Classe Patrimoine : Des lycéens et le parfum étrusque !
Des élèves du CAP vente réservent au public une remarquable surprise : < Erbalunga > parfum inspiré des Etrusques, ......
Classe Patrimoine : Des lycéens et le parfum étrusque !
Par une belle après-midi automnale, dans les jardins de la bibliothèque centrale bastiaise, des élèves du CAP vente du «Lycée professionnel Jean Nicoli », réservaient au public une bien remarquable surprise : « Erbalunga », parfum inspiré des Etrusques, fins amateurs en matière.
Etonnant moment où ces jeunes ont offert le résultat de deux ans de recherches. Autour d’eux pour les aider, les former, Linda Piazza, bibliothécaire en charge de la « section patrimoine », Mathilde Mattei, enseignante en commerce, Anne Solène Gourdon, professeur documentaliste. Garçons et filles, ils sont une dizaine de 15 à 17 ans dans cette classe patrimoine inventée par la bibliothécaire, en 2016. La classe dure deux ans et comporte quatre heures hebdomadaires spécialisées en patrimoine, heures intégrées à l’horaire scolaire, une originalité qu’on ne trouve nulle part ailleurs !
Linda Piazza a choisi pour eux le thème de l’Etrurie. Parce qu’Aleria est riche d’objets archéologiques laissés sur place par le Etrusques, dont de nombreux petits vases à parfum. Parce que la bibliothèque patrimoniale de Bastia possède des ouvrages exceptionnels sur ce sujet.
La première année, les lycéens en CAP vente ont été sensibilisés à la civilisation qui a fleuri en Toscane et dans le centre de l’Italie par Jean Castela, universitaire à Corte, spécialiste de la filière « guides touristiques » et expert en étruscologie. Avec leurs encadrants les jeunes se sont rendus, entre autres, au musée de Vetulonia où ils ont pu poser toutes les questions qui les intéressaient à Simona Rafanelli, directrice de la « section parfums étrusques ». Ils ont aussi pu assister à la confection d’un vase à la mode étrusque par Roberto Paolini, céramiste… Et ce vase ils l’ont peint selon les critères de l’ancienne Etrurie.
Lors de la seconde année les lycéens ont étudié les plantes corses sur le terrain, en fonction des saisons et sont allées au parc Galea qui propose une exposition botanique de fleurs à parfum de façon permanente. Ils se sont attachés au thym, au romarin, à l’immortelle, au myrte et aux senteurs d’agrumes.
Forte de la moisson des élèves la bibliothécaire a envoyé un projet de parfum étrusque à la maison Gévaudan, qui est une référence et qui dirige également une école de parfumerie. Le directeur du markéting, Frédéric Walter et le maître parfumeur, Benoit Lapouza, ont été séduits et ont répondu favorablement. Autre personnalité incontournable jointe par Linda Piazza, l’universitaire reconnu pour ce qui est des parfums étrusques, Dominique Frère. Il s’est joint volontiers à l’aventure. Son savoir à permis d’imaginer une composition florale, déclinée une première en plantes du maquis, une seconde avec des notes de cédrat et de mandarine. In fine « Erbalunga », le parfum des lycéens a été mis au point dans les locaux de la maison Gévaudan.
Une conférence de Dominique Frère, sur les vases à parfum d’Etrurie, a clôt cette passionnante après-midi.
Michèle Acquaviva-Pache
ENTRETIEN AVEC LINDA PIAZZA
Comment avez-vous eu l’idée de créer cette classe patrimoine à l’adresse des lycéens de CAP vente ?
D’ordinaire les classes patrimoine ne s’intéressent guère aux établissements professionnels. Mais un jour Mathilde Mattei et Anne Solène Gourdon ont fait visiter à leurs élèves la bibliothèque patrimoniale. J’ai senti qu’il y avait du répondant chez eux, que leurs esprits n’étaient pas encombrés d’a priori et que si on leur faisait confiance ils seraient à la hauteur. Je ne me suis pas trompée !
Quelle est votre pédagogie à l’égard de ces jeunes souvent délaissés par l’institution scolaire ?
