Paroles Vives de Bastia
IA, Chance ou Menace ?
Paroles Vives de Bastia
IA, chance ou menace ?
« L’intelligence artificielle, chance ou menace pour l’humanité », thème de la conférence du philosophe, Philippe Granarolo lors de la récente manifestation de Paroles Vives. Une conférence bien venue au moment où le Parlement européen s’apprête à voter une législation de vaste régulation concernant l’IA et où l’inventeur de ChatGPT est entendu par une sous-commission ad hoc du Sénat des Etats-Unis.
Le père de ChatGPT, patron de la société OpenAI, Sam Altman a plaidé devant les sénateurs américains pour un cadre réglementaire applicable à l’IA, cadre de préférence établi au niveau international tant l’intelligence artificielle comporte un potentiel de risques en parallèle à des nouveautés bienfaisantes. D’autant plus intéressant le plaidoyer de Sam Altman qu’il émane de celui qui a inventé le robot conversationnel qui fait actuellement grand bruit. N’est-il pas en effet apte à produire des textes, des articles, des livres de toutes sortes et que dans la foulée de l’intelligence générative il y a encore fabrication d’images, de son, de vidéos ?
Dans sa conférence Philippe Granarolo a d’abord brossé un bref historique de la numérisation pour la situer dans l’espace et le temps. Il la fait remonter à l’invention de l’écriture en passant par Pythagore et Galilée pour aboutir au système mondial de communication avec « www ». Tout au long de son exposé il a insisté sur l’accélération des nouveautés en la matière : 1998, naissance de Google, 2004 de Facebook, 2005 de YouTube, 2006 de Twitter, puis des chinois WeChat en 2011 et Tik Tok en 2016 auxquels il faut ajouter le russe, Télégram, en 2016 et l’américain, Snapchat en 2011.
Le conférencier est ensuite passé à l’histoire de l’intelligence artificielle puisque c’est elle qui a rendu possible toutes les évolutions accélérées que nous observons dans ce domaine. Il s’est interrogé sur les conséquences de cette prodigieuse rapidité en économie, en médecine, en éducation et dans la domotique. Se livrant à une approche critique il a épinglé des clichés qui règnent sur révolution numérique et IA comme la soi-disant naissance d’Apple et d’autres dans un garage, le sauvetage de l’économie lors de la crise de 2008, l’encensement de la robotique alors qu’elle va détruire des millions d’emplois ou des Gafam… si habiles à payer si peu d’impôts. Philippe Granarolo a réfuté des miracles – des mirages en fait – apporté par l’intelligence artificielle quand elle entraîne des déficits d’attention, des pertes d’acquis psychologiques et qu’elle a un coût élevé sur l’écologie et l’énergie.
Les dangers existent bel et bien, qui ne sauraient faire oublier les avancées procurées par l’IA, si on ne se laisse pas aller à des emballements inconsidérés.
Michèle Acquaviva-Pache
• Au programme de printemps de Paroles Vives : une conférence de Roland Gori auquel Xavier Gayan a consacré un documentaire qui a été projeté et de l’humour avec Albert Meslay.ENTRETIEN AVEC PHILIPPE GRANAROLO
Quelle est votre définition de l’intelligence artificielle ?
C’est l’ensemble des technologies de traitement de l’information comprenant ordinateurs et logistique afin de produire des résultats en extrayant des données. Les ordinateurs étant de plus en plus puissants leur vitesse de calcul devient inaccessible à l’humain. Associer intelligence et artificielle est troublant mais l’expression s’est imposée. A retenir que la machine ne cherche que des corrélations. Par exemple : les banques chinoises ont appris grâce à elle que les emprunteurs qui venaient les voir tel jour à telle heure étaient de bons payeurs contrairement à d’autres !
Depuis quand vous intéressez-vous à ce sujet ?
