Gérard Guerrieri sur la plateforme Allindi
La plateforme Allindi propose désormais l'intégrale des films de Gérard Guerrieri.
Gérard Guerrieri : Tout sur Allindi
La plateforme Allindi propose désormais l’intégrale des films (courts, moyens, longs) de Gérard Guerrieri. Des toutes premières œuvres comme « Le testament du Minotaure » à la plus récente « Kurt’s Story » en passant par « Corsica Taf », « Corsica Land », « AfriKa Corse ». Des réalisations dont on se souvient toujours pour leur côté comique et… pour leur fond qui griffe au scalpel la société insulaire !
A 55 ans Gérard Guerrieri garde un air d’adolescent espiègle voire ironique. Savoir faire rire ses contemporains serait-il une potion anti-âge ? On oserait l’espérer ! Né à Bastia, Cap-corsin dans l’âme, le cinéaste s’est d’abord tourné vers l’archéologie, puis vers l’histoire de l’art avant d’être happé par le service militaire, obligatoire en son temps. Ensuite est venue une période de flottement dans ses choix de carrière, plus exactement de vie. Mais c’est faire abstraction du cinéma qui le démange depuis longtemps. Ne manipule-t-il pas tout gamin la caméra 8 millimètres de son grand-père ? Une caméra des années 30, un vrai bijou, qu’il délaisse pour adopter une caméra super 8 sonore à l’adolescence.
Son apprentissage de cinéaste il le fait sur le terrain avec sa bande de potes. Tôt, il se rode ainsi à la direction d’une équipe qui exige du doigté et plus même, car, selon lui, c’est une véritable diplomatie qu’il faut déployer pour faire régner la concorde et l’efficacité sur un tournage
Un enfant d’Albator et de Goldorak
En 1996 un clip sur « I cant’explain » de David Bowie le conduit à se présenter à un concours organisé par la FALEP. Il l’emporte haut la main. Son sens de l’image fait mouche. On aime également la manière dont il marie la nature, la lumière corse avec le morceau de la star. Le clip est tourné en 16 millimètres et le montage sur pellicule se révèle des plus fastidieux pour un jeune encore peu expérimenté. Des difficultés de montage heureusement surmontées avec le numérique.
Gérard Guerrieri est un enfant du cinéma américain des années 70 – 80, des mangas, des séries d’animation japonaise à la TV : Albator et autres Goldorak. A son panthéon cinématographique – même si leurs styles n’ont rien à voir avec le sien : David Lynch, Steven Spielberg, George Lucas, Cronenberg. Mais son réalisateur préféré, favori, c’est sans conteste Alexandre Sokourov dont il admire la trilogie : « Moloch » qui traite d’Hitler, « Taurus » qui évoque Lénine, « Le soleil » qui fait référence à l’empereur, Hirohito. Chez Sokourov il adore encore « L’arche russe », plan séquence de plus d’une heure trente filmé au Musée de L’Ermitage à Saint Pétersbourg. Le réalisateur russe l’enthousiasme pour son art de la mise en scène, des lumières, de la narration même si c’est à l’opposé d’un Spielberg.
Quand on cherche des parentés cinématographiques à Gérard Guerrieri on se tourne vers Mocky, Tarantino, Jerry Lewis. Et le cinéaste corse d’agréer : Mocky pour le fond, Tarantino pour la forme, Jerry Lewis pour le jeu d’acteur. Pourquoi le rire est-il le liant de ses films ? Parce que c’est toujours un challenge. Parce que la dérision est une façon de parler de la société corse avec ses travers tout en remettant, in fine, les choses en place. Comment définir son comique ? Il opte pour burlesque et satirique, mais ce qui lui convient le mieux c’est l’absurde.
Un comique de situation
En écrivant un scénario pense-t-il d’emblée aux acteurs qui incarneront ses personnages ? Réplique instantanée : souvent… pas toujours. Sur un tournage est-il directif ? Il assure miser sur le travail en amont et sur les discussions pour expliquer les traits de caractères de ses protagonistes. Cinéaste il est aussi comédien ce qui ne lui pose aucun problème. Face à la caméra sa règle d’or c’est la souplesse. « Je connais mes limites. Mon jeu doit être ludique sinon je m’ennuie et je déteste ça », insiste-t-il. Si dans « Corsica Taf » il incarne le principal rôle, il n’en va pas de même dans ses autres réalisations. Il apprécie s’entourer de comédiens professionnels mais ne dédaigne pas engager des débutants s’il sent qu’ils sont doués.
