Souvenirs , souvenirs : l'ami Aimé
Aimé Pietri nous a quittés pour monter plus haut.....
Souvenirs, souvenirs : l’ami Aimé
Aimé Pietri a permis à beaucoup de Corses de l’île et de la Diaspora d’être informés et de comprendre leur monde politique et leur société. Il a libéré et délivré l’information !
Après avoir appris qu’il nous avait quittés pour monter plus haut, je me suis dirigée vers la bibliothèque. Sur une des étagères, entre les couverture fatiguées et les pages jaunies de « Nouvelle histoire de la Corse » de Jacques Grégorj qui avait tiré de l’oubli notre passé d’avant 1769 et de « Main basse sur une île », le manifeste du Front Régionaliste Corse, qui avait inscrit dans nos consciences que la Corse était plus qu’une Île de Beauté, le livre était rangé.
Mais, surtout, « Honorable correspondant, cinquante ans journaliste en Corse » était à la place qui convenait car les mots que l’ami Aimé y avaient couchés, évoquaient près d’un demi-siècle de métier et de passion consacrés à respecter l’histoire de notre peuple et à soutenir l’idée que notre terre méritait mieux que d’être considérée comme la caserne d’un corps d’élite, une carte postale Yvon ou un immense « bronze cul ». En tournant à nouveau les pages, au fil de quelques phrases puis en relisant la préface de Pascal Marchetti avec lequel Aimé partageait une certaine idée de la Corse et une grande passion pour l’Italie, il m’est d’ailleurs revenu le souvenir de cette magnifique période qui furent les années 1970 mais aussi les grandes années Pietri. Une nouvelle Corse se levait. Elle était porteuse du Riacquistu linguisticu è culturale, de la mobilisation contre les rejets des « boues rouges » au large du Cap Corse, du combat pour la réouverture de l’Università di Corti, de la méthode Assimil écrite par Pascal Marchetti qui permettait une réappropriation de notre langue par celles et ceux qui n’avaient pas eu la chance et le bonheur de l’apprendre au sein de la famille ou de la cité, de la Chjama di u Castellare ayant jeté les bases intellectuelles et militantes de la revendication autonomiste, de l’ARC des frères Simeoni et des frères Quastana qui faisait que de chrysalide l’idée régionaliste devenait papillon nationaliste, des premiers clandestins di u Fronte Paesanu di Liberazione di a Corsica et de Ghjustizia Paolina qui, un jour, fondèrent le FLNC, et enfin des jeunes qui, après avoir « fait Aleria », étaient devenus des cadres du FLNC et ont fait vivre l’espoir que se réalise cette prédiction ayant fait office d’introduction de « A Cispra » (Antologia Annuale, mars 1914) : «A Corsica ùn hè micca un dipartimentu francese : hè una Nazione vinta chì hà da rinasce ! »
Le scoop dont il était le plus fier
Durant cette période magnifique, Aimé a été à la fois un observateur objectif et un acteur engagé. Il a permis à beaucoup de Corses de l’île et de la Diaspora d’être informés et de comprendre leur monde politique et leur société, et aussi d’avoir envie de s’investir au service de leur peuple. Pour cela, il a délibérément ignoré les convenances et les allégeances. Il a donné autre chose à lire, à écouter ou à voir, que des recopiages de dossiers de presse, que des entretiens arrangés avec des ministres, des préfets ou des élus, que des photos de « pots » d’arrivée ou de départ de hauts-fonctionnaires ou de gendarmes. Il a libéré et délivré l’information ! Il l’a fait en tant que journaliste en étant correspondant de l'Agence France Presse (AFP), RMC (Radio Monte Carlo) et RTL (Radio Télé Luxembourg), du grand quotidien populaire France Soir, de journaux réputés d’Europe (Corriere della Sera, La Nazione, Bild Zeitung). C’est d’ailleurs être correspondant et aussi lecteur assidu du « Corriere della Sera » qui avait titré « Colosso con permesso d'inquinare » (Colosse avec la permission de polluer) pour évoquer la permission donnée au groupe industriel Montedison de déverser au large du Cap Corse les effluents toxiques d'une de ses usines, qui a permis à Aimé de réaliser le coup médiatique dont il était le plus fier : révéler l'affaire des Boues Rouges. Après des années de journalisme, Aimé est devenu patron de presse.
