« Les zones commerciales s’exposent à Aiacciu »
Zones commerciales : regards croisés sur des « non lieux » Le thème de cette exposition est véritablement l’impact des centres commerciaux sur le paysage, sur le territoire et sur les populations.
Le thème de cette exposition est véritablement l’impact des centres commerciaux sur le paysage, sur le territoire et sur les populations. L’idée est de se plonger dans les projets récents qu’a connu la Corse et de les comparer avec l’extérieur (la Sardaigne, le Pays Basque etc…).Cette exposition sera suivie d’un débat à Aiacciu avec le concours de l’Ordre des Architectes de Corse, qui aura lieu le vendredi 14 février prochain à 18h30, 1 rue Major Lambroschini.
Antonia Luciani est géographe-urbaniste et Secrétaire Générale de la Fondation Coppieters avec laquelle elle a mis sur pieds une exposition sur les centres commerciaux pour alerter sur « ce phénomène grandissant en Corse et ailleurs en Europe qui va à rebours de toutes les urgences écologiques, sociales, environnementales, économiques, urbaines et culturelles de ce siècle. »
Sebatien CELERI est architecte du patrimoine et Président de l’Ordre des Architectes de Corse, et c’est à ce titre qu’il a été proposé à la Fondation Coppieters de venir exposer son travail et débattre des zones commerciales car il s’agit d’un thème sociétal, puisqu’au-delà des questions strictement liées à l’urbanisme, il est question d’un modèle de développement qui conditionne totalement les modes de vie.
Pour quelles raisons organiser une exposition et un débat sur le thème des centres commerciaux ?
Antonia Luciani :
Nous disposons d’un nombre de m2 de surfaces commerciales par habitant supérieure à la quasi-totalité des régions de France. Et les chiffres sont encore plus alarmants quand on les compare avec l’Italie ou l’Allemagne, car la France est l’un des pays d’Europe avec le plus de centres commerciaux périphériques.
Il me semble évident que la maitrise du développement des grandes surfaces en périphérie des centres urbains est un enjeu majeur pour les années à venir pour la Corse. Car il est lié à la question de l’étalement urbain, de la mobilité, de la consommation et donc du transport et de l’agriculture. Et enfin il pose la question du modèle de société où le privé se substitue au public pour penser et ériger la ville autour de la consommation et uniquement par ce biais-là ce qui pose évidemment beaucoup d’interrogations. Notre volonté était d’en parler autrement d’où le choix d’une exposition avec des photos, une maquette, une cartographie qui dresse un état des lieux complet des zones commerciales en Corse, et une installation audio-visuelle.
Sebatien Celeri :
En tant qu’acteurs du cadre de vie, les architectes ont vocation à interroger les mutations de notre société pour pouvoir réfléchir à l’évolution des modèles de développements vers une prise en considération de l’équilibre des territoires. Les impératifs de transition écologique, le danger de l’épuisement des ressources, les problématiques économiques, sociales et culturelles conditionnant les modes de vie, sont autant d’enjeux contemporains à prendre en compte dans la conception aux cotés des décideurs publics de l’avenir de nos villes, villages et territoires ruraux. Ce cycle de conférences que l’ordre des architectes organise une fois par mois est une opportunité de croiser nos propos avec ceux de spécialistes d’autres disciplines pour une approche croisée de sujets touchant à l’architecture, l’urbanisme, le paysage, le patrimoine, l’histoire, le territoire, la politique, la société.
Les citoyens ont-ils vraiment leur mot à dire face à la multiplication des centres commerciaux ?
Antonia Luciani :
Ce débat ne doit pas être un débat d’experts. Même si ce sont bien aux élus à qui revient le choix de se prononcer en faveur ou non de ce projet, je pense que la question du développement des centres commerciaux doit faire l’objet d’un débat public. Si nous voulons collectivement changer notre modèle de développement et que nous souhaitons que nos lieux de sociabilité et de convivialité ne se réduisent pas à des parkings et des grandes surfaces, alors nous devrons nous en donner les moyens. Il faudra que nous soyons capables citoyens, élus, porteurs de projets, architectes, urbanistes, économistes, opérateurs du secteur des transports et de la distribution, de proposer un modèle durable et en adéquation avec nos besoins réels et nos aspirations futures.
Regardez ce qu’est devenu Ajaccio ? La multiplication des surfaces commerciales et centres commerciaux en périphérie ajaccienne est venue donner un coup fatal au centre-ville et les nuisances liées à cette urbanisation anarchique sont telles que la plupart des habitants du grand Ajaccio dénoncent une baisse de la qualité de vie : embouteillages, constructions d’ensembles immobiliers sans réflexion avec le reste de l’agglomération, routes inadaptées, implantations anarchiques des constructions, pollution etc…
Sebatien Celeri :
Le discours courant tend à dire que le citoyen se satisfait de cette profusion d’offre commerciale. C’est en partie vrai notamment du fait d’une problématique sous-jacente, celle d’un pouvoir d’achat toujours plus faible qui conditionne les modes de consommation du quotidien. Les dommages causés par cet urbanisme monofonctionnel et démesuré sur l’équilibre des territoires n’est pas connu par le grand public, notamment en termes de destruction d’activités et d’emploi quand il est prétendu en créer d’autre part.
Il est nécessaire que la population participe aux processus de décisions quant à l’avenir du territoire où elle vit, et pour cela il faut lui apporter les moyens de compréhension des systèmes actuels ainsi que des solutions alternatives et vertueuses. Notre précédente conférence portait justement sur l’autonomie alimentaire.
Vous dénoncez le problème des centres commerciaux du point de vue urbain mais aussi social et culturel, pourquoi ?
Antonia Luciani :
J’alerte sur le fait que ces nouveaux centres commerciaux ne correspondent à aucun besoin spécifique dans l’île. Ce modèle s’il n’est pas encadré et limité conduira nécessairement à une perte de repères déjà bien engagée. Ces centres commerciaux hors-sol sont de véritables plaies pour les territoires et les populations. Il faut que les populations soient informées, réagissent quand elles le peuvent et se mobilisent si nécessaire.
Sebatien Celeri :
Ce modèle de développement est caricatural d’un mode de vie où dominent l’hyper-individualisme et le consumérisme à outrance. Tout, jusqu’à la terre et au logement, est aujourd’hui un « produit » de consommation. Nous vivons une période de crises et multiples qui n’épargnent pas la Corse. La récente menace d’un risque de pénurie alimentaire du fait du dysfonctionnement momentané des circuits d’importation dont nous dépendons est à mettre en miroir avec la permanente crise des déchets désormais stockés à l’air libre sous lesquels l’île croule. Cela doit nous inciter à un changement total de paradigme en termes de comportements individuels et collectifs en retrouvant une logique de production et de proximité.