Justice, police , mafia : une porosité inquiétante
Décidément l'enquête sur le blanchiment de l'argent du Petit Bar ne cesse de vréserver des surprises.
Justice, police, mafia : une porosité inquiétante
Décidément l'enquête sur le blanchiment de l'argent du Petit Bar ne cesse de réserver des surprises. Si on en croit les révélations faites par Jacques Follorou dans le quotidien Le Monde, c'est en étudiant les relations de Johann Carta, mis en examen pour « extorsion », « escroquerie » et « blanchiment en bande organisée » dans le cadre de la gestion du club de football du Gazélec Ajaccio — placé en liquidation judiciaire — et incarcéré le 29 novembre 2022, que les enquêteurs ont mis à jour les curieuses relations de factotum du Petit Bar avec une magistrate, aujourd'hui conseillère à la Cour d'appel d'Agen mais qui avait officié avant comme juge d'instruction à Ajaccio entre 2011 et 2016.
Tous les chemins mènent au Petit Bar
Selon l'enquête dévoilée par Le Monde, Carta avait noué avec Majdi Ahman une alliance visant à développer le parc immobilier de ce médecin aujourd'hui mis en cause pour l'agrandissement illicite de sa somptueuse villa, route des Sanguinaires. Ahman aurait utilisé les capacités "persuasives" de Carta dans le domaine de l'immobilier tandis que ce dernier aurait ainsi "étendu son réseau d'influence grâce au carnet d'adresses et à la position sociale" du médecin. Les écoutes pratiquées sur le téléphone d'un juriste fiscaliste auraient ainsi permis de connaître la relation très particulière de la magistrate avec Ahman.
La magistrate aurait, grâce à l'appui d'Ahman bénéficié d'un rapport le mettant en règle au niveau de différents organismes "pour prouver sa bonne foi et pouvoir poursuivre ses activités de fiscaliste en toute quiétude". Ce fiscaliste avait en effet été mis en garde à vue pour la production d'un faux document favorable à Jacques Santoni, le supposé dirigeant du Petit Bar. Il avait déclaré connaître Santoni grâce à Carta.
Du coup, les policiers se sont intéressés à la villa luxueuse de dix pièces que la magistrate a acquise sur la rive sud d'Ajaccio. Carta se serait occupé de la location d'une partie du bien au profit de la magistrate et jouer un rôle pour les travaux effectués sur place. La magistrate n'a pour l'heure pas été mise en examen mais des perquisitions ont été menées dans son bureau et à ses domiciles pour soupçons de « corruption », de « blanchiment de fraude fiscale », de « trafic d’influence », de « recours en bande organisée au travail dissimulé » et d’« association de malfaiteurs ».
Une île sous influence
Ces soupçons s'ajoutent à l'affaire Yves Robert, ce policier soupçonné d'avoir renseigné l'équipe du Petit Bar sur l'imminence d'arrestations et mis en examen "pour corruption passive" et placé sous le statut de témoin assisté pour « association de malfaiteurs ». Or le nom de ce fonctionnaire avait déjà été prononcé concernant une autre affaire remontant à 2014. Un militant du FLNC Union des Combattants avait été soupçonné d'avoir participé à un attentat à la roquette. Il possédait alors un alibi fourni par Yves Robert tandis que sa hiérarchie demandait le blanchiment de ce militant pour son rôle d'informateur.
Le juge d'instruction antiterroriste Gilbert Thiel avait fait le déplacement à Ajaccio pour brutalement dessaisir, le 17 avril, la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) des deux plus importants dossiers d'attentats commis sur l'île. Ces deux affaires témoignent de la porosité entre les services de l'état, police et magistrature, et des bandes mafieuses.
Autre démonstration de fuites : le 31 mars 2021, cinq hommes réputés proches du Petit Bar, jugés pour l'assassinat de Jean-Michel German étaient acquittés par la cour d'Assises de Corse du Sud. Or les noms des jurés, tirés au sort en vue de ce procès, ont été retrouvés dans le téléphone portable de Johann Carta. Une enquête a été ouverte pour savoir s'il y a eu des pressions.
Le procureur général près de la cour d’appel de Haute-Corse, Jean-Jacques Fagni, a sollicité le dépaysement du dossier. Mais on conviendra que tous ces éléments créent un halo inquiétant quant à la prégnance mafieuse dans notre île. Car une chose est de savoir que des autochtones sont victimes de la promiscuité. Autre chose est de constater que des fonctionnaires continentaux y sont sensibles par intérêt personnel et que les autorités ont mis des années pour découvrir ces possibles complicités.
Il va de soi que, selon la formule consacrée, toutes les personnes non condamnées citées dans cette chronique bénéficient de la présomption d’innocence.
GXC