Gérard Guerrieri attache beaucoup d’importance au scénario et aux dialogues car c’est d’eux que fuse le comique de situation qui déclenche le rire. C’est pourquoi il réfute la notion de gag. « J’évite tous les effets gagesques », précise-t-il. Ce qui lui plaît : cultiver les circonstances bizarres ancrées dans le quotidien. « En lisant mes scénarios quelqu’un qui ne connaitrait pas mes films ne rirait pas forcément puisque tout provient du contexte dans lequel évoluent les personnages ». Autre composante essentielle de son œuvre : la musique pour laquelle il intervient directement auprès du compositeur. A noter que « Corsica Land », « Afrika Corse », « Kurts’Story » ont des bandes originales de Thomas Kinany.
Feu sur le machisme et l’homophobie !
Marque de fabrique du cinéaste et l’un de ses sujets de prédilection : la parodie échevelée du mythe des armes à feu si répandue dans la mentalité corse. Fantasme qu’il dézingue avec une désinvolture hilarante. Dans sa ligne de mire également : le machisme. Pour rappel l’excellente séquence de drague lourde… et irrésistiblement drôle dans « Corsica Taf », séquence qui se déroule dans une minable cuisine de la cité Aurore.
Le racisme et l’homophobie sont aussi dans son viseur, « mitraillés » à chaud dans la plus époustouflante outrance. C’est dire que ses œuvres vont beaucoup plus loin que la simple rigolade où beaucoup les cantonnent. Chez lui la charge peut ne pas s’embarrasser de subtilité mais la dénonciation des tares sociétales est là, ainsi pour le porno dans « X making ». Pareil en ce qui concerne le galimatias scientifique et météorologique qui alimente certaines de ses réalisations. Cela va de l’emploi farfelu de la tectonique des plaques à la sauce pimentée de E = MC2 empruntée à Einstein.
Tournant sur l’île, mettant en scène la société insulaire Gérard Guerrieri se fait remarquer par un usage de l’accent bastiais … à couper au couteau. C’en est presqu’une signature ! Mais cet accent est autant musique que décor. Il est à la fois réaliste et manière décalée de faire apparaitre un langage à l’image.
Jouer des codes insulaires
Si l’actualité politique corse n’est pas son terrain de chasse habituel – sauf dans « Fin de règne » - l’actualité sociétale fait son miel. Elle lui est source d’inspiration inépuisable pour conter les choses de façon détournée, originale, personnelle. Jouer avec les codes insulaires et chercher une trame à ses histoires qui sorte des chemins battus est un exercice dans lequel il se régale.
Lorsqu’on l’interroge sur les films qu’il a réalisé, qui lui tiennent le plus à cœur, on obtient une réponse en trois volets. Au plan cinématographie, il estime que « Fin de règne » est le plus abouti. A ses yeux celui dont le scénario est le mieux ficelé est « Afrika Corse ». Celui qui incarne un basculement d’époques est « X making » parce qu’i reflète le monde d’avant internet et le monde qui allait advenir avec la généralisation de l’informatique et des réseaux sociaux.
Dans sa filmographie il y a – peut-être – un sort à part à faire à « Afrika Corse », non parce que c’est la réalisation la plus cocasse et la plus fantasque mais parce que le cinéaste se livre à une mise au pilori de l’identité dans ce qu’elle peut avoir de plus risible et saugrenue. Dans ce long-métrage n’assiste-t-on pas aux renoncements de leurs idéaux par trois frères mus par l’appât d’un héritage ! A ce stade la comédie a un goût décapant… et amer !
Michèle Acquaviva-Pache
Filmographie
1987 : « Post », court-métrage de SF. 1991 : « I cant’explain ». 1996 : « Le testament du Minotaure ». 1999 : « Corsica Taf ». 2002 : « X making ». 2007 : « Fin de règne ».2009 : « Corsica Land ». 2016 : « Afrika Corse ». 2021 : « Kurt’s Story ».