIA pour légitimer la guerre contre l’Irak en 2003.


Hors de l’espace occidental comment s’échafaude le complotisme ? Superstitions et tabous religieux sont-ils propices au complotisme ?
Les tabous, les superstitions n’ont rien à voir avec le complotisme. Tabous et superstitions sévissent surtout dans les pays où l’on ne peut s’exprimer librement, c’est à dire en démocratie.


Rappelez-nous la différence entre complotisme et complot ?
Face à un complot véritable on a des preuves. Par exemple, l’attentat du Petit Clamart contre de Gaulle fomenté par l’OAS ou encore le Watergate imaginé par Nixon pour contrecarrer ses opposants démocrates, et là aussi il y a des preuves. Dans les théories du complot qui accusent tel ou tel on doit se contenter de présomptions. Et la différence est radicale.


La surinformation dans laquelle nous baignons actuellement n’aboutit-elle pas à fabriquer de plus en plus de théories du complot ?
Certainement, mais ce n’est pas une raison d’interdire le flot d’informations. Je pense que la vague complotiste actuelle correspond à la crise de la démocratie que nous vivons. Cette crise de la démocratie est marquée par une défiance à l’encontre des scientifiques, des sachants, des médias, des politiques… à l’encontre de tous ceux qui ont la capacité de pouvoir prendre la parole. Alors pourquoi s’étonner que les complotistes incriminent les médias qu’ils accusent de mentir et qu’ils préconisent de rechercher la vérité sur internet pour échapper au royaume du mensonge.


En quoi une « fake new » se différentie-t-elle d’une théorie du complot ?
Les « fake news » relèvent de fausses informations, de la propagande distillée par des états ou des groupes économiques. Les théories du complot germent chez des gens isolés qui rencontrent l’adhésion de personnes qu’ils contaminent. En tous cas il ne faut pas confondre les idéologies extrémistes et le complotisme. Les premières militent pour un monde meilleur à leurs yeux. Les seconds se content de dénoncer des puissances obscures et malfaisantes.


Pourquoi selon vous la censure du net n’est-elle pas la solution pour lutter contre les complotismes ?
Je suis un démocrate voltairien. Mes ennemis doivent pouvoir s’exprimer. Au final, censurer les complotistes leur donne du grain à moudre et légitime leur combat. Plutôt que de les censurer il faut leur répondre sur le fond en affutant nos arguments. Par ailleurs manier internet est compliqué, il faut donc que son apprentissage soit enseigné à l’école.


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Propos recueillis par M.A-P