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A une semaine d'intervalle Via Stella nous propose deux documentaire écrits par François Xavier Renucci

Via Stella, les 28/10 et 4/11 à 20 h 45
« Les deux Jacques »


A une semaine d’intervalle Via Stella nous propose deux documentaires, l’un sur Jacques Fusina, l’autre sur Jacques Thiers. Deux films écrits par François Xavier Renucci retraçant l’action de deux acteurs essentiels du Riacquistu. « I dui Ghjacumi » avec des ressemblances et des différences. Avec la même passion pour la langue corse.


« Chjama a puesia »
ainsi s’intitule le film qui évoque le parcours de Jacques Fusina. Il met l’accent sur le poète. En français. En corse. Auteur de plus de deux chansons interprétées par des groupes insulaires radicaux qui ont réveillé le peuple de cette île jusqu’alors plutôt somnolant, Fusina ne s’est jamais engagé politiquement. Mais ses mots se sont envolés bien au-delà de leur signification stricto sensu en un voyage mental et affectif qui a été un rappel de la mémoire même lorsque « ses-ces » mots étaient empruntés à ceux de l’Espagnol, Rafael Alberti, transposée dans le célèbre chant, « A galuppa ».

Jacques Fusina est filmé dans son village d’Ortale en Alesani. Magnifiques panoramas du réalisateur Cyrille Claus… Quelque chose de grandiose, de léger et de grave, de profond et d’impalpable. On écoute le poète à livre ouvert en de splendides paysages qui mettent en scène instantanément sa poésie, qui en font apprécier le parfum. Les couleurs. Les odeurs. On suit son histoire dans l’Oise avec son cercle de néo-surréalisme, son séjour à Paris avec la création de la revue, Rigiru, à laquelle ont participé pratiquement tous ceux à qui la langue corse doit sa renaissance. Puis c’est le retour en Corse et l’investissement dans l’université de Corse. Aux détours on croise Buteau de « Canta u populu corsu » et Petru Guelfucci avec son hymne, « Isula ».

Le deuxième documentaire, celui consacré à Jacques Thiers, est axé sur l’itinéraire d’un enfant de Bastia. De ce centre-ville bastiais emplis de cris de gamins d’autrefois, de macagne de vieux, de soupirs de mères, de remontrances de pères. Dans les romans de Thiers revit Bastia tel qu’on ne l’a pas connu tant le romancier est un fils de « Pesciu Anguilla », héritier d’un avant … avant la gentrification et les restos à tout va. Un Bastia vivant qui ignorait le frelaté et résonnait des coups échangés par les bandes rivales de gosses. Le film de Frédéric Sauzay nous invite également à la découverte du village originel de Thiers : Alzeto, qui par un incroyable concours de circonstances de lieux et de temps nous renvoient à Sebastianu Dalzetu !

Thiers avoue avoir le passé comme référence, un passé sans nostalgie, un passé qui ne doit surtout pas nous aveugler. Antienne magistrale de l’écrivain : « L’identité se construit à tous moments »… Le romancier a œuvré à la légitimation de la langue corse. Aux générations suivantes de prendre le flambeau.

Seul regret : dans les deux documentaires les femmes sont peu présentes. Dommage. Reflet de l’ultra patriarcat de la Corse ou de la modestie féminine ?... Peut-être dans un prochain épisode ?

Michèle Acquaviva-Pache

ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS-XAVIER RENUCCI

Est-ce vous qui avez souhaité écrire ces documentaires sur les « Deux Jacques » ?
L’idée vient du producteur, Jean Jacques Torre, qui m’a appelé en 2021 et m’a fait cette proposition. J’ai sauté sur l’occasion. Comme je connaissais leur travail, mon but était de mettre en valeur leurs œuvres.


Ce travail inédit d’écriture cinématographique a-t-il été de soi pour vous ?
Ce travail était tout neuf pour moi. Il était compliqué d’autant que c’était une commande. J’ai donc fait mon apprentissage sur le tas en étroite concordance avec le producteur. Entre nous il y a eu un va-et-vient permanent pour reprendre, rectifier, améliorer le texte. Ces deux documentaires à écrire c’était à la fois un défi et… un plaisir, car je voulais toucher le public le plus large possible sur l’île ainsi que les téléspectateurs du continent qui ignorent tout de la littérature corse.


