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Une lettre de Mirabeau sur la Corse

Gabriel-Honoré Riquetti, comte de Mirabeau , participe à la conquête de la Corse .

Une lettre de Mirabeau sur la Corse


Gabriel-Honoré Riquetti, comte de Mirabeau, est âgé de vingt ans lorsqu’il participe à la conquête de la Corse. Il se fait alors appeler Pierre de Buffière. Il n’est pas même certain qu’il ait combattu. Dans ses Mémoires il se vante de ses conquêtes féminines, mais ne parle jamais de ses batailles. On sait qu’il a été sur les bords du Golu puis en garnison à Vescovato.
Pourtant, vingt ans plus tard, le jour du rattachement de la Corse à la France, il déclarera : « J’avoue, Messieurs, que ma première jeunesse a été souillée par une participation à la conquête de la Corse ; mais je ne m’en crois que plus étroitement obligé à réparer envers ce peuple généreux ce que ma raison me représente comme une injustice ».


Un stoïcisme antique


Le 26 juin 1769, il adresse une lettre à son ami le baron de Vioménil, dont le texte va être publié en 1865 dans les colonnes de L’Aigle Corse, un bimensuel édité à Bastia :

« Oui, la Corse, et ce sera toujours là mon opinion, est au nombre de ces contrées qu’on ne peut parcourir avec indifférence ni étudier sans intérêt (…)Tout ici rappelle ces longues luttes extérieures, ces violents déchirements au-dedans, le caractère fortement empreint d’une teinte de stoïcisme antique, et cet esprit de famille, qui se confond avec le dévouement au pays, si bien qu’en défendant le sol envahi, le Corse croit défendre en même temps son propre foyer, tandis que dans d’autres contrées les habitants demeurent indécis et irrésolus, dans l’espoir que le torrent de l’invasion n’arrivera pas jusqu’à eux, jusqu’au comptoir, à la boutique, à la ferme, au château, et que l’orage ira éclater ailleurs. Il n’en est pas de même ici.
Le Corse grâce à une habile impulsion que Paoli lui avait imprimée et à une fusion plus générale, plus sincère ne sépare plus sa cause personnelle de celle du pays. Il se croirait considérablement amoindri, si la patrie était moins forte ou moins respectée.»

Des efforts héroïques


Il n’a pas d’autre honneur, d’autre orgueil que le sien. Ce n’est pas lui qui pourrait prononcer ce mot égoïste et insensé : « Après moi le déluge ». Non, le Corse veut avant tout que l’arche qui renferme les tables de ses lois, ses institutions, sa liberté surnage et échappe au flot de l’invasion armée. Un esprit de famille qui enfante des prodiges de valeur et inspire des efforts héroïques. Ainsi, loin de refroidir le dévouement au pays, cet esprit de famille, au jour des suprêmes dangers, s’étend, se développe et se généralise avec une telle expansion, une telle énergie, qu’il prête une force nouvelle à la haine de l’étranger, enfante des prodiges de valeur et inspire des efforts héroïques.

« Je déclare, mon cher Baron, que c’est avec une curiosité bien vive et un mouvement marqué de sympathie, que je cherche à comprendre et à deviner ce double sphinx -sol et honneur corse. Je suis désireux surtout d’en dégager toute vérité qui pourrait servir lui et la France dont il va constituer désormais un des premiers éléments (…) »

Il aurait fallu que le peuple corse soit uni

Quand je réfléchis que ce petit peuple, souvent écrasé, jamais soumis, se redressait fièrement, même sous le joug qu’appesantissaient sur lui la ruse et la force, je me demande s’il n’aurait pas pu résister avec bien plus de facilité et de succès contre l’agression étrangère. Qu’aurait-il fallu pour cela ? Qu’au lieu d’être divisé en factions ennemies, il eût combattu comme un seul homme ! (…) En définitive, toutes ces luttes insensées tournent à l’avantage des tyrans étrangers. Heureusement Paoli y avait mis bon ordre. Depuis sept ans, il n’y avait plus qu’un intérêt, qu’une bannière, qu’un cri de ralliement, qu’un ennemi, qu’une aspiration : l’indépendance ; qu’un malheur : la servitude.

L'héroïsme des volontaires corses


« On s’étonne de ce que Paoli voulait faire la guerre sans troupes organisées, sans généraux, sans ambulances, sans tout l’attirail que nous traînons après nous, au-delà des frontières et à de grandes distances de nos dépôts et de nos places fortes. Les États monarchiques ont besoin d’armées régulières et permanentes. Les nations libres n’ont besoin que de levées en masse ou par contingent. Mon opinion, et, je ne cherche pas à la déguiser, c’est que les armées permanentes sont toujours en danger pour la liberté des peuples, parce qu’elles peuvent se transformer aisément, sous la main d’un prince ambitieux ou cruel, en instrument docile de despotisme. Je conçois que Paoli se défie des soldats mercenaires ; ceux-là n’ont qu’un intérêt : le paiement de la solde. (… ) Les volontaires corses ne donnent leurs bras et leur sang qu’au pays, ne se lèvent que pour revendiquer son indépendance et bien loin de recevoir un salaire, c’est à leurs frais qu’ils font la guerre. Dès qu’elle est terminée et que nul danger ne le menace plus, ils retournent dans leurs communes respectives, dans leurs champs, à leurs bergeries, à leurs châtaigniers.»
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