Hôtel Beauvau : grande table, médiocre menu
Le processus Beauvau est moribond.....
Hôtel Beauvau : grande table, médiocre menu
La tentation est grande de considérer que le processus Beauvau est moribond ou de plagier un média dans les pages duquel était écrit « Chronique d’un échec annoncé ». Il convient de ne pas être aussi catégorique.
Le 24 mai dernier, la conférence des Présidents à laquelle participent le Président du Conseil exécutif, la Présidente de l’Assemblée de Corse, les Présidents des groupes (Fà Populu Inseme, Un Soffiu Novu, Avanzemu, Core in Fronte) et la conseillère Corsica Libera Josepha Giacometti a dû gérer l’annonce de l’impossibilité pour Gérald Darmanin de participer à la réunion du quatrième Comité stratégique relatif à l'avenir institutionnel de la Corse dont la tenue était prévue le lendemain (25 mai). Le ministre était annoncé empêché car il lui faudrait assister, à Roubaix, aux côtés du Président de la République, aux obsèques de trois policiers décédés lors d’un accident de la route causé par un chauffard. Le motif invoqué était plus que recevable. En effet, la mort tragique de trois policiers dans l’exercice de leurs fonctions, la médiatisation de cet événement, le fait que le Président de la République fasse le déplacement et le caractère d’hommage national donné aux obsèques, ne laissaient à Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et donc de la Police, pas d’autre choix que de se rendre à Roubaix.
Pourtant, par communiqué, la conférence des Présidents a manifesté de l’irritation et de l’impatience : elle a rejeté la proposition qui lui était faite de tenir la réunion en fin de journée du 25 mai quand le ministre aurait regagné Paris ; elle a demandé que la programmation d’une nouvelle réunion soit faite rapidement et que le décalage de date n’excède par quelques jours. Satisfaction lui a été donnée.
La réunion aura lieu dans quelques jours (le 7 juin). Dans son communiqué, la conférence des Présidents a aussi exprimé de l’inquiétude quant au devenir des discussions. Que le ministère ait fait diligence pour fixer une nouvelle date de réunion et pris la peine de souligner qu’à sa connaissance aucun conflit ou malentendu était pendant, n’a manifestement pas apaisé et rassuré tout le monde comme l’ont notamment montré les réactions de Gilles Simeoni, Paul Quastana, Jean-Martin Mondoloni et Corsica Libera.
Entre exigence de clarification et appréciation extrêmement négative
Gilles Simeoni n’a pas caché son mécontentement. Il a regretté que le report de la réunion du 25 mai ait pour contexte une absence de contact direct depuis la précédente réunion du Comité stratégique ayant eu lieu en février dernier. Il a aussi dévoilé qu’il entendait faire savoir au « ministre Darmanin et aux représentants du gouvernement et de l'administration » que le contenu du document concernant le foncier qu’ils avaient transmis et qui serait mis sur la table le 7 juin, était totalement en deçà des attentes et des enjeux. Enfin, il a exprimé ressentir un doute et la nécessité d’une clarification : « Aujourd'hui se pose la question du devenir de ce processus. Et je crois que le gouvernement doit clarifier,
Ce sera à mon avis l'enjeu de la prochaine rencontre, si oui ou non, il continue à avoir la volonté que ces discussions aient véritablement la vocation historique qu'elles avaient prévues d'avoir ». Paul Quastana a lui aussi fustigé le document mentionné par le président du Conseil exécutif, déplorant notamment que les rares pistes positives y étant évoquées soient d’ores et déjà présentées comme étant illégales ou inconstitutionnelles. Le conseiller de Corse Core in Fronte a par ailleurs fait part de ses doutes et demandé un changement de cap : « Les marqueurs des discussions actuelles avec le Gouvernement français sont mauvais. Il est nécessaire de recadrer les débats afin d'aller dans le sens d'une véritable solution politique globale. »
Josepha Giacometti-Piredda, conseillère de Corse Corsica Libera, a elle aussi cloué au pilori le contenu du document remis aux élus en le qualifiant de « compilation administrative de textes que l'on connaît déjà ». Quant au parti de cette dernière, il a mis en doute la sincérité de l’État et la dimension historique des discussions ayant lieu place Beauvau.
