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De la famille corse et du sacrifice 2ème partie )

L’individualisme était donc réduit à sa portion la plus congrue dans une société où l’ensemble des possessions sont gérées en indivision.

De la famille corse et du sacrifice ( 2e partie )


L’individualisme était donc réduit à sa portion la plus congrue dans une société où l’ensemble des possessions sont gérées en indivision. Et nous pouvons également le constater par le rapport que les hommes pouvaient entretenir à leur descendance.

En effet, à la fin XIX siècle, il n’était en effet pas rare qu’en Corse, des hommes demeurent « vieux garçons » : l’île était alors la région de France avec la plus forte proportion de célibataires, tout en étant paradoxalement celle où il y avait le plus de familles nombreuses. Ces célibataires étaient désignés par la stratégie familiale pour entretenir les biens et devenaient souvent «capu» à la suite du décès du patriarche précédent. En ce cas, ils devenaient dépositaires de leur lignée et, pour toute la parenté, celui qui avait à charge de la faire prospérer matériellement.
Pour cela, le «capu» célibataire sacrifiait son désir naturel et légitime d’avoir des enfants pour faire prévaloir les intérêts de la parenté sur le long terme. L’expression « fà u ziu » désignait alors ce contexte: juridiquement, la propriété des biens lui revenait, tout en sachant que cet état était temporaire, un de ses neveux, désigné lui aussi par la stratégie familiale, en héritera.
L’objectif du «capu» était alors d’accroître la valeur des biens que ce neveu aurait à sa charge le moment venu : on disait qu’il « travaillait pour son neveu ». Bien souvent le «capu»
associait donc son frère à toutes ses entreprises non parce qu’il était son frère, mais parce qu’il était le père du neveu qui prendrait les rennes un jour.

LE SENS D’UNE CONTINUITE


Ce sens du devoir envers la lignée, qui va des ancêtres les plus lointains jusqu’aux générations futures, cette capacité à s’y projeter pour oublier son individualité, cristallisait une vision transcendantale de la famille : on connaissait sa généalogie, on révérait un véritable culte aux aïeuls qui étaient spirituellement et matériellement présents au quotidien, la permanence des biens, des us, des coutumes les rappelant
Enfin, le village n’étant alors qu’un groupe de familles liées entre elles, il est cohérent que cette priorité donnée à la survie du collectif avant les désirs de l’individu, s’appliqua à lui. C’est ainsi que l’on peut expliquer la proportion exceptionnelle des terres communautaires (« terra cumuna »)
chez nous, jusqu’à 70 % des terres dans certaines communes du centre de la Corse. L’usage de ces terres était attribué collectivement par décision des différents chefs de famille. Elles avaient les mêmes fonctions matérielle et symbolique que l’indivision de la propriété a échelle familiale : garantir la survivance de la communauté par la mise en commun de la production mais également son unité et sa cohésion malgré le passage du temps et les ambitions individuelles.


En conclusion
, à toutes les échelles de la vie du quotidien, dans la société traditionnelle corse jusqu’au XX siècle, l’individu faisait taire ses visées personnelles pour le bien du collectif, perçu comme objectif suprême et valorisé par les institutions familiales et villageoises.
Cela ne veut pas dire que les ambitions privées n'existaient pas : toute la société était codifiée pour réguler la tension permanente entre les prétentions individuelles et les nécessités de vie commune. Ce contexte social, marqué par de fortes pressions sur chacun de ses membres, a entraîné le développement d'un profond sens du devoir envers les siens : l’obligation devant les ancêtres révérés d'assumer son rôle dans la stratégie familiale, de subvenir aux besoins matériels de la lignée mais également d’en défendre l'honneur et le prestige.
C’est ce sens du devoir qui préparait les corses à affronter la rudesse de la vie d’alors, les hivers rigoureux, les épidémies et les guerres. C’est ce sentiment qui les habitait quand ils se regroupaient pour faire face à un ennemi. Et, je crois, qu’ils l’ont ressenti, mêlé pour certain d’une angoisse sincère, quand le tocsin résonna le 1er Août 1914.


Jérémy Palmesani
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