Quand la Corse insurgée élisait son roi

Quand la Corse insurgée élisait son roi

Après que Gênes a une nouvelle fois cherché à désarmer, la population insulaire en révolte depuis 1729, l’insurrection reprend de plus belle. Les insurgés se cherchent un chef qui puisse gérer leurs querelles internes. Le 22 mars 1736 plusieurs navires chargés d’armes accostent en plage d’Aleria. Un personnage en descend : Théodore de Neuhoff. L’homme est un aventurier pittoresque qui a été sollicité par les chefs de l’insurrection corses. Il a promis de mener la Corse à la liberté, à une seule condition : d’être nommé roi. Le 13 avril 1736, c’est chose faite à Alisgiani.


Un sujet de moquerie, mais une vraie ambition pour la Corse

Sitôt élu, le Roi Théodore devient un sujet de moquerie en Europe. Voltaire en fera, en 1759, l’un des personnages grotesques de son Candide. Les Génois le surnomment Tutte rame tout en cuivre, à cause de l’absence de métal précieux dans les monnaies qu’il fait frapper voulant donner au royaume de Corse (terme que conservera Pasquale Paoli) tous les attributs d’un vrai royaume. L’espérance que soulève le petit roi est exprimée dans un discours prononcé par le père de Pasquale Paoli, Giacinto et rapporté par Sebastiano Costa, le très remarquable chancelier de Théodore « Nous verrons la justice, la tempérance, la force, la bienfaisance, la rigueur et la mansuétude, l’amour, la charité, la foi, l’honnêteté, toutes les vertus rassemblées. Vous verrez comment on use des punitions et des châtiments contre les scélérats, et comment on s’accorde les indulgences et le pardon sans offenser le droit ; comment, dans l’administration de la justice, l’argent sera méprisé et aimée la gloire, vrais prix des Rois ; comment seront chassés pour toujours les calomnies, les vols, les homicides, les haines, les vengeances, les stupres, les violences, les rivalités, les jalousies… Les lois seront équitables en même temps que justes pour mettre un frein aux délits et abréger les disputes du forum. Il n’y aura qu’une seule règle pour juger… Le commerce fleurira et apportera dans le Royaume l’abondance de toutes choses, les affaires se multiplieront et, avec elles, l’or et l’argent ; la terre portera ses fruits ; la culture ne sera jamais interrompue. Les récoltes seront abondantes et l’abondance restera dans le Royaume… Les Universités s’ouvriront, les Collèges se construiront.

Bref la Corse n’aura plus rien à envier aux autres nations. »


Quand le naturel revient au galop

Le petit roi crée une noblesse insulaire. Mais en distribuant les titres, il réveille les vieilles rivalités entre familles et régions. Toujours fidèle et inspiré, son conseiller, Sébastien Costa, maintient le contact avec cette culture que Théodore connaît si mal. Hélas, les promesses qu’il avait faites ne se réalisent pas et bientôt l’argent se fait rare.
Après une expédition militaire en Balagne qui tourne à la catastrophe, les principaux chefs corses dont Hyacinthe Paoli lui font défaut. Le sacrement de Théodore ne remplissait qu’une fonction : donner une légitimité à la liberté corse. Puisque celui-ci n’a pas rempli son mandat, il est rejeté par des notables inconstants. Un nouvel échec militaire à Campomoro et, Théodore quitte la Corse le 10 novembre 1736, en promettant de revenir avec des secours.


L’échec du retour

Le petit roi a fait trembler la France qui craint que la Corse n’établisse des relations privilégiées avec d’autres puissances et qui en conséquence cherche à renforcer la présence génoise. De son côté, Théodore n’a pas abandonné la Corse et reçoit l’aide de banquiers néerlandais et met sur pied une expédition qui arrive en vue des côtes de Corse en août 1738. Le débarquement est un échec à cause des troupes françaises. Théodore gagne Naples qui sous la pression de l’ambassade française, l’emprisonne puis l’expulse. Le petit roi réussit à obtenir le soutien de la Grande-Bretagne et se présente en 1743 devant la Balagne. Mais il a été oublié en Corse. Il mène une vie d’errance jusqu’à Londres où il est emprisonné pour dettes en 1749 jusqu’au 6 décembre 1756 où il est recueilli par un artisan juif chez qui il meurt cinq jours plus tard. Il était écrit sur une épitaphe :

« Le tombeau, ce grand maître, met au même niveau.
Héros et mendiants, galériens et rois : Mais Théodore fut instruit de cette morale avant que d’être mort.
Le destin prodigua ses leçons sur sa tête vivante.
Il lui accorda un royaume et lui refusa du pain. »


GXC