Turquie : l'ambition ottomane
Le président turc Recep Erdogan ambitionne de faire renouer son pays avec le prestige de l'ex-Empire ottoman. Et il arrive à ses fins.....
Turquie : l’ambition ottomane
Le président turc Recep Erdogan ambitionne de faire renouer son pays avec le prestige, l’influence et la puissance de l’ex-Empire ottoman. Et il arrive à ses fins...
Le président de la République turque Recep Erdogan, qui était précédemment Premier ministre, dirige son pays depuis 2003 en s’appuyant sur le parti islamo-conservateur AKP (Parti de la justice et du développement). Avec ses 85 millions d’habitants, son essor économique durant les deux dernières décennies, son armée aguerrie étant reconnue comme une des plus puissantes de l’OTAN et sa situation géographique en faisant la gardienne des détroits séparant la Méditerranée et la Mer Noire (bien que la libre circulation y soit garantie par un accord international, la Convention de Montreux), la Turquie est une grande puissance régionale. Mais le président turc veut plus, beaucoup plus, pour son pays. Il ambitionne de le faire renouer avec le prestige, l’influence et la puissance de l’ex-Empire ottoman. En conséquence, depuis une dizaine d’années, la Turquie a pris politiquement et militairement pied dans de nombreuses régions qui, hier, étaient des composantes de cet empire ou étaient soumises à son influence.Sur les rives du Golfe persique et de la Mer Rouge
La Turquie est fortement présente au Qatar et les deux pays agissent souvent de concert. Leur coopération sécuritaire a été actée par l’implantation d’une base militaire turque à proximité de Doha et la création d’un commandement de forces interarmées. Dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde de football 2022 qui aura lieu au Qatar, la Turquie forme le personnel de sécurité qatari et mettra plus de 3000 agents de sécurité à disposition de l’Émirat. A Djibouti, la Turquie et le Qatar investissent massivement dans l’économie du pays. En Somalie, la Turquie forme l’Armée et dispose d’une base militaire à Mogadiscio. En Éthiopie, l’an passé, la fourniture de drones turcs a permis à l’armée éthiopienne d’empêcher des opposants au régime de s’emparer de la capitale Addis-Abeba. Enfin, en 2018, la Turquie a contribué à la levée des sanctions imposées par l’ONU à l’Érythrée qui avait, quelques année auparavant, agressé l’Éthiopie.
Dans le Caucase
Dès son accession aux responsabilités, Recep Erdogan a entrepris de nouer des liens étroits avec les pays de l’ex-URSS à populations majoritairement musulmanes. Dans leCaucase, cette politique s’est traduite par une coopération particulière avec l’Azerbaïdjan (pays partageant avec la Turquie une grande animosité à l’encontre de l’Arménie).Ces dernières années, la Turquie a en effet réorganisé, formé et équipe l’armée azerbaïdjanaise. Fin 2020, celle-ci a conquis les deux tiers du Haut-Karabagh, région autonome qui était, depuis 1994, dans le giron de l’Arménie. L’Azerbaïdjan et l’Arménie ont mis fin aux combats sous l’égide de la Russie et se sont engagés à travailler à une solution pacifique. Ce cessez-le-feu est toutefois considéré comme une victoire pour l’Azerbaïdjan et une défaite pour l’Arménie dont les forces armées ont dû se retirer du Haut-Karabagh, et donc aussi comme une victoire pour la Turquie.
En Syrie
Depuis une opération militaire contre les combattants kurdes menée avec l’appui de miliciens et de mercenaires islamistes, l’armée turque occupe le nord de la Syrie et empêche les troupes syriennes, appuyés par la Russie, de reconquérir la province d’Idleb où sont retranchés les derniers opposants armés au régime de Bachar El Assad, et réfugiés des millions de Syriens ayant tout à craindre de ce régime. Etant pressée par la Russie et les USA, la Turquie a dans un premier temps accepté que soit établie une zone de sécurité large de 30 km le long de sa frontière avec la Syrie. Mais, depuis quelques semaines, Recep Erdogan menace de mener une nouvelle opération militaire contre les combattants kurdes y compris contre les Unités de Protection du Peuple (YPG) soutenues par les USA qui combattent l’Etat Islamique, et d’occuper tout le nord de la Syrie. Le président turc a même annoncé qu'il n'attendrait pas « la permission des USA ».