Corsica Libéra a en effet affirmé que « cet énième report de dernière minute, couplé à une nouvelle vague répressive » le confortait dans son « appréciation extrêmement négative » concernant « des discussions pompeusement baptisées Processus de Beauvau dont l‘intérêt même est désormais en question. » Le parti indépendantiste a par ailleurs affirmé être convaincu qu’au mieux, il serait proposée aux élus corses une « autonomie au rabais ».
Jean-Martin Mondoloni, au nom du groupe de droite Un Soffiu novu, a lui aussi exprimé un grand doute quant au caractères historique des discussions en cours : « Chacun a mis dans la formule sa part de rêve ou de réserve ».
Aujourd’hui, ces jeunes sont tenus à l’écart
Si l’on prend en compte la vague mêlant le doute, la critique et les exigences de clarification ou de recadrage, la tentation est grande de considérer que le processus est moribond ou de plagier un média dans les pages duquel était écrit « Chronique d’un échec annoncé ». Il convient de ne pas être aussi catégorique pour au moins trois raisons. Primo, le processus va sans doute continuer car ni le ministre, ni la partie corse ne voudront porter la responsabilité d’y avoir mis fin. Et certains y trouveront peut-être un jour leur compte ! En effet, les attentes des uns, n’étant pas celles des autres, on peut imaginer qu’il y ait en définitive des satisfaits, des insatisfaits et des mitigés.
Deuxio, pour peu que l’on regarde la réalité en face, le jugement porté sur l’évolution du processus ne peut-être que modulé car des déceptions aujourd’hui affichées résultent beaucoup du fait que certains ont voulu voir et / ou faire croire que l’on vivait un processus « historique » et se retrouvent aujourd’hui le bec dans l’eau ou presque. Avoir cru ou fait mine de croire la déclaration d’un ministre qui était prêt à promettre la Lune ou presque pour éteindre des émeutes parasitant la campagnes électorales de son Président de la République ; avoir délibérément ou non éludé les « lignes jaunes » tracées par un Président de la République ayant prouvé ne rien céder quand il éprouve le sentiment d’avoir raison : cela ne pouvait que conduire à la déception et un jour, pour sauver la face,à crier urbi et orbi « le compte n’y est pas ».
Tertio : il est évident que face à un État qui entend ne céder que le minimum, les élus corses, et plus particulièrement la majorité territoriale, ne sont pas en mesure d’opposer grand-chose. Ils ne peuvent que demander et espérer un peu de bonne volonté. Concernant cette impuissance à créer un rapport de force, l’actuelle majorité territoriale, beaucoup, et la plupart des autres composantes nationalistes, un peu, sont responsables. En ayant pris la décision de casser la coalition Per a Corsica, les dirigeants de l’actuelle majorité territoriale ont contribué à affaiblir le camp nationaliste et à s’affaiblir eux-mêmes. En étant incapables, depuis 2014, de susciter et d’organiser des mobilisations populaires à même de prendre le relais de la lutte clandestine qui par le passé avait fortement contribué à créer les conditions de conséquentes avancées institutionnelles, toutes les composantes nationalistes ou presque ont failli. Cette faillite est d’ailleurs devenue criante depuis mars de l’an passé. En effet, ce sont quelques centaines de jeunes décidés à en découdre et non une armada d’élus bien sages navigant sur une mer de suffrages, qui ont réussi à démonter la suffisance de l’État et à faire bouger un peu les lignes. Aujourd’hui, ces jeunes sont tenus à l’écart et on relativise ce qu’a été leur apport.
Résultat : à l’hôtel de Beauvau, la table des discussions est grande et le menu proposé est médiocre
Pierre Corsi