Joseph Colombani, président de la Chambre d’Agriculture 2B
« Nous devons convaincre l’Europe que nos parcelles ont une réelle ressource fourragère, que les agriculteurs n’ont pas pour seul objectif l’aide européenne et que leur travail correspond bien à une réalité d’exploitation »
Elu en avril dernier à la tête de la Chambre d’Agriculture de la Haute-Corse, Joseph Colombani, est par ailleurs un militant syndicaliste très impliqué dans la défense de la profession. Ce qui lui déjoue parfois. Président de la FDSEA de la Haute-Corse depuis plus vingt ans et installé lui-même, en tant qu’agriculteur depuis 1981, il mène, depuis toutes ces années, un combat pour faire valoir les droits d’une profession particulièrement décriée ces dernières semaines. C’est en plein cœur d’une crise sans précédent qu’il évoque, pour nos lecteurs, une situation de plus en plus délicate.
La crise agricole s’est intensifiée en novembre dernier dans l’île. Pour autant, la situation est-elle toujours dans l’impasse ou tendrait-elle vers une issue favorable selon vous?
On est toujours dans l’impasse sur de nombreux points. Je pense, notamment, aux déclarations de surface pastorale. Suite à la modification des règles en 2018, la profession n’était pas prête à supporter un tel changement. L’Europe a une vision de la production agricole de type nordique avec de grands territoires plats. C’est une vision productive qui n’a rien à voir avec ce qui est fait dans le Sud où nous avons une agriculture de cueillette plus respectueuse de l’environnement et des animaux adaptés à ce type de milieu et une production plus familiale. Or, on favorise plutôt une agriculture industrielle.
Pour autant, le mot de fraude a souvent été mentionné ces dernières semaines. Quel est votre sentiment sur ce point ?
On est considérés comme des fraudeurs parce que nous défendons ce type d’agriculture qui est vertueux par le respect environnemental, la petitesse des exploitations…Elle occupe le territoire, fait vivre un grand nombre de familles et créent un lien étroit entre le consommateur et le producteur. C’est un constat aberrant ! On est fraudeurs parce que l’on n’est pas dans l’industriel ou le productivisme. Et le fait que des Corses nous traitent de fraudeurs, c’est une deuxième couche qui nous fait très mal.
Attaquez-vous quelqu’un en particulier ?
Il y a, outre un important discrédit sur les réseaux sociaux, un regard négatif sur la profession. L’agriculteur est mal vu en Corse, c’est un constat amer. Et il est lié à la non reconnaissance de nos parcours. La situation actuelle est due à un ensemble de choses, notamment l’absence de maîtrise du foncier. Et lorsqu’un agriculteur cherche à s’installer sur un terrain sans en avoir totalement la maîtrise et où l’origine de la propriété reste floue, des gens estiment que cette parcelle leur revient également de droit et évoquent cette notion de fraude. L’agriculteur est alors perdant sur tous les points. Il n’a pas le soutien de l’opinion publique et en même temps, la commission européenne lui assène un coup de massue supplémentaire. Et comme les politiques vivent de corps électoral, nous n’avons pas leur soutien. Ils nous ont, certes, accompagnés à Paris mais au retour, hormis Jean-Guy Talamoni, on a le sentiment de ne pas être écoutés. Une réunion devait déboucher pour compenser les pertes qui intervenaient suite au changement de règles, nous étions d’accord sur des principes mais cette réunion n’a jamais eu lieu…
Êtes-vous inquiets ?
On le serait à moins ! Aujourd’hui, des agriculteurs n’ont encore rien perçu depuis le 15 octobre. Et je pense, malheureusement, qu’une centaine d’entre eux, va rester sur le carreau. Cent sur deux mille, cela fait beaucoup. Cent familles de l’intérieur ce qui équivaut, à peu près, à une centaine de villages. L’agriculteur tient, en quelques sortes, un village. Et si une centaine arrête, chaque année, son exploitation, la profession va payer un lourd tribut sur les trois années de PAC qui restent. On évoque une démographie galopante mais les nouveaux arrivants ne sont pas dans le monde rural, ils sont plus nombreux démocratiquement et restent suivis par les politiques. Il y a des années, le monde rural avait un poids électoral et les politiques en tenaient compte. Il y avait même un certain respect de ce mode de vie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’homme politique est essentiellement urbain.
« Difficile de faire entendre notre voix et de résorber la crise agricole »
Quelle solution préconisez-vous ?