En Méditerranée orientale
En Libye, en 2020, la Turquie est militairement intervenue dans le conflit qui opposait le Gouvernement d’Union Nationale (GNA) reconnu par la communauté internationale et les forces de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar implantées dans l’est du pays. Alors que la bataille pour la capitale Tripoli était engagée, l’intervention turque avec notamment l’envoi d’instructeurs militaires, de drones et aussi de mercenaires islamistes recrutés dans les territoires syriens sous contrôle turc, a permis au GNA de repousse les forces de l’ANL. Depuis, la Turquie n’a pas mis fin à sa présence militaire. Ce qui lui permet, avec l’occupation d’une partie de Chypre et en réactivant périodiquement des situations ds tensions avec la Grèce, d’influer dans toute la Méditerranée orientale et d’espérer ainsi contrôler d’importants gisements pétroliers et gaziers aussi bien sur terre que sous la mer. Il convient de noter aussi que, dans la région, la Turquie s’emploie à « progressivement » revenir à des relations cordiales avec Israël.
Sur les rives de la Mer Noire
Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne, son pays étant officiellement allié de l’Ukraine et membre de l'OTAN, mais aussi un très proche partenaire de la Russie, Recep Erdogan a coiffé la casquette de médiateur et parvient à passer pour tel en jouant d’une « politique d’équilibre ». La Turquie interdit l'accès des détroits à la marine militaire russe, appelle la Russie à cesser son intervention « injuste et illégale » et livre quelques drones à l’armée ukrainienne. La Turquie refuse de s'aligner sur les sanctions occidentales visant la Russie. La Turque négocie la mise en place de « corridors sécurisés» à travers la mer Noire pour le passage des céréales ukrainiens en proposant de lever les sanctions interdisant les exportations agricoles russes. La Turquie s’oppose à l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN (officiellement pour obtenir que ces pays rompent les ponts avec les organisations nationalistes kurdes. Carton plein !
Alexandra Sereni
illustration : Empire Ottoman à son apogée
Le président turc Recep Erdogan ambitionne de faire renouer son pays avec le prestige, l’influence et la puissance de l’ex-Empire ottoman. Et il arrive à ses fins...
Le président de la République turque Recep Erdogan, qui était précédemment Premier ministre, dirige son pays depuis 2003 en s’appuyant sur le parti islamo-conservateur AKP (Parti de la justice et du développement). Avec ses 85 millions d’habitants, son essor économique durant les deux dernières décennies, son armée aguerrie étant reconnue comme une des plus puissantes de l’OTAN et sa situation géographique en faisant la gardienne des détroits séparant la Méditerranée et la Mer Noire (bien que la libre circulation y soit garantie par un accord international, la Convention de Montreux), la Turquie est une grande puissance régionale. Mais le président turc veut plus, beaucoup plus, pour son pays. Il ambitionne de le faire renouer avec le prestige, l’influence et la puissance de l’ex-Empire ottoman. En conséquence, depuis une dizaine d’années, la Turquie a pris politiquement et militairement pied dans de nombreuses régions qui, hier, étaient des composantes de cet empire ou étaient soumises à son influence.Sur les rives du Golfe persique et de la Mer Rouge
La Turquie est fortement présente au Qatar et les deux pays agissent souvent de concert. Leur coopération sécuritaire a été actée par l’implantation d’une base militaire turque à proximité de Doha et la création d’un commandement de forces interarmées. Dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde de football 2022 qui aura lieu au Qatar, la Turquie forme le personnel de sécurité qatari et mettra plus de 3000 agents de sécurité à disposition de l’Émirat. A Djibouti, la Turquie et le Qatar investissent massivement dans l’économie du pays. En Somalie, la Turquie forme l’Armée et dispose d’une base militaire à Mogadiscio. En Éthiopie, l’an passé, la fourniture de drones turcs a permis à l’armée éthiopienne d’empêcher des opposants au régime de s’emparer de la capitale Addis-Abeba. Enfin, en 2018, la Turquie a contribué à la levée des sanctions imposées par l’ONU à l’Érythrée qui avait, quelques année auparavant, agressé l’Éthiopie.
