Gérald Darmanin : encore faux-bon, vraiment pas bon !
Est-on encore dans quelque chose ressemblant à un réel processus politique ?
Gérald Darmanin : encore faux-bond, vraiment pas bon !
Est-on encore dans quelque chose ressemblant à un réel processus politique ? Difficile de répondre oui.
Le ministre de l'Intérieur et des Outre-Mer Gérald Darmanin a décidé de reporter à janvier 2022 la visite qu'il devait effectuer chez nous les 8 et 9 décembre après avoir jugé que « le climat n'était pas favorable aux échanges ». Il est ainsi manifestement fait allusion à des événements survenus ces temps derniers : envahissement de l'hémicycle de l’Assemblée de Corse par des manifestants qui exigeaient que, dans le cadre des discussions entre l’Etat et les élus de la Corse, soit pris en compte le dossier Prisonniers et anciens prisonniers politiques ; mise en garde à vue de nationalistes dont deux figures emblématiques (Pierre Paoli, Charles Pieri) ; incendies volontaires de biens appartenant à des non-corses.
C'est la deuxième fois que le ministre annule une venue dans l’île. Début octobre, il avait fait de même en invoquant des « conditions non réunies pour un débat serein » après le rejet par la Cour d’appel de Paris d’une énième demande de semi-liberté de Pierre Alessandri. On est loin d’un respect du calendrier annoncé l’été dernier par l’intéressé. Celui-ci assurait alors qu'il se rendrait en Corse au moins tous les mois et demi. Le ministère de l’Intérieur a précisé que la décision d’un nouveau report avait été prise en tenant compte de l’avis des élus locaux : « Les élus considèrent qu'au regard du climat de tension autour de la question des détenus et des arrestations récentes, il vaut mieux laisser un peu de temps pour que la tension diminue. » Qui, chez nous, a incité le ministre à faire à nouveau faux-bond ?
Sans doute pas...
Sans doute pas Laurent Marcangeli ! Évoquant le processus Darmanin, le député et président du groupe de droite Horizons à l’Assemblée Nationale, avait dernièrement déclaré : « Il faut que les rencontres reprennent vite pour remettre de l'apaisement et renvoyer l'image d'élus qui s'investissent en partenariat avec le gouvernement. » Sans doute pas le président du Conseil exécutif de Corse ! Ce dernier avait récemment fait part aux élus de l’Assemblée de Corse d’un entretien avec Gérald Darmanin visant à relancer les négociations entre l’État et la Corse. Sans doute pas les élus de l’Assemblée de Corse ! Ceux-ci avaient approuvé la démarche de Gilles Simeoni ou s’étaient gardé de frontalement la critiquer ! Romain Colonna, au nom du groupe Fa Populu Inseme, l’avait louée : « Le temps est venu de la discussion […] Vous en avez pris le chemin, Monsieur le Président ». Jean-Martin Mondoloni, le leader de la droite dans l’hémicycle, avait déclaré : « Nous, on considère qu’il faut réactiver les discussions avec Beauvau le plus tôt possible. » Paul-Félix Benedetti, président du groupe Core in Fronte, avait annoncé qu’il jugerait « bienvenue » la visite annoncée de Gérald Darmanin pour peu que le ministre délivre un message non seulement positif mais concret : « Le message doit être factuel et ne peut pas être que dans l’holographie politique. » Josepha Giacometti avait, au nom de Corsica Libera, déploré une situation « toujours bloquée » mais évoqué « une attente d’actes clairs ».
Enfin, ayant fait partie des maires corses reçus par le ministre de l’Intérieur dans le cadre du Congrès des maires, et étant intervenu au nom du groupe PNC - Avanzemu, Jean-Christophe Angelini avait dit avoir cru « voir la volonté de l’État de garder intact l’espoir d’un processus politique qui puisse se déployer et donner lieu le moment venu à des résultats. » Enfin, il serait surprenant que les maires, contents de pouvoir exposer sans intermédiaire les besoins des communes et leur demande de considération, aient suggéré au ministre de rester à Paris.
Stratagème pour brouiller les cartes ?
Le plus probable, et ce, contrairement à ce qu’ont communiqué ses services, est que Gérald Darmanin, ayant été informé que les interpellations de nationalistes se multiplieraient, ait unilatéralement choisi de reporter sa venue. Cette fin d'année devait être une période de première concrétisation du dialogue « historique » qu’il avait ouvert en mars dernier, il n’en sera rien !
Il semble que la méfiance et le ressentiment regagnent du terrain du fait des annulations de réunions, des reports de visites ministérielles, de la relance des enquêtes par les services chargés de la lutte anti-terroriste, des tracasseries infligées à d’anciens prisonniers politiques, du retour de l’action violente contre la spéculation immobilière et, enfin, du sentiment croissant, au sein de la mouvance nationaliste et d’autres secteurs de la société corse, que le Peuple corse est plus que jamais confronté à une désappropriation de sa terre, de ses biens ancestraux, de l’économie, de l’emploi.
Il semble que se développe le soupçon que le processus Darmanin n’est pour l’État qu’un stratagème dont la finalité est, outre gagner du temps, de brouiller les cartes afin d’affaiblir et diviser la mouvance nationaliste. Il semble que des camarillas comprenant des politiciens, des policiers, des juges, des préfets et toutes sortes de haut-fonctionnaires anti-corses, intégristes jacobins ou peut-être en charge de limer les dents de l’ambition carnassière du ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer, s’emploient à faire échouer le dialogue Paris / Corse qu’il a initié.
A moins que, machiavéliquement, ce dernier soit à la manœuvre pour déstabiliser et discréditer Gilles Simeoni qui s’est beaucoup engagé, et complaire ainsi à Emmanuel Macron qui, devant le président du Conseil exécutif également ancien avocat d’Yvan Colonna, et ce, sur les lieux où est tombé le préfet Claude Erignac, a lancé : « Ce qui s’est passé ici, ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s'explique pas ». Mais, au fond, peu importe que telle ou telle hypothèse soit actuellement validée ou invalidée.
Ce qui aujourd’hui mérite vraiment d’être pris en considération est qu’en faisant une fois encore faux-bond, Gérald Darmanin a confirmé que, ces dernières semaines, ce n’est vraiment pas bon. De quoi donner raison à Petru Antone Tomasi, le nouveau porte parole de Corsica Libera, qui a déclaré en apprenant la décision du ministre d'annuler sa venue : « Nous ne sommes nullement, malgré les incantations et les déclarations de principe, dans quelque chose qui ressemblerait à un processus politique en Corse ».
Pierre Corsi