Il a d’abord été l’initiateur du magazine Kyrn dont des ventes ont atteint un total de plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires puis avec José Stromboni (qui en 1973, à Beyrouth, lors d’une Conférence méditerranéenne contre la pollution avait dénoncé la situation coloniale de la Corse et demandé aux Etats présents de porter les problèmes corses devant l’organisation des Nations Unies), il avait fondé la radio libre RCI (Radio Corsica International) ; on qualifiait alors une radio privée de « radio libre » ou de « radio pirate » car la radiodiffusion et la télévision relevaient d’un monopole d'État. Le patron de presse Aimé a été à l’image du journaliste.
Il a confirmé avoir un caractère aussi fichu qu’indépendant en relatant les dires et les actes des puissants et des influents en s’inspirant toujours de ces mots de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais : « Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur (…) Il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. » Sa volonté d’informer et son indépendance l’ont conduit jusqu’à accepter de devenir le Canal Officiel du FLNC (l’organisation clandestine passait par lui pour authentifier ses communiqués et la revendication de ses attentats). La police l’a alors maintes fois convoqué. Il n’en n’a jamais eu cure.
Il n’a pas plié
Pour son amour de la Corse ainsi que pour sa libre parole et son esprit critique, des adversaires du nationalisme respectaient ou admiraient secrètement Aimé, d’autres le craignaient ou s’en méfiaient, et quelques-uns le détestaient. La haine de ces quelques-uns et la volonté de décideurs parisiens de le réduire au silence, lui ont valu d’être la cible d’actions barbouzardes. La première, dans la nuit du 31 octobre 1979, a fortement endommagé l’appartement où il dormait avec sa famille, rue César Campinchi à Bastia.
La seconde, le 14 août 1980, sur l’île d’Elbe, a détruit l’émetteur de Radio Corsica International quelques mois après qu’un élu corse de premier plan et que le ministre de la Culture et de la Communication d’alors aient accusé la radio libre de diffuser une propagande antifrançaise. Aimé n’a pas plié. Les émissions ont repris dès le 18 novembre 1980. Après les aventures Kyrn et Radio Corsica International, Aimé n’a pas renoncé à ses passions de traiter et diffuser l’information. Il a fondé la station de radio Corse Info.
Il est aussi devenu le rédacteur en chef du journal que vous avez présentement en main (oui, oui, notre Journal de la Corse !) et a été un des acteurs majeurs du renouveau du titre. C’est alors que j’ai eu le bonheur de le rencontrer et qu’il a proposé à ma modeste personne de collaborer en exprimant des idées et des faits en toute liberté. Quelques souvenirs ? En tant que rédacteur en chef, il n’était jamais pontifiant ou suffisant. En tant que secrétaire de rédaction, charge qu’il s’imposait par souci de qualité, il n’était pas tatillon et acceptait donc que l’académisme de l’écrit fasse bon ménage, pour la construction des phrases ou le choix des mots, avec les libertés du parler. Il se bornait donc quasiment à corriger la faute de frappe ou d’orthographe, l’erreur lexicale, ou de syntaxe, le massacre de la concordance des temps.
A un âge ayant largement connu plus de quatre-vingts printemps, il gravissait allègrement les sept étage conduisant à son logis en se moquant gentiment des visiteurs qui le suivaient en tirant la langue. Assis derrière son bureau, un quart de siècle après la retraite à 60 ans, il confiait le bonheur de se mettre devant son clavier et son écran d’ordinateur à l’aube au chant du coq pour relire des papiers ou rédiger quelques Puttachji di Carl' Antò.
Enfin, je garde le souvenir de ses échanges, dans le cadre du studio de Corse Info, avec Yves Stella qui avait donné du tonus à la presse militante nationaliste (U Ribombu, Paese). Les discussions entre Aimé, le travailleur rigoureux, et Yves, le travailleurs fantasque, étaient souvent amicalement explosives.
« Souvenirs, Souvenirs, on dit que le temps vous emporte. Et pourtant ça, j'en suis certaine, Souvenirs, Souvenirs, Vous resterez mes copains ».
Alexandra Sereni