La Corse, la mafia et les voyous
<< Mafia corse : une île sous influence >>
La Corse, la mafia et les voyous
Jacques Follorou est l’auteur d’un nouvel ouvrage « Mafia corse : une île sous influence » (éd. Robert Laffont) où il exprime son pessimisme quant à l’avenir de notre île perçue sous le prisme de la grande délinquance. Je ne traite ici que des extraits de son livre qui sont parus dans Le Monde. J’en ferai un commentaire plus exaustif quand je l’aurais lu.
Une indifférence continentale
« La Corse semble s’enfoncer inexorablement sous le poids du pouvoir mafieux, mortifère et prédateur. Sur le continent, c’est l’indifférence générale. Sur l’île, le fatalisme cohabite avec une crainte justifiée. Les premiers piliers du crime organisé sont aujourd’hui morts mais le système n’a pas disparu pour autant. Son emprise paraît même avoir progressé. Ses acteurs sont plus nombreux, plus disséminés, et le voyou s’est aujourd’hui largement imposé comme une figure positive et dominante aux yeux des jeunes générations insulaires. » écrit Jacques Follorou sans malheureusement inscrire ses réflexions dans une lecture historique de la société insulaire. Car la Corse n’est pas entrée dans les années 1980 dans une dérive mafieuse provoquée par la crise économique. Elle n’en est jamais sortie. Follorou prend pour symptômes les attentats dont a été victime Jean-André Miniconi alors qu’il entendait se présenter aux élections municipales et la création des deux collectifs anti-mafia. Or ni l’un ni l’autre ne sont réellement significatifs d’un changement de mentalité de la population ce d’ailleurs que signale le journaliste. Le quotidien Libération a consacré lundi dernier trois pages aux mafias italiennes avec en exergue une interview du procureur antimafia de Catanzaro, Nicola Gratteri et une autre de Roberto Saviano qui retrace les derniers jours des juges Falcone et Borsellino assassinés par Cosa nostra en 1992. La tonalité de ces pages est crépusculaire. Ces hommes vivent tous sous protection policière et, in fine, les résultats de leur héroïsme sont déprimants : ils ont obtenu des succès mais jamais les mafias n’ont eu autant de puissances à travers le monde.
Des sociétés qui sécrètent le poison
Jacques Follorou est paradoxal comme l’est la situation. Il invoque un état mythifié qui pourrait détruire le mal mafieux. Mais tout aussitôt il dénonce l’indifférence étatique. Affleure dans les quelques pages dévoilées dans le Monde, l’idée que ce sont les situations qui favorisent l’envahissement mafieux. Mais, à mieux y regarder, il s’agit d’une dialectique infernale : les sociétés exsudent des phénomènes mafieux à cause d’un sous-développement qui lui-même est instinctivement entretenu par les mafias. En Corse, la prégnance de la voyoucratie sur la société n’est pas récente. Elle existe depuis toujours. Hier, quand l’état était absent, la « mafiosisation » se traduisait par les vendettas, d’incessants rapports de force entre familles, entre partis. Et quand l’état s’est affirmé, c’est-à-dire en Corse depuis le Premier empire, tout a continué mais dans l’ombre. Les représentants de la puissance tutélaire se sont acoquinés avec les bandits pour maintenir une forme de terreur de basse intensité. L’entre-deux-guerres est à cet égard symptomatique. Les bandits ne sont pas égaux devant la société insulaire pas plus que devant l’autorité publique. Il y a ceux qu’on détruit et ceux avec qui on pactise. Les bandits pensent qu’ils utilisent les forces de répression contre leurs ennemis et ces forces sont persuadées d’ainsi parvenir à éradiquer au moins une partie du mal.
Des bandits honorés à défaut d’être honorables
Les exemples de bandits « tolérés » sont légion : Bellacoscia, Romanetti, Bartoli etc. Leurs crimes sont dénoncés mais jamais les gendarmes ne se donnent réellement les moyens de les détruire. La meilleure preuve en est que le jour où une telle décision fut prise, l’affaire fut réglée en quelques mois. La vérité est que l’état calcule sans arrêt les avantages et les inconvénients d’une opération d’envergure. Et bien souvent les voyous sont utiles à l’état. Ils font régner un certain ordre dans des zones où l’intervention des forces de répression serait ou trop coûteuse ou trop impopulaire. Ils servent d’arguments pour décider de mesures liberticides. Ainsi dans les années quatre-vingt, il fut cyniquement décidé de laisser grandir la Brise de Mer pour mieux combattre la clandestinité nationaliste. Mais une autre réalité est incontestable : c’est la tolérance de la population qui permet à un système mafieux d’exister. Car elle offre des avantages aux nantis notamment en matière électorale et en transgression des lois sociales et économiques et aux plus démunis qui trouvent ainsi des emplois quand le marché est déprimé. Tel est le terreau d’une dérive mafieuse et force est de constater que la Corse s’y enfonce.