Il faut renégocier avec Paris mais pas du bout des lèvres…Après avoir constaté qu’il était impossible, juridiquement, d’accorder un prêt aux agriculteurs qui n’avaient rien perçu, on en est resté là. Le problème reste présent. Le syndicat Via Campagnola n’a eu de cesse de dénoncer la fraude sans jamais la définir. Il semble plus inquiet des fraudeurs que de la survie des exploitants. Et l’Exécutif l’a clairement suivi. Résultat, on n’a pas fait grand-chose. Face à cette situation assez conflictuelle, difficile de faire entendre notre voix et résorber la crise agricole. On peut, pourtant, toujours y remédier. Il faudra une réflexion pour préparer, dès présent, la prochaine PAC. En s’interrogeant sur ce que représente réellement une parcelle pastorale et quelle est sa valeur agronomique…Et si l’on veut, ensuite, que cette réflexion soit reconnue par Paris et Bruxelles, nous devons la définir ensemble avec les trois chambres, les politiques et l’Odarc. Nous devons convaincre l’Europe que nos parcelles ont une réelle ressource fourragère, que les agriculteurs n’ont pas pour seul objectif l’aide européenne et que leur travail correspond bien à une réalité d’exploitation et à l’attente d’un revenu issu de la production.
« La pression foncière vient s’ajouter à tous les problèmes évoqués »
La nouvelle PAC ?
Si elle sert à sauver ceux qui auront survécu au tsunami actuel, c’est inutile. Les trois années à venir avant cette nouvelle donne seront mortifères pour notre élevage pastoral. Il faut travailler dès à présent pour faire changer les choses. Mais cela nécessite une union entre tous.
Agriculteur, un métier difficile aujourd’hui en Corse ?
Oui pour toutes ces raisons. En outre, les gens arrivent et se concentrent sur le littoral. L’agriculture se fait en partie sur le littoral mais elle reste en concurrence avec l’urbanisme. Ainsi, les prix de terrains agricoles flambent malgré le Padduc. La pression est constante sur les agriculteurs, des hangars ont été brûlés, certains maires s’efforcent de contredire les avancées du Padduc pour travailler au développement. Comme si cela se résumait à la construction de maisons individuelles ou d’immeubles. La pression foncière vient s’ajouter à tous les problèmes évoqués. Ce n’est pas facile et parfois même pas agréable de vivre aujourd’hui dans le monde rural.
Qu’attendez-vous des élus corses ?
Ils doivent prendre réellement conscience de la difficulté de vivre à l’intérieur. Elle vient d’un contexte global qui part de la non-maîtrise du foncier, du manque de connaissance du métier d’agriculteur, de la ruralité profonde. On aurait dû compenser cette absence due à l’évolution démographique par des contacts plus forts avec les représentants du monde rural, notamment les chambres d’agriculture.
La crise agricole s’est intensifiée en novembre dernier dans l’île. Pour autant, la situation est-elle toujours dans l’impasse ou tendrait-elle vers une issue favorable selon vous?
On est toujours dans l’impasse sur de nombreux points. Je pense, notamment, aux déclarations de surface pastorale. Suite à la modification des règles en 2018, la profession n’était pas prête à supporter un tel changement. L’Europe a une vision de la production agricole de type nordique avec de grands territoires plats. C’est une vision productive qui n’a rien à voir avec ce qui est fait dans le Sud où nous avons une agriculture de cueillette plus respectueuse de l’environnement et des animaux adaptés à ce type de milieu et une production plus familiale. Or, on favorise plutôt une agriculture industrielle.
Pour autant, le mot de fraude a souvent été mentionné ces dernières semaines. Quel est votre sentiment sur ce point ?
On est considérés comme des fraudeurs parce que nous défendons ce type d’agriculture qui est vertueux par le respect environnemental, la petitesse des exploitations…Elle occupe le territoire, fait vivre un grand nombre de familles et créent un lien étroit entre le consommateur et le producteur. C’est un constat aberrant ! On est fraudeurs parce que l’on n’est pas dans l’industriel ou le productivisme. Et le fait que des Corses nous traitent de fraudeurs, c’est une deuxième couche qui nous fait très mal.
Attaquez-vous quelqu’un en particulier ?
