Kabylie : de la revendication culturelle et linguistique à l'indépendantisme
En août dernier, une délégation du MAK était présente sous le chapiteau des Ghjurnate Internaziunale.
Kabylie : de la revendication culturelle et linguistique à l’indépendantisme
En août dernier, une délégation du MAK (Mouvement pour l‘Autodétermination de la Kabylie) était présente sous le chapiteau des Ghjurnate Internaziunale. Chez nous, ce mouvement et la revendication indépendantiste kabyle restent cependant méconnus. Regard sur des décennies de lutte.
Il y a quelques jours, un tribunal algérien a condamné Ferhat Mahenni, président du MAK (Mouvement pour l‘Autodétermination de la Kabylie) en exil en France, à l’emprisonnement à perpétuité par contumace « pour création d’une organisation terroriste et atteinte à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale ».
Cette condamnation s’inscrit dans une répression souvent sanglante des revendications linguistique, culturelle et institutionnelle kabyles ayant débuté avant l’indépendance de l’Algérie. Entre 1949 et 1956, les militants kabyles qui, au sein du mouvement national algérien, défendaient la vision d’une Algérie plurielle, ont été mis à l’écart puis assassinés par les militants favorables à une Algérie centraliste, arabe et islamique. Après l’accession de l’Algérie à l’indépendance, la Kabylie a vu sa langue et sa culture exclues de la culture nationale algérienne et menacées par une politique d’arabisation.
En 1980, la création du Mouvement Culturel Berbère et de grandes mobilisations populaires (Printemps berbère) pour la reconnaissance et l’enseignement de la culture et de la langue kabyles ont été durement réprimées (notamment le 7 avril à Alger, arrestations et nombreux blessés lors d’une importante manifestation, et le 20 avril à Tizi-Ouzou, brutales interventions policières contre l’Université, l’hôpital et des usines).
En avril 2001, la mort d’un jeune kabyle dans une caserne de gendarmerie puis l’interpellation brutale de lycéens kabyles ayant lancé des slogans ayant été jugés hostiles à la gendarmerie, ont donné lieu à un « Printemps noir ». Des manifestations ont éclaté. Une répression féroce a suivi (127 morts et des milliers de blessés parmi les manifestants kabyles). Des casernes de la gendarmerie ont été incendiées. Malgré une concession de autorités algériennes durant les années 1990 (enseignement facultatif de la langue kabyle à titre expérimental dans 20 des 48 départements que compte l'Algérie) et les tentatives de deux partis traditionnels kabyles de promouvoir et crédibiliser des projets régionalistes, le combat kabyle est alors passé d’une revendication linguistique et culturelle restée « algérianiste » à une revendication politique assumée qui a osé briser le tabou de l’unicité algérienne. Les germes de cette rupture existaient certes avant le « Printemps noir ».
Ainsi, lors de la commémoration 1998 du « Printemps berbère », dans un appel public intitulé : « Tamazight, langue nationale de l’Algérie et langue propre de la Kabylie », il était demandé la reconnaissance du kabyle comme « langue propre » des zones berbérophones qui le demanderaient. Cependant, fin avril 2001, une étape décisive vers la rupture a été franchie.
Création et évolution du MAK
En effet, le 29 avril 2021, a été diffusé le manifeste « Une Kabylie autonome pour une Algérie démocratique » revendiquant pour la Kabylie une reconnaissance de la langue berbère comme « langue propre » et un « statut d’ample autonomie ». L’un des promoteurs du manifeste a expliqué : « Il est temps pour la Kabylie de prendre son destin en main […] La stratégie « algérianiste » des élites politiques kabyles se révèle être une illusion dangereuse qui n’a apporté et n’apportera ni la démocratie à l’Algérie, ni la liberté et la sécurité à la Kabylie […] Nous prônons l’autonomie de la Kabylie d’abord pour assurer le droit à l’existence d’une identité collective ; c’est ainsi que l’on pourra renforcer le camp de la liberté et de la démocratie. » Quelques jours plus tard, la rupture a été confirmée par la création du MAK (Mouvement pour l‘Autonomie de la Kabylie) à Tizi-Ouzou, la capitale kabyle.
