Sicile : bientôt, plus tout à fait une île ?
Les travaux de construction du pont du Détroit de Messine devraient débuter en juillet 2024
Sicile : bientôt, plus tout à fait une île ?
Les travaux de construction du pont du Détroit de Messine devraient débuter en juillet 2024. Cela réjouit de nombreux décideurs politiques et économiques. Mais les opposants ne manquent pas. Des arguments forts sont avancés par chacune des parties.
Le président de la République italienne a dernièrement signé un décret-loi autorisant « l’immédiate reprise de la construction du Pont sur le Détroit de Messine » (ouvrage devant relier la Calabre et la Sicile via la partie la plus étroite du Détroit de Messine). Les travaux débuteront probablement en juillet 2024. Cela réjouit de nombreux décideurs politiques et économique mais les opposants ne manquent pas, et des arguments forts sont avancés par chacune des parties. Depuis l’annonce de la reprise de la construction, les opposants sont même vent debout. Ils dénoncent une gabegie budgétaire et un risque de fiasco économique. Selon eux : il vaudrait mieux consacrer les 10 milliards d’euros du financement prévu à la réfection des réseaux routiers et ferroviaires de Sicile et de Calabre ; la localisation du pont éloignée des villes de Messine et de Reggio de Calabre conduira de nombreux automobilistes à rester fidèles au ferry ; des interruptions de trafic seront fréquentes à cause des vents forts. Ils disent redouter une dégradation du paysage du fait d’une infrastructure imposante et une atteinte au milieu naturel (notamment parce que le Détroit de Messine compte plus de 300 espèces d’oiseaux). Ils soulignent la dangerosité du site choisi : les côtes calabraise et sicilienne s’éloignent chaque année de plusieurs millimètres l’une de l’autre ; le Détroit de Messine se situe dans une zone au risque sismique élevé ; selon la commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco, un tsunami frappera les côtes de la Méditerranée dans les trente ans à venir. Enfin, ils avancent un argument qui leur semble massue : en 2021, une étude internationale a révélé l’existence, dans les fonds marins entre la Sicile et la Calabre, d’une faille qui aurait été à l’origine, en 1908, du tremblement de terre de Messine (magnitude 9) ayant occasionné, en Sicile et en Calabre, la mort de plus de 100 000 personnes et d’importantes destructions.
Une chance pour le Mezzogiorno ?
Les partisans de la construction du pont du Détroit de Messine répliquent en invoquant l’intérêt économique et le prestige national. L’actuel gouvernement italien issu de la coalition de droite s’étant constituée à l’occasion des élections générales d’octobre 2022 et les grands acteurs économiques considèrent que l’injection de 10 milliard d’euros (coût prévisionnel des travaux), les créations d’emplois espérées (180 000), le pont et les aménagement routiers et ferroviaires connexes qui désenclaveront la Calabre et la Sicile et faciliteront la circulation des hommes et des marchandises (infrastructure ferroviaire de service public entre Messine et Reggio Calabre, extension de la liaison ferroviaire à grande vitesse jusqu’en Sicile qui réduira de moitié les temps de trajet de Rome à Palerme aujourd’hui de 12 heures, suppression des ruptures de charge, corridor multimodal nord-sud depuis la Scandinavie jusqu’à la Sicile), permettront de développer l’économie du Mezzogiorno, la partie la plus pauvre de l’Italie. Ils estiment aussi que tout cela en valorisant sa situation géographique entre l’Europe et l’Afrique (à 140 km des côtes tunisiennes, à 70 km de la côte albanaise) et en ouvrant la première étape d’une route continue entre les Balkans, le Mezzogiorno et l’Afrique du Nord, renforcera le commerce, la présence et l’influence de l’Italie en Europe et dans la région méditerranéenne. Matteo Salvini, le leader de la Lega, une des composante de la coalition de droite au pouvoir, vice-président du Conseil des ministres et ministre des Infrastructures et de la Mobilité durable, a aussi évoqué l’ambition d’un prestige et d’une attractivité accrus de l’Italie : « Ce sera un grand pas en avant pour l’ingénierie dans le monde [...] Cela représentera le fleuron de l’ingénierie italienne [...] Cela sera une importante attraction touristique car il s’agira du pont à haubans le plus long du monde. »
Alexandra Sereni
Plus long que l’Akashi Kaikyo Bridge
• Pont à haubans d’une longueur totale de 3666 mètres : paire de câbles respectivement d’une longueur totale de 5320 mètres, de 1,26 mètre de diamètre et composés de 44 323 fils d’acier reliés à deux tours de 399 mètres de hauteur ; travée centrale sans appuis intermédiaires s’élevant à 65 mètres et permettant ainsi le passage des grands navires.
• Longueur de la travée centrale : 3200 mètres, la plus longue du monde, supérieure à celle de l’Akashi Kaikyo Bridge au Japon (1 991 m).
• Largeur : 60,4 mètres comportant 6 voies routières (3 dans chaque sens) et 2 voies ferrées que pourront emprunter 6000 véhicules / heure et 200 trains / jour.
• Résistance aux tremblements de terre : jusqu’à une magnitude 7,1 sur l’échelle de Richter.
• Résistance au vent : tablier stable jusqu’à des rafales de 270 km / h.
• Coût (pont et aménagements connexes) : 10 milliards d’euros.