Il faut leur apprendre à manipuler les livres anciens, à les nettoyer au pinceau, à gommer, s’il y a lieu, les taches d’humidité qui les altèrent, à noter s’il y a des déchirures et ça ils doivent le faire avec sérieux… ensuite vient le plaisir. Ils doivent aussi acquérir un minimum de vocabulaire spécialisé. C’est en étant concret, tactile, en leur faisant toucher le livre ancien avec le plus grand respect qu’on est vivant et non d’une sécheresse doctorale.
Quel investissement cela exige-t-il de votre part ?
Pour moi ce n’est que du bonheur ! Leur procurer l’impression d’exister c’est formidable ! Leur donner envie de continuer leurs études c’est merveilleux. Au début j’avoue que j’ai travaillé sans filet. Heureusement qu’on est une équipe avec Mathilde Mattei et Anne Solène Gourdon.
Quand avez-vous lancé la première classe patrimoine au lycée « Jean Nicoli » ?
C’était en 2016 autour de la manifestation, « Le livre ancien dans tous ses états ». Après une sensibilisation les élèves ont réalisé un très beau catalogue qui nous a valu le 1 er prix de « L’audace culturelle et artistique », prix que nous a remis le président Hollande à l’Elysée.
En 2017, il y a eu devant le théâtre l’inauguration de la place Prelà, illustre médecin du pape et donateur de la bibliothèque. Les lycéens ont-ils participé à cette manifestation ?
Ils ont été de toutes les étapes : valorisation de la place, du buste du prélat. Ils ont pris des photos avec Valérie Royère du Centre Méditerranéen de la Photographie et les ont exposées salle Prelà au théâtre. Ils ont également réalisé un petit court-métrage d’animation avec Una Volta.
Ne les avez-vous pas aussi initiés à la gravure ?
C’était en 2018. On a fait travailler les jeunes sur Antoine Mattei, un donateur important, qui a offert à notre bibliothèque une grande collection de gravures à laquelle les lycéens se sont beaucoup intéressés. J’en ai profité pour faire venir un graveur à la loupe, Louis Boursier, qui a enseigné les rudiments de son art aux lycéens. Résultat, ils ont fait une gravure à partir d’un portrait d’Antoine Mattei ainsi qu’un timbre.
Je me suis laissé dire que vous leur avez encore révélé les origines de la paghjella ?
Le père André-Marie et l’abbé Letteron nous ont léguer des antiphonaires. Ce sont d’immenses livres comportant des partitions de musique. Le groupe, Barbara Furtuna, a chanté certaines compositions, qui sont les ancêtres de la paghjella. Les lycéens étaient très émus.
Les jeunes du CAP vente peuvent-ils être véritablement inventifs ?
Absolument. Une année, à partir d’ouvrages de botanique ils ont inventé un jeu de l’oie fabuleux ainsi qu’une règle de jeu très sophistiquée.
Menez-vous des actions en direction d’autres établissements scolaires bastiais ?
Avec le collège « Simon Vinciguerra » j’organise un club de patrimoine sur la base du volontariat des collégiens. Ce club fonctionne entre midi et 14 heures. C’est grâce à lui qu’a pu être remonté le bibliothèque Napoléon III qui se morfondait et s’empoussiérait dans un coin. Cette année on projette pour eux des sessions d’éloquence en nous servant de l’histoire de F.O. Renucci.
Quid du collège « Giraud » qui est tout près ?
Conjointement avec le Centre Méditerranéen de la Photographie nous désirons, cette année, que les élèves exploitent le fonds photo de la bibliothèque. Nous attirerons aussi leur attention sur les plafonds peints d’immeubles du centre ancien. A cet effet on demandera le concours d’un fresquiste. Par ailleurs avec les BTS assistants manageurs on se penchera sur un livre traitant des coquillages dans l’art du XVIII è siècle.
Vos nouveaux projets avec les lycéens de « Jean Nicoli » ?
On va plancher sur les savants corses qui ont participé à la campagne de Napoléon en Egypte. Pour ce faire nous allons nous tourner vers la bibliothèque, Méjanes, d’Aix-en- Provence afin de joindre sa médiatrice en égyptologie. J’aimerais aussi établir un partenariat avec un lycée français du Caire. 2022 était l’année Champollion et nous avons la chance à Bastia de disposer de « La lettre à Dacier » qui a servi à traduire les hiéroglyphes, nous nous devons d’en profiter.
Propos recueillis par M.A-P