Deux projets pour un changement de statut
Gilles Simeoni pour la majorité nationaliste et la droite corse ont rendu leurs copies
Deux projets pour un changement de statut
Gilles Simeoni pour la majorité nationaliste et la droite corse (dont une partie se réclame du parti créé par l’ancien premier ministre Édouard Philippe) ont rendu leurs copies au ministre de l’Intérieur en vue de la réunion du 4 juillet. Corse Matin a dévoilé en partie leur contenu.
Le projet de Femu, un projet cohérent
Personne ne pourra accuser Gilles Simeoni d’avoir cédé aux sirènes réformistes. Son projet est strictement conforme au rapport remis il y a peu par Romain Colonna à l'exécutif, lequel reprenait parfois mot pour mot celui de la professeur de droit constitutionnel à Bordeaux, Véronique Bertile qui n’avait fait en définitive que reprendre le texte de sa collègue et amie Wanda Mastor, publié en octobre 2021. Rien de nouveau donc sous les cieux sinon que la proposition fournie au ministre de l'Intérieur se heurte aux mêmes obstacles que ceux rencontrés dans le passé quant à l’existence du peuple corse, la coofficialité, etc., etc. Selon les journalistes de Corse-Matin qui ont eu accès au document, il débuterait par un récapitulatif des relations entre la Corse et l’État français depuis Ponte Novu, puis il répéterait l'antienne rappelée ci-dessus. Appelant à s’inspirer du modèle néo-calédonien, il qualifie d’« indispensable » l’octroi d’un pouvoir législatif et précise, de façon paradoxale que le statut d’autonomie « n’entraîne pas de facto l’indépendance. » Or la revendication suprême des Kanaks est justement l’indépendance. Le rapport rappelle les « notions fondamentales » qui selon la majorité nationaliste justifient l’autonomie : la reconnaissance d’un peuple corse et la coofficialité linguistique. Il demande un nouveau statut fiscal qui permettrait « d’améliorer la vie individuelle et collective des Corses dans tous les domaines » sans qu’on sache comment la majorité parviendrait à un tel miracle. Le rapport insiste sur le droit au logement, au travail et à la santé, des revendications que personne ne saurait réfuter. Après avoir soumis le projet à référendum local qui, de ce fait ne serait qu’indicatif, il y aurait la création d’un titre dans la Constitution et le vote d’une loi organique qui serait votée l’an prochain après une élaboration de plusieurs mois en concertation avec les services de l’État.
Le projet plus modeste de la droite
La droite insulaire qui réunit la droite classique et celle rassemblée derrière Édouard Philippe et donc, a priori alliée de la majorité nationale actuelle, a elle aussi rendu sa copie avec au menu un changement constitutionnel afin de rendre plus efficient le pouvoir d’adaptation de l’île aux changements français et plus généralement planétaires. Refusant le modèle calédonien, il s’agirait « d’autoriser la Collectivité à déroger à des mesures comprises dans des lois ou règlements, après habilitation du Parlement ». Cette demande est étrange, car cette possibilité existe déjà. Le Conseil constitutionnel a écrit : « La loi du 22 janvier 2002 accorde à nouveau à l’Assemblée de Corse un pouvoir de proposition en matière législative, dont la conformité à la Constitution a été admise sans difficulté, dès lors qu’aucune obligation n’était faite au gouvernement quant à la suite à donner aux propositions de l’Assemblée de Corse (cons. n° 17). » La question essentielle serait donc de savoir si la décision finale appartient au Parlement ou au gouvernement ce qui entre nous dans la situation actuelle ne change pas grand-chose. La droite met l’accent sur la nécessité de combattre les éventuelles tendances jacobines de l’exécutif insulaire et parle du danger d’un « centralisme territorial ». Elle se prononce également contre l’autonomie fiscale craignant que le contribuable corse n’en soit la victime. Mettant en garde contre ceux qui sèmeraient des « illusions » et soulignant « la difficulté probable à convaincre les trois cinquièmes » du Congrès (et non du Parlement comme il est écrit), le texte de la droite apparaît essentiellement comme une ligne de défense érigée contre le projet nationaliste plutôt que comme une contre-proposition.
Le danger d’un surplace
Arrivé à ce stade on ne peut que se perdre en conjectures. Le texte nationaliste, cohérent et stable dans ses propositions, n’a quasiment aucune chance d’être accepté pour cent raisons cent fois exposées dans ces colonnes : la fragilité du gouvernement qui cherche des alliés à droite faute d'une majorité parlementaire, le caractère fondamentalement centralisateur de la France, l’impossibilité de réunir les trois cinquièmes du Congrès sur de pareilles idées qui révolutionnerait la France entière et ouvrirait une brèche dans le jacobinisme institutionnel. À l’heure où le fédéralisme recule en Europe au profit des états nations, on voit mal par quel miracle ces idées qui sont tout sauf scandaleuses pourraient être consacrées. Et puis nous le savons depuis le retoquage du projet Joxe la reconnaissance du peuple corse semble être rédhibitoire. Quant au texte proposé par la droite, il apparaît plus comme une perche tendue au ministre de l’Intérieur pour lui permettre de botter en touche qu’une véritable proposition de changement.
Reste qu’un référendum pourrait mettre le gouvernement en grande difficulté, car il paraît évident sauf immense surprise que le corps électoral corse voterait majoritairement pour l’autonomie. Que se passerait-il alors ? Un refus au risque de légitimer le retour de la violence ?
GXC