En effet, le MAK exigeait notamment pour les territoires kabyles, une autonomie impliquant notamment la reconnaissance de la langue kabyle comme « langue propre », l’instauration d’un gouvernement et d’un parlement kabyles, la limitation des compétences du pouvoir central à quelques domaines (monnaie, défense nationale, diplomatie…) En 2013, le MAK a décidé de revendiquer non plus l’autonomie mais l’autodétermination et en conséquence de se dénommer Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie. Cette évolution a été motivée par la prise en compte qu’exercer le droit à l’autodétermination est démocratique (référendum par lequel chaque citoyen est appelé à s’exprimer), admet toutes les possibilités institutionnelles (statu quo, autonomie, indépendance…) et est reconnu par le droit international. En 2016, son président, Ferhat Mehenni, a annoncé que le MAK privilégiait désormais l’option indépendantiste : « Le droit à l’autodétermination de la Kabylie qui reste notre objectif stratégique est bel et bien redéfini comme celui de notre indépendance. »
Bien que le MAK se réclame de l’action démocratique, rejette l’emploi de la violence et bénéficie d’une audience significative en Kabylie et au sein de la diaspora kabyle, il est privé d’existence officielle par les autorités algériennes et, depuis l’an passé, il est classé « organisation terroriste ». Cette situation l’écarte bien sûr de toute représentation officielle et de toute participation à des élections. Pour occuper le terrain et diffuser son message, comme l’indiquent d’ailleurs ses statuts, le MAK recourt à une structuration de base fondée sur l’organisation traditionnelle de la société kabyle : « Comme le village est l’instance de base de la Kabylie, le MAK a sa propre Tajmaat (autorité locale, NDLR) dans chaque village, dans chaque quartier dans les villes. » et à aux moyens d’action que sont : « les conférences, les meetings, les manifestations populaires, les grèves, la diffusion de son discours et de ses positions à travers une communication multiforme, la mise en place d’institutions kabyles en exil, la saisine des instances internationales ».
Alexandra Sereni
En août dernier, une délégation du MAK (Mouvement pour l‘Autodétermination de la Kabylie) était présente sous le chapiteau des Ghjurnate Internaziunale. Chez nous, ce mouvement et la revendication indépendantiste kabyle restent cependant méconnus. Regard sur des décennies de lutte.
Il y a quelques jours, un tribunal algérien a condamné Ferhat Mahenni, président du MAK (Mouvement pour l‘Autodétermination de la Kabylie) en exil en France, à l’emprisonnement à perpétuité par contumace « pour création d’une organisation terroriste et atteinte à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale ».
Cette condamnation s’inscrit dans une répression souvent sanglante des revendications linguistique, culturelle et institutionnelle kabyles ayant débuté avant l’indépendance de l’Algérie. Entre 1949 et 1956, les militants kabyles qui, au sein du mouvement national algérien, défendaient la vision d’une Algérie plurielle, ont été mis à l’écart puis assassinés par les militants favorables à une Algérie centraliste, arabe et islamique. Après l’accession de l’Algérie à l’indépendance, la Kabylie a vu sa langue et sa culture exclues de la culture nationale algérienne et menacées par une politique d’arabisation.
En 1980, la création du Mouvement Culturel Berbère et de grandes mobilisations populaires (Printemps berbère) pour la reconnaissance et l’enseignement de la culture et de la langue kabyles ont été durement réprimées (notamment le 7 avril à Alger, arrestations et nombreux blessés lors d’une importante manifestation, et le 20 avril à Tizi-Ouzou, brutales interventions policières contre l’Université, l’hôpital et des usines).