Dans le Caucase
Dès son accession aux responsabilités, Recep Erdogan a entrepris de nouer des liens étroits avec les pays de l’ex-URSS à populations majoritairement musulmanes. Dans leCaucase, cette politique s’est traduite par une coopération particulière avec l’Azerbaïdjan (pays partageant avec la Turquie une grande animosité à l’encontre de l’Arménie).Ces dernières années, la Turquie a en effet réorganisé, formé et équipe l’armée azerbaïdjanaise. Fin 2020, celle-ci a conquis les deux tiers du Haut-Karabagh, région autonome qui était, depuis 1994, dans le giron de l’Arménie. L’Azerbaïdjan et l’Arménie ont mis fin aux combats sous l’égide de la Russie et se sont engagés à travailler à une solution pacifique. Ce cessez-le-feu est toutefois considéré comme une victoire pour l’Azerbaïdjan et une défaite pour l’Arménie dont les forces armées ont dû se retirer du Haut-Karabagh, et donc aussi comme une victoire pour la Turquie.
En Syrie
Depuis une opération militaire contre les combattants kurdes menée avec l’appui de miliciens et de mercenaires islamistes, l’armée turque occupe le nord de la Syrie et empêche les troupes syriennes, appuyés par la Russie, de reconquérir la province d’Idleb où sont retranchés les derniers opposants armés au régime de Bachar El Assad, et réfugiés des millions de Syriens ayant tout à craindre de ce régime. Etant pressée par la Russie et les USA, la Turquie a dans un premier temps accepté que soit établie une zone de sécurité large de 30 km le long de sa frontière avec la Syrie. Mais, depuis quelques semaines, Recep Erdogan menace de mener une nouvelle opération militaire contre les combattants kurdes y compris contre les Unités de Protection du Peuple (YPG) soutenues par les USA qui combattent l’Etat Islamique, et d’occuper tout le nord de la Syrie. Le président turc a même annoncé qu'il n'attendrait pas « la permission des USA ».
En Méditerranée orientale
En Libye, en 2020, la Turquie est militairement intervenue dans le conflit qui opposait le Gouvernement d’Union Nationale (GNA) reconnu par la communauté internationale et les forces de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar implantées dans l’est du pays. Alors que la bataille pour la capitale Tripoli était engagée, l’intervention turque avec notamment l’envoi d’instructeurs militaires, de drones et aussi de mercenaires islamistes recrutés dans les territoires syriens sous contrôle turc, a permis au GNA de repousse les forces de l’ANL. Depuis, la Turquie n’a pas mis fin à sa présence militaire. Ce qui lui permet, avec l’occupation d’une partie de Chypre et en réactivant périodiquement des situations ds tensions avec la Grèce, d’influer dans toute la Méditerranée orientale et d’espérer ainsi contrôler d’importants gisements pétroliers et gaziers aussi bien sur terre que sous la mer. Il convient de noter aussi que, dans la région, la Turquie s’emploie à « progressivement » revenir à des relations cordiales avec Israël.
Sur les rives de la Mer Noire
Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne, son pays étant officiellement allié de l’Ukraine et membre de l'OTAN, mais aussi un très proche partenaire de la Russie, Recep Erdogan a coiffé la casquette de médiateur et parvient à passer pour tel en jouant d’une « politique d’équilibre ». La Turquie interdit l'accès des détroits à la marine militaire russe, appelle la Russie à cesser son intervention « injuste et illégale » et livre quelques drones à l’armée ukrainienne. La Turquie refuse de s'aligner sur les sanctions occidentales visant la Russie. La Turque négocie la mise en place de « corridors sécurisés» à travers la mer Noire pour le passage des céréales ukrainiens en proposant de lever les sanctions interdisant les exportations agricoles russes. La Turquie s’oppose à l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN (officiellement pour obtenir que ces pays rompent les ponts avec les organisations nationalistes kurdes. Carton plein !
Alexandra Sereni
illustration : Empire Ottoman à son apogée