Il y a, outre un important discrédit sur les réseaux sociaux, un regard négatif sur la profession. L’agriculteur est mal vu en Corse, c’est un constat amer. Et il est lié à la non reconnaissance de nos parcours. La situation actuelle est due à un ensemble de choses, notamment l’absence de maîtrise du foncier. Et lorsqu’un agriculteur cherche à s’installer sur un terrain sans en avoir totalement la maîtrise et où l’origine de la propriété reste floue, des gens estiment que cette parcelle leur revient également de droit et évoquent cette notion de fraude. L’agriculteur est alors perdant sur tous les points. Il n’a pas le soutien de l’opinion publique et en même temps, la commission européenne lui assène un coup de massue supplémentaire. Et comme les politiques vivent de corps électoral, nous n’avons pas leur soutien. Ils nous ont, certes, accompagnés à Paris mais au retour, hormis Jean-Guy Talamoni, on a le sentiment de ne pas être écoutés. Une réunion devait déboucher pour compenser les pertes qui intervenaient suite au changement de règles, nous étions d’accord sur des principes mais cette réunion n’a jamais eu lieu…
Êtes-vous inquiets ?
On le serait à moins ! Aujourd’hui, des agriculteurs n’ont encore rien perçu depuis le 15 octobre. Et je pense, malheureusement, qu’une centaine d’entre eux, va rester sur le carreau. Cent sur deux mille, cela fait beaucoup. Cent familles de l’intérieur ce qui équivaut, à peu près, à une centaine de villages. L’agriculteur tient, en quelques sortes, un village. Et si une centaine arrête, chaque année, son exploitation, la profession va payer un lourd tribut sur les trois années de PAC qui restent. On évoque une démographie galopante mais les nouveaux arrivants ne sont pas dans le monde rural, ils sont plus nombreux démocratiquement et restent suivis par les politiques. Il y a des années, le monde rural avait un poids électoral et les politiques en tenaient compte. Il y avait même un certain respect de ce mode de vie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’homme politique est essentiellement urbain.
« Difficile de faire entendre notre voix et de résorber la crise agricole »
Quelle solution préconisez-vous ?
Il faut renégocier avec Paris mais pas du bout des lèvres…Après avoir constaté qu’il était impossible, juridiquement, d’accorder un prêt aux agriculteurs qui n’avaient rien perçu, on en est resté là. Le problème reste présent. Le syndicat Via Campagnola n’a eu de cesse de dénoncer la fraude sans jamais la définir. Il semble plus inquiet des fraudeurs que de la survie des exploitants. Et l’Exécutif l’a clairement suivi. Résultat, on n’a pas fait grand-chose. Face à cette situation assez conflictuelle, difficile de faire entendre notre voix et résorber la crise agricole. On peut, pourtant, toujours y remédier. Il faudra une réflexion pour préparer, dès présent, la prochaine PAC. En s’interrogeant sur ce que représente réellement une parcelle pastorale et quelle est sa valeur agronomique…Et si l’on veut, ensuite, que cette réflexion soit reconnue par Paris et Bruxelles, nous devons la définir ensemble avec les trois chambres, les politiques et l’Odarc. Nous devons convaincre l’Europe que nos parcelles ont une réelle ressource fourragère, que les agriculteurs n’ont pas pour seul objectif l’aide européenne et que leur travail correspond bien à une réalité d’exploitation et à l’attente d’un revenu issu de la production.
« La pression foncière vient s’ajouter à tous les problèmes évoqués »
La nouvelle PAC ?
Si elle sert à sauver ceux qui auront survécu au tsunami actuel, c’est inutile. Les trois années à venir avant cette nouvelle donne seront mortifères pour notre élevage pastoral. Il faut travailler dès à présent pour faire changer les choses. Mais cela nécessite une union entre tous.
Agriculteur, un métier difficile aujourd’hui en Corse ?
Oui pour toutes ces raisons. En outre, les gens arrivent et se concentrent sur le littoral. L’agriculture se fait en partie sur le littoral mais elle reste en concurrence avec l’urbanisme. Ainsi, les prix de terrains agricoles flambent malgré le Padduc. La pression est constante sur les agriculteurs, des hangars ont été brûlés, certains maires s’efforcent de contredire les avancées du Padduc pour travailler au développement. Comme si cela se résumait à la construction de maisons individuelles ou d’immeubles. La pression foncière vient s’ajouter à tous les problèmes évoqués. Ce n’est pas facile et parfois même pas agréable de vivre aujourd’hui dans le monde rural.
Qu’attendez-vous des élus corses ?
Ils doivent prendre réellement conscience de la difficulté de vivre à l’intérieur. Elle vient d’un contexte global qui part de la non-maîtrise du foncier, du manque de connaissance du métier d’agriculteur, de la ruralité profonde. On aurait dû compenser cette absence due à l’évolution démographique par des contacts plus forts avec les représentants du monde rural, notamment les chambres d’agriculture.