Flaubert en Corse .Road movie à cheval
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Flaubert en Corse
Road movie à cheval
« Mémoires corses du jeune Flaubert », documentaire de Jean Michel Ropers, se regarde avec beaucoup de plaisir. D’une part parce qu’on y apprend beaucoup de choses sur l’île au mitan du 19 è siècle. D’autre part parce que la réalisation est allègre et efficace grâce à des intervenants qui enrichissent le récit de Flaubert.
On est en octobre 1840, Flaubert 19 ans, fraîchement bachelier débarque à Ajaccio cornaqué par un ami de son père. Le séjour de celui qui deviendra l’auteur de « Madame Bovary » va durer à peine quinze jours le temps de remonter sur Bastia en découvrant l’intérieur de l’île. Après Ajaccio, Flaubert se lance dans une virée jusqu’à Sagone et Vico, revenu à son point de départ il va passer par Bocognano, Vizzavona, Ghisoni, le Fium’Orbu, la Plaine orientale, Aleria, Corte avant de rejoindre Bastia par Piedicroce.
De Bastia il n’aime ni les églises ni les commodités des mœurs italiennes et françaises incarnées par la vocation portuaire et commerciale de la ville contrairement à la Corse authentique qu’il vient de parcourir de village en village. Du bord occidental de la mer – épargnée par le tourisme – des paysages, de la nature préservée il est enthousiaste. Il se délecte aussi de ce que les gens qu’il croise ici et là lui racontent et qu’il se fait traduire par ses guides successifs.
Certes, certaines coutumes insulaires l’étonnent comme le port d’armes généralisé, comme le nombre de bandits réfractaires à la conscription, mais jamais il ne verse dans le dénigrement. Il est ouvert aux humbles rencontrés en chemin. Il est curieux de légendes telle « La Sposata ». Il s’intéresse à l’élevage, à l’agriculture. Il est ravi de l’accueil qu’on lui réserve et du sens de l’hospitalité des Corses, qui est alors pratique courante.
Flaubert et son escorte font des 10 à 14 heures de cheval par jour pour aller d’une étape à l’autre. Sportif le séjour !... L’absence de vraie route à l’intérieur oblige ceux qui y voyagent à avoir une bonne condition physique… Sur un ton vif et enlevé le film fait également la part belle à l’iconographie.
Les intervenants choisis livrent des informations pour comprendre une île au rythme de vie traditionnel loin de l’agitation des métropoles hexagonales. Olivier Jéhasse relève la préscience de Flaubert devant Aleria qui lui évoque le monde étrusque et romain alors que le site n’est pas fouillé. Sylvain Gregori insiste sur le phénomène du banditisme à l’époque et sur les assassinats qui sont légion et de l’impéritie du pouvoir à faire régner la loi. François Casabianca explique bien l’état de l’élevage dans cette économie autarcique et autosuffisante de la Corse d’alors. Danielle Maoudj revient sur la société patriarcale insulaire qui ne laissequ’une maigre place aux femmes.
Flaubert par la suite visitera l’Italie, l’Egypte, la Palestine, Istanbul, la Tunisie, la Bretagne. Il a l’âme voyageuse qui s’est peut-être révélée en Corse.
Michèle Acquaviva-Pache
• Le documentaire, qu’on espère voir bientôt sur Via Stella, est une coproduction Korrom de Dominique Maestati, Stella Productions de Dominique Tiberi et Télé Paese.
ENTRETIEN AVEC JEAN MICHEL ROPERS
Le voyage de Flaubert en Corse est méconnu. Comment avez-vous découvert son texte. De quand date sa publication ?
J’ai toujours été très gêné de la vision de Mérimée sur la Corse et comme le 19 è siècle m’a sans cesse attiré j’ai cherché ce que d’autres écrivains avaient pu écrire sur l’île à cette époque. Je suis finalement tombé sur le journal de Flaubert en Corse. J’ai été séduit par ses descriptions fabuleuses et j’ai décidé d’écrire un documentaire sur ce voyage qu’il a effectué à 19 ans. Quant à la publication de ce récit elle est très tardive.