En avril 2001, la mort d’un jeune kabyle dans une caserne de gendarmerie puis l’interpellation brutale de lycéens kabyles ayant lancé des slogans ayant été jugés hostiles à la gendarmerie, ont donné lieu à un « Printemps noir ». Des manifestations ont éclaté. Une répression féroce a suivi (127 morts et des milliers de blessés parmi les manifestants kabyles). Des casernes de la gendarmerie ont été incendiées. Malgré une concession de autorités algériennes durant les années 1990 (enseignement facultatif de la langue kabyle à titre expérimental dans 20 des 48 départements que compte l'Algérie) et les tentatives de deux partis traditionnels kabyles de promouvoir et crédibiliser des projets régionalistes, le combat kabyle est alors passé d’une revendication linguistique et culturelle restée « algérianiste » à une revendication politique assumée qui a osé briser le tabou de l’unicité algérienne. Les germes de cette rupture existaient certes avant le « Printemps noir ».
Ainsi, lors de la commémoration 1998 du « Printemps berbère », dans un appel public intitulé : « Tamazight, langue nationale de l’Algérie et langue propre de la Kabylie », il était demandé la reconnaissance du kabyle comme « langue propre » des zones berbérophones qui le demanderaient. Cependant, fin avril 2001, une étape décisive vers la rupture a été franchie.
Création et évolution du MAK
En effet, le 29 avril 2021, a été diffusé le manifeste « Une Kabylie autonome pour une Algérie démocratique » revendiquant pour la Kabylie une reconnaissance de la langue berbère comme « langue propre » et un « statut d’ample autonomie ». L’un des promoteurs du manifeste a expliqué : « Il est temps pour la Kabylie de prendre son destin en main […] La stratégie « algérianiste » des élites politiques kabyles se révèle être une illusion dangereuse qui n’a apporté et n’apportera ni la démocratie à l’Algérie, ni la liberté et la sécurité à la Kabylie […] Nous prônons l’autonomie de la Kabylie d’abord pour assurer le droit à l’existence d’une identité collective ; c’est ainsi que l’on pourra renforcer le camp de la liberté et de la démocratie. » Quelques jours plus tard, la rupture a été confirmée par la création du MAK (Mouvement pour l‘Autonomie de la Kabylie) à Tizi-Ouzou, la capitale kabyle.
En effet, le MAK exigeait notamment pour les territoires kabyles, une autonomie impliquant notamment la reconnaissance de la langue kabyle comme « langue propre », l’instauration d’un gouvernement et d’un parlement kabyles, la limitation des compétences du pouvoir central à quelques domaines (monnaie, défense nationale, diplomatie…) En 2013, le MAK a décidé de revendiquer non plus l’autonomie mais l’autodétermination et en conséquence de se dénommer Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie. Cette évolution a été motivée par la prise en compte qu’exercer le droit à l’autodétermination est démocratique (référendum par lequel chaque citoyen est appelé à s’exprimer), admet toutes les possibilités institutionnelles (statu quo, autonomie, indépendance…) et est reconnu par le droit international. En 2016, son président, Ferhat Mehenni, a annoncé que le MAK privilégiait désormais l’option indépendantiste : « Le droit à l’autodétermination de la Kabylie qui reste notre objectif stratégique est bel et bien redéfini comme celui de notre indépendance. »
Bien que le MAK se réclame de l’action démocratique, rejette l’emploi de la violence et bénéficie d’une audience significative en Kabylie et au sein de la diaspora kabyle, il est privé d’existence officielle par les autorités algériennes et, depuis l’an passé, il est classé « organisation terroriste ». Cette situation l’écarte bien sûr de toute représentation officielle et de toute participation à des élections. Pour occuper le terrain et diffuser son message, comme l’indiquent d’ailleurs ses statuts, le MAK recourt à une structuration de base fondée sur l’organisation traditionnelle de la société kabyle : « Comme le village est l’instance de base de la Kabylie, le MAK a sa propre Tajmaat (autorité locale, NDLR) dans chaque village, dans chaque quartier dans les villes. » et à aux moyens d’action que sont : « les conférences, les meetings, les manifestations populaires, les grèves, la diffusion de son discours et de ses positions à travers une communication multiforme, la mise en place d’institutions kabyles en exil, la saisine des instances internationales ».
Alexandra Sereni