Depuis longtemps et j’ai commencé à animer un café-philo à Toulon sur les robots, les réseaux sociaux, puis l’IA à partir de l’an 2000. Parce que c’est dans ces domaines que ce joue l’avenir et ce sur tous les plans.
Chaque innovation n’a-t-elle pas un avers et un revers ? Pourquoi l’oublie-t-on ?
Parce qu’on est séduit par la modernité, par la passion de la nouveauté. Parce qu’on est persuadé qu’on va vers le mieux. Or, il faut toujours peser le pour et le contre et savoir rectifier s’il y a lieu.
Pour quelle raison l’IA apparait-elle maintenant si préoccupante ?
Cela provient, entre autres, de l’addiction de beaucoup de gens de tous âges aux réseaux sociaux qui passe par l’IA. En parallèle on prend conscience que la machine va de plus en plus remplacer l’humain. A échéance de dix ou vingt ans le métier de chauffeur routier aura disparu car les camions seront à conduite autonome. On a toujours sous-estimé la rapidité de l’accélération des nouveautés. Pour l’instant la tendance est à ralentir le processus… mais ça pourrait aller bien plus vite !
Quels sont les bénéfices à attendre de l’IA ? Quels aspects redouter ?
Elle améliore incontestablement les choses en médecine. Avec le développement de l’IA on pourra avoir une médecine prédictive qui ne se contentera pas de soigner les maladies mais qui les empêchera ! La robotisation va libérer l’homme de taches fastidieuses et pénibles. A terme ce sera la fin de la manutention dans les hangars de stockage. Mais problème : on va s’acheminer vers des emplois très sophistiqués et de très haute gamme avec en bas de l’échelle des travaux rebutant que la machine n’effectuera pas. Résultat, les emplois de la classe moyenne sont appelés à disparaître.
Face aux difficultés qui s’annoncent, comment réagir ?
On est confronté à un manque de prévisions à moyens et longs termes. Les politiciens ne s’occupent que de se faire élire. Il faudrait un vigoureux plan d’action et se pencher sur la question de la formation. Certes, on aura sans doute toujours besoin de soins à domicile ou de jardiniers, d’emplois très élémentaires… et d’emplois de très haute gamme. La classe moyenne va prendre ce bouleversement de plein fouet. Un revenu universel pourra-t-il palier à cette situation ? J’ai des doutes.
Alors pourrait-on se passer de l’IA ?
Non, notre cerveau ferait moins bien ce que fait l’IA. Ça pose un vrai problème de société.
Le politique se soucie-t-il assez de cette question ?
Par absence de prévisions, par leur façon de ne se préoccuper que d’élections il y a carence des politiques. Ils ne sont pas à la hauteur des enjeux de société que nous allons devoir affronter. On sait que notre enseignement va se métamorphoser, qu’il faudra redéfinir la fonction de l’enseignant qui va ne plus seulement transmettre des connaissances mais former des élèves à la sélection des informations car n’y-a-t-il pas 90% d’âneries sur internet. Il faut de toute urgence s’atteler à cette mission et revoir le contenu de l’enseignement scientifique et celui de l’économie.
Comment qualifier l’apport de ChatGPT ?
C’est une petite révolution. Les résultats qu’on obtient avec lui sont assez bluffants ! Les productions de ChatGPT au plan du texte sont plus que respectables, chez certaines on note même de l’originalité ! Elles représentent un véritable défi pour les enseignants.
La vulgarisation auprès de tous du numérique et de l’IA n’est-elle pas une priorité ?
Complètement. Toutefois il faut que ceux qui ont des lacunes fournissent des efforts et que par ailleurs les administrations soient plus pédagogues.
Faut-il redouter le transhumanisme ?
Voilà des projets qui drainent des milliards de dollars. Ces projets fous sont néanmoins cohérents. Leurs promoteurs sont plus puissants que les états et cela ne manque pas d’être très inquiétant puisqu’ils conçoivent un homme robotisé.
Propos recueillis par M.A-P