Ces deux auteurs ont des parcours de vie très riche. Avez-vous dû faire des choix difficiles ?
Oui et non… Avec la production on aurait aimé montrer toutes les facettes de leurs œuvres mais c’était impossible en deux fois 52 minutes, sauf à effectuer un banal survol. Aussi a-t-on décidé de nous polariser sur ce qui fait leur singularité réciproque : le romancier chez Thiers, le poète chez Fusina avec son passage plein de fluidité du corse au français, puisqu’il écrit dans ces deux langues.


Comment avez-vous mis l’accent sur leur singularité à chacun ?
Leur singularité a été mise en lumière par les personnalités différentes des réalisateurs choisis par la production et par également la façon de lire des extraits de leurs œuvres.


Le film sur Jacques Fusina est réalisé par Cyrille Claus. De quelle manière avez-vous procédé avec lui ?
Cyrille Claus connait la Corse depuis les années 80. Il a souvent travaillé sur l’île. En soulignant le côté bilingue de Fusina il a eu un regard en miroir. Il a réalisé une véritable mise en scène en accordant beaucoup d’importance au village de l’auteur et en le suivant le long de la rivière qu’il aimait (et aime) fréquenter.


De quelle façon cela s’est-il passé avec Frédéric Sauzay qui a assumé l’image du documentaire de Jacques Thiers ?
Frédéric Sauzay a été acteur, metteur en scène de théâtre avant de se tourner vers la réalisation de documentaires. Il est sur Paris. S’il n’a pas le même rapport à l’île que Cyrille Claus, il avait déjà rencontré Thiers sur un film documentaire sur Paul Valéry. Le réalisateur et le romancier avaient vite sympathisé et étaient contents de se retrouver à nouveau. Sauzay a souvent filmé caméra à l’épaule en des déambulations dans le centre-ville de Bastia, qui est l’univers spécifique de Jacques Thiers.


Pouvez-vous évoquer votre relation à la Corse ?
Je suis né à Marseille. Quand mes parents sont rentrés en Corse en 1978, ils se sont installés à Ajaccio. Le village de mon père c’est Campile. J’ai été marqué par mes années au lycée Fesch et la librairie La Marge a été un de mes grands centres d’intérêt. Puis j’ai vécu un an à Bastia (hypokhâgne). Après une halte à Paris j’enseigne à Aix-en-Provence. Pour mon DEA j’ai fait un mémoire sur Thiers. Le lien avec la Corse je l’ai toujours conservé par la littérature insulaire. Je publie également chez Albiana. A Aix j’anime un café littéraire et un ciné-club.


Est-ce vous qui vous entretenez à l’image avec Jacques Thiers ?
Effectivement. Entre nous s’instaure un dialogue. Avec Jacques Fusina je relance surtout, hors écran, la discussion. Dans les deux films interviennent Patrizia Gattaceca et Joseph Turchini qui ont été (et sont) depuis longtemps en contact avec les deux auteurs. Dans le prolongement je souhaiterais qu’il y ait d’autres documentaires – plus larges – sur le Riacquistu.


Fusina se définit comme un militant culturel exclusivement alors que chez Thiers il y a aussi un engagement politique. Est-ce un distinguo que vous avez voulu faire ressortir ?
Cet aspect est nettement évoqué par Fusina. Pour Thiers ça l’est un peu moins, sauf par une archive qui le montre enseigner le corse à des lycéens, alors que ce genre de démarche attirait les foudres des institutions en place. Les deux auteurs sont avant tout des écrivains. La poésie de Fusina n’a rien de militant quand bien même ses textes ont été chantés par les groupes les plus radicaux ! Thiers dans ses romans s’intéresse avant tout à la vie des gens, aux changements de société par le biais, entre autres, de la sociolinguistique. Fusina a été dépassé par ses textes… Il l’assume. Leurs écrits à tous les deux ont une plasticité selon les moments et les situations tout en ayant une pérennité. Ils ne sont pas réductible à leur production temporelle.


« Les deux Jacques » ont un regard assez positif sur l’évolution de la langue corse. Est-ce une réalité à mettre en exergue ?
Fusina est très mesuré à ce sujet. Chez les deux auteurs il n’y a pas de satisfecit mais une lucidité qui demande aux générations suivantes de prendre le relai.


Comment voyez-vous la situation de la langue corse aujourd’hui ?
Mon point de vue est partiel et subjectif. Au quotidien la pratique du corse s’étiole mais se développe au plan artistique ! Il y a comme un découplage…

Propos recueillis par M.A-P
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