Criminalité organisée : le poison et l'antidote
Une démarche collective pour faire face à la criminalité organisé
Criminalité organisée : le poison et l’antidote
La session extraordinaire de l’Assemblée de Corse consacrée aux dérives mafieuses a donné lieu à une avancée importante. Elle a permis que la criminalité organisée qui sévit dans l’île soit désormais qualifiée par tous de « mafieuse » et d’esquisser une démarche collective pour faire face. Mais le temps presse.
Le 31 décembre dernier, lors de la présentation de ses vœux pour l’année nouvelle, le président du Conseil exécutif a évoqué avoir été la cible de menaces. Il n’a toutefois indiqué ni les circonstances, ni la teneur de ces menaces. Cette évocation doit cependant être considérée comme louable et opportune, et ce, pour au moins deux raisons.
D’une part, elle est de nature à encourager la libération de la parole anti-mafia qui se développe depuis la création des collectifs Massimu Susini et Maffia no, a vita iè.
D’autre part, elle ne peut qu’inciter à renforcer la volonté politique de réagir qui s’est dessinée à l’Assemblée de Corse, le 18 novembre dernier, lors de la session extraordinaire à l’issue de laquelle il a été unanimement reconnu que des intérêts et des agissements mafieux rongent la société corse.
En effet, aussi bien dans le projet de résolution qui a été imposée par tous les conseillers nationalistes que dans celui qui a été défendu sans succès par le groupe de droite Soffiu Novu, il est fait état de dérives mafieuses. Dans la résolution qui a été votée, il est énoncé que « l’aspiration du peuple corse à vivre dans une société libre, démocratique, et apaisée » est menacée par « un phénomène de dérives mafieuses », et il est défini comme dérive mafieuse : « toute forme de crime ou de délit, ou tout comportement, émanant de groupes appartenant à la sphère de la criminalité organisée, et usant de violence ou contrainte, ou menaçant de le faire, pour influer sur les choix individuels et collectifs des citoyens, et/ou des décideurs, et/ou des élus, et de la société corse, notamment dans la sphère économique et/ou politique ».
L’existence et la dénomination d’un poison mafieux ont donc été clairement actées.
Le président du groupe Partitu di a Nazione Corsa / Avanzemu et le président du Conseil exécutif l’ont d’ailleurs particulièrement souligné. Jean-Christophe Angelini a lancé : « On a désigné le mal (…) Notre assemblée, au travers cette résolution, pose un acte clair qui désigne les choses. Parce que parler de violences c’est une chose. Parler d’un fait mafieux en Corse, qu’on le veuille ou non, cela en est une autre. Parce que les mots ont un sens, il fallait que l’on désigne précisément ce dont on parle depuis un moment ». Gilles Simeoni a affirmé que faire état de « dérives mafieuses » relevait d’une « définition claire ».
La session extraordinaire du 18 novembre a donc apporté une réponse positive à ce qu’exigeaient les collectifs anti-mafia Massimu Susini et A maffia nò, a vita iè qui, quelques mois auparavant, lors d’un débat public organisé à Bastia avec les représentants des listes encore présentes au second tour des élections territoriales, avaient en substance martelé : « Il y a une mafia en Corse. Il faut nommer le mal pour mieux le combattre ».
Il est plus que temps...
L’existence et la dénomination du poison étant actées, il convient désormais d‘élaborer l’antidote.
La résolution annonce une démarche en ce sens. Il y est annoncé la mise en place « d’un cycle de travail de cinq mois, associant organes de la Collectivité de Corse, communes, intercommunalités et forces vives » et que les travaux s’organiseront autour de cinq thèmes : « Éthique et politiques publiques, Secteurs économiques particulièrement exposés, Drogues et commerces illicites ; Dérives mafieuses : Instruments d’analyse et de quantification ; Procédure, droit et politique pénale ; Enjeux éducatifs, culturels et sociétaux ».
Il y est aussi indiqué une deadline : « Un rapport du Conseil exécutif de Corse et de l’Assemblée de Corse sera soumis au débat et au vote au plus tard lors de la session de juin 2023 ». Il va aussi dans le sens de l’activation d’un antidote que, dans la résolution, le Conseil exécutif et l’Assemblée de Corse proposent à « l’ensemble des élus de la Corse et des forces vives de la société corse » de s’engager, notamment en participant au cycle de travail, afin de définir et mettre en œuvre une stratégie d’ensemble, et ne se cantonnent pas à rappeler « que les réponses policières et judiciaires aux dérives mafieuses relèvent exclusivement des compétences régaliennes ».
Il est en effet nécessaire de susciter une prise de conscience collective de la société corse et de la mobiliser, et de définir et conduire des politiques publiques de nature à prévenir ou limiter les dérives mafieuses, notamment en apportant des réponses aux besoin d’éducation et de formation professionnelle de la jeunesse, en agissant efficacement contre la spéculation foncière et la constitution de monopoles, en accentuant la transparence et le contrôle dans le gestion des marchés publics. Par ailleurs, qu’une deadline pour élaborer des propositions ait été fixée, et ce, selon un temps imparti relativement court, est particulièrement pertinent car, comme vient de le rappeler l’actualité, le temps presse.
En effet, les menaces dont le président du Conseil exécutif a fait mention ainsi que les incendiaires qui ont endommagé, à Aiacciu, la concession automobile de Jean-André Miniconi (conseiller municipal d’Aiacciu, opposition, Femu a Corsica) et, à Corti, deux restaurants dont un étant géré par le fils de Gilles Simeoni, ont rappelé que quelles que soient les motivations de ces actes criminels, le poison mafieux est présent et actif et que si ceux qui l’inoculent, s’ils ne gouvernent pas encore la société corse, la gangrènent.
En effet également, il convient de ne pas éluder que le Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée corse (Sirasco) estime qu’entre 20 et 25 équipes criminelles sévissent chez nous. Cette situation d’urgence conduit d’ailleurs a déplorer que beaucoup de temps ait été perdu et que les Cassandre aient été peu écoutés.
En effet, au début des années 1990, trop peu d’entre nous ont prêté attention à la dénonciation, par Pierre Poggioli alors leader de l'Accolta Naziunale Corsa (ANC), du risque de « dérive mafieuse ». Trop peu d’entre nous aussi ont pris en considération ce que ce même Pierre Poggioli écrivait en 2013 pour présenter son ouvrage intitulé Corse : Entre Néo-clanisme et Mafia ? : « La Corse connaît depuis ces dernières années, une terrifiante montée en puissance de la Criminalité (…)
On assiste aujourd’hui à la mise en place d’une criminalité organisée qui va dans le sens d’une véritable « mafiosisation », le mot étant entendu comme l’établissement d’une mafia made in Corsica (…) Aujourd’hui le néo-banditisme qui a pris forme après une redistribution des cartes opérée à partir du milieu des années 90, est en passe de mettre la Corse en coupe réglée ».
Il est certes encore temps d’agir. Mais, ne l’oublions pas, il est plus que temps…
Pierre Corsi