Ces souvenirs de Corse datent de 1840. Est-là un premier jet ? Flaubert l’a-t-il retravaillé postérieurement ?
C’est effectivement un premier jet qui n’a pas été, à ma connaissance, retravaillé… Flaubertsait voir et a un art étonnant de la synthèse. Il mêle réflexions, remarques sur la géographie, sur la sociologie insulaire. Ses notations sont vraies. On sent déjà le grand voyageur qu’il deviendra.
Qu’est-ce que le voyage représente pour l’écrivain ?
L’ouverture d’esprit. Ce voyage en Corse est une récompense de ses parents pour avoir réussi son baccalauréat après un échec à cet examen. Il est accompagné du docteur Cloquet, ami de son père. Si son séjour ne dure que quinze jours, il parcourt l’île d’est en ouest avant de remonter au nord. La lumière, la pureté de l’air, la beauté de la mer et des montagnes le fascinent tout comme les gens qu’il rencontre et qu’il sait écouter qu’ils soient préfets ou berger, pauvre curé ou lettrés. Ce qui est extraordinaire avec lui, c’est qu’il comprend tout.
Qu’est-ce qui frappe surtout dans ce texte ?
La manière qu’a Flaubert d’observer, de regarder autour de lui, de faire un constat sans jamais être dans le jugement. On sent déjà l’auteur de « Salambô » et de « Bouvard et Pécuchet ». Il sent immédiatement combien la ville de Bastia est différente du reste de l’île. A Aleria il pressent l’importance du site romain qui sera mis à jour ultérieurement.
Historiens, agronome, poétesse, conteuse, de quelle manière avez-vous choisi vos intervenants ?
Après avoir écrit le scénario du documentaire j’ai discuté avec le producteur, Dominique Maestrati, pour définir qui nous allions contacter. Aux personnes retenues nous avons envoyé le scénario. Ils ont accepté notre proposition chacun devant traiter de son domaine. Seul fil conducteur respecter ce qu’avait écrit Flaubert.
Pourquoi évoquer la légende de « La Sposata » ?
Parce qu’on en at parlé à Flaubert, j’ai donc fait intervenir Mathéa Giacomo-Marcellesi. Cette conteuse donne également des détails sur les jeteurs de sort.
Pour quelles raisons évoquer la vie du bandit, Théodore Poli ? Est-ce pour insister sur le phénomène du banditisme à cette époque ?
Le film reprend l’histoire de Théodore Poli parce qu’on l’a racontée à l’écrivain. En outre en cette période du 19 è siècle des bandits il y en a partout en Corse… Dans mon documentaire je n’ai mis en scène que ce qui est rapporté par Flaubert.
Peut-on dire que la première moitié du 19 è siècle est une période de transition avant l’imposition à l’île de la francisation ?
On peut l’affirmer. C’est l’aube de ce que sera la francisation. Le préfet Jourdan, qui fait la pluie et le beau temps sur l’île, préfigure ce qu’il adviendra.
Est-ce pourquoi vous tirez de l’ombre ce préfet Jourdan ?
On devait le mentionner car c’est la première personne qui accueille Flaubert en Corse. Jourdan est entouré de la bonne société ajaccienne et c’est sans doute une connaissance du docteur Cloquet, l’accompagnateur du futur écrivain. A cette période Jourdan est un personnage clé sur l’île car s’il est au service du pouvoir, de Paris, il sert et se sert sur place du clan Sebastiani. La Corse, il la connait bien, n’y est-il pas resté dix ans en poste !
Vos recherches iconographiques ont-elles été aisées ?
Avoir des images, des documents d’époque exigent une recherche en amont. Après les avoir sélectionnées, une fois le projet avalisé avec le producteur, on a demandé des droits de diffusion. Nous avons sollicité le Fonds Tomasi et le Fonds de Caraffa. Souvent de telles démarches sont longues alors que nous sommes pressés par les impératifs de temps de la réalisation du film.
Des projets à venir ?
L’écriture d’une fiction et d’une série télé comportant des épisodes très courts.
Propos recueillis par M. A-P