GXC
Jacques Follorou est l’auteur d’un nouvel ouvrage « Mafia corse : une île sous influence » (éd. Robert Laffont) où il exprime son pessimisme quant à l’avenir de notre île perçue sous le prisme de la grande délinquance. Je ne traite ici que des extraits de son livre qui sont parus dans Le Monde. J’en ferai un commentaire plus exaustif quand je l’aurais lu.
Une indifférence continentale
« La Corse semble s’enfoncer inexorablement sous le poids du pouvoir mafieux, mortifère et prédateur. Sur le continent, c’est l’indifférence générale. Sur l’île, le fatalisme cohabite avec une crainte justifiée. Les premiers piliers du crime organisé sont aujourd’hui morts mais le système n’a pas disparu pour autant. Son emprise paraît même avoir progressé. Ses acteurs sont plus nombreux, plus disséminés, et le voyou s’est aujourd’hui largement imposé comme une figure positive et dominante aux yeux des jeunes générations insulaires. » écrit Jacques Follorou sans malheureusement inscrire ses réflexions dans une lecture historique de la société insulaire. Car la Corse n’est pas entrée dans les années 1980 dans une dérive mafieuse provoquée par la crise économique. Elle n’en est jamais sortie. Follorou prend pour symptômes les attentats dont a été victime Jean-André Miniconi alors qu’il entendait se présenter aux élections municipales et la création des deux collectifs anti-mafia. Or ni l’un ni l’autre ne sont réellement significatifs d’un changement de mentalité de la population ce d’ailleurs que signale le journaliste. Le quotidien Libération a consacré lundi dernier trois pages aux mafias italiennes avec en exergue une interview du procureur antimafia de Catanzaro, Nicola Gratteri et une autre de Roberto Saviano qui retrace les derniers jours des juges Falcone et Borsellino assassinés par Cosa nostra en 1992. La tonalité de ces pages est crépusculaire. Ces hommes vivent tous sous protection policière et, in fine, les résultats de leur héroïsme sont déprimants : ils ont obtenu des succès mais jamais les mafias n’ont eu autant de puissances à travers le monde.
Des sociétés qui sécrètent le poison
Jacques Follorou est paradoxal comme l’est la situation. Il invoque un état mythifié qui pourrait détruire le mal mafieux. Mais tout aussitôt il dénonce l’indifférence étatique. Affleure dans les quelques pages dévoilées dans le Monde, l’idée que ce sont les situations qui favorisent l’envahissement mafieux. Mais, à mieux y regarder, il s’agit d’une dialectique infernale : les sociétés exsudent des phénomènes mafieux à cause d’un sous-développement qui lui-même est instinctivement entretenu par les mafias. En Corse, la prégnance de la voyoucratie sur la société n’est pas récente. Elle existe depuis toujours. Hier, quand l’état était absent, la « mafiosisation » se traduisait par les vendettas, d’incessants rapports de force entre familles, entre partis. Et quand l’état s’est affirmé, c’est-à-dire en Corse depuis le Premier empire, tout a continué mais dans l’ombre. Les représentants de la puissance tutélaire se sont acoquinés avec les bandits pour maintenir une forme de terreur de basse intensité. L’entre-deux-guerres est à cet égard symptomatique. Les bandits ne sont pas égaux devant la société insulaire pas plus que devant l’autorité publique. Il y a ceux qu’on détruit et ceux avec qui on pactise. Les bandits pensent qu’ils utilisent les forces de répression contre leurs ennemis et ces forces sont persuadées d’ainsi parvenir à éradiquer au moins une partie du mal.
Des bandits honorés à défaut d’être honorables
Les exemples de bandits « tolérés » sont légion : Bellacoscia, Romanetti, Bartoli etc. Leurs crimes sont dénoncés mais jamais les gendarmes ne se donnent réellement les moyens de les détruire. La meilleure preuve en est que le jour où une telle décision fut prise, l’affaire fut réglée en quelques mois. La vérité est que l’état calcule sans arrêt les avantages et les inconvénients d’une opération d’envergure. Et bien souvent les voyous sont utiles à l’état. Ils font régner un certain ordre dans des zones où l’intervention des forces de répression serait ou trop coûteuse ou trop impopulaire. Ils servent d’arguments pour décider de mesures liberticides. Ainsi dans les années quatre-vingt, il fut cyniquement décidé de laisser grandir la Brise de Mer pour mieux combattre la clandestinité nationaliste. Mais une autre réalité est incontestable : c’est la tolérance de la population qui permet à un système mafieux d’exister. Car elle offre des avantages aux nantis notamment en matière électorale et en transgression des lois sociales et économiques et aux plus démunis qui trouvent ainsi des emplois quand le marché est déprimé. Tel est le terreau d’une dérive mafieuse et force est de constater que la Corse s’y enfonce.
GXC