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Des résistants corses , la tête haute face à la mort

En corse , le Front national était devenu la seule résistance sur le terrain.
Des résistants corses, la tête haute face à la mort


En Corse, le Front national était devenu la seule résistance sur le terrain. Les dernières forces françaises libres avaient accepté de le rejoindre après une vague d’arrestation qui avait décimé en 1943 les rangs des gaullistes et des giraudistes parmi lesquels Fred Scamaroni qui avait préféré se suicider plutôt que de prendre le risque de parler.


Les cris des torturés

La plupart des réunions se tenaient dans une petite salle située à l’arrière de la cathédrale d’Ajaccio avec la bénédiction du prêtre. Cruelle ironie : elle se situait à deux cents mètres à peine de la citadelle où les résistants emprisonnés étaient quotidiennement torturés. Les agents de l’OVRA laissaient intentionnellement fuir les hurlements des personnes interrogées afin de semer la terreur. Aussi la route qui longeait l’édifice militaire était-elle souvent déserte.

Cette proximité des camarades martyrisés empoisonnait l’atmosphère des discussions. Chacun ressentait les effets d’une mauvaise conscience douloureuse. Comment pouvait-il se faire que dans une ville aussi petite qu’Ajaccio, il ne fût pas possible de libérer ces camarades ? Et ça n’était pas faute d’avoir étudié tous les moyens possibles.

Hélas, aucun Italien n’avait cédé à la corruption ou aux menaces et personne n’avait réussi à trouver une faille dans le système de surveillance qui cernait Jean Nicoli et ses camarades.

La lâcheté de certains voisins

La fille de Jean Nicoli, Francette, une adolescente de dix-sept ans, désespérait de sauver l’existence de ce père qu’elle adorait. Elle en voulait aux responsables du Front national dont elle jugeait, peut-être injustement, qu’ils pouvaient faire plus. Elle avait surtout noté la lâcheté de certains de ses voisins qui, désormais, détournaient le regard lorsqu’ils la croisaient dans la rue.

Un prétendu ami de son père, pharmacien de sa profession, avait refusé de lui procurer des médicaments grâce auxquels le prisonnier aurait pu se rendre malade afin d’être transféré à l’hôpital. Là une évasion aurait été envisageable.

Francette avait décidé d’agir avec un jeune homme qu’elle avait connu au lycée.

Un gardien italien avait été contacté et prétendait pouvoir le faire évader moyennant finances. La jeune fille trouva des costumes civils, vida son livre de Caisse d’Épargne pour en retirer les deux mille francs qu’elle avait économisés et se procura deux revolvers. Elle remit le tout au gardien qui lui donna rendez-vous quelques heures plus tard. Francette et son ami attendirent aux environs de la prison avec deux vélos. En vain… Elle apprit beaucoup plus tard que le gardien, par peur de représailles, avait remis les effets et les armes à ses chefs.

Élaborer un plan d'évasion

La direction du Front national avait, sous la direction de Maurice Choury, établi un plan pour prendre d’assaut la citadelle à défaut d’autres moyens. Mais la préférence allait à une attaque du train qui, éventuellement, transporterait les prisonniers jusqu’à l’état-major italien situé à Bastia.

Des soldats antifascistes italiens firent passer une information intéressante : entre les SS et les carabiniers, les altercations étaient fréquentes. Il y avait peut-être moyen de jouer la carte de la division d’autant que les nouvelles de la Péninsule étaient désastreuses pour les mussoliniens.

Les Alliés avaient laissé fuiter qu’en apparence les responsables de l’armée italienne négociaient en coulisses un armistice.

Un contact au sein des Chemises noires

Au début du mois d’août, Paulin Colonna d’Istria, un officier de gendarmerie envoyé par le général Giraud pour coordonner les mouvements de résistance en Corse, présenta un petit bonhomme au visage glabre et maigre aux responsables du Front national.

- Mes amis, voici l’agent 13 qui a une communication importante à nous faire passer.

L’homme prit quelques secondes avant de parler :

- J’ai été en contact avec le colonel Gianni Cagnoni qui dirige les Chemises noires et plus particulièrement un régiment anti-débarquement. Il désire s’entretenir avec le Front national. Je suis resté évasif, mais j’ai promis d’en parler à qui de droit. Je le crois sincère. Il m’a expliqué qu’il avait été embrigadé dans la milice des Chemises noires sans l’avoir réellement voulu et après trois années d’incarcération.

La direction du Front national décida de fixer un rendez-vous et d’y envoyer un « politique ». Enfin elle désigna sans difficulté Arthur Giovoni alias Luc qui, de plus, parlait parfaitement l’italien. Une date fut enfin arrêtée : le 11 août à Bastia, date hélas trop tardive pour pouvoir intervenir sur le procès des résistants qui s'ouvrait trois jours plus tard.

Tous des héros sans exception

Le 14 août 1943, s’ouvrit à Bastia le procès de quinze résistants : Pierre Griffi dit Denis, Nonce Benielli, Jean-François Mariani, Ange Pietri, Charles Giudicelli, Gérard de Castelli, Joseph Tassistro, Émile Vernonet, François Antomarchi, François Ferracci, Noël Casanova, Don Marc Sodini, Jean Pierre Milelli, Paul Milleli.

Nonce Benielli et Pierre Griffi se comportèrent avec un courage qui force l’admiration. Ils avaient été torturés pendant deux mois de la pire manière qui soit. Mais ils entrèrent dans la salle du procès debout, refusant toute aide des soldats italiens. Ils savaient que les fascistes détenaient la preuve de leur implication dans la résistance. Aussi se comportèrent-ils en de véritables militants refusant une défense de voleurs de poules. Nonce Benielli fit une déclaration de principes affirmant haut et fort son appartenance au Parti communiste et au Front national. Il proclama son espérance en un monde meilleur qui commencerait par l’éviction des envahisseurs. Pierre Griffi, très affaibli, par les tortures qui lui avaient été infligées, se dressa néanmoins et exprima son souhait de bonheur pour la génération qui allait vivre après la victoire dans une Corse et une France débarrassée du fascisme. Il parla de son combat pour la République espagnole au sein des Brigades internationales et de sa foi en le général de Gaulle. Il revendiqua le torpillage du Francesco Crispi : « Oui, c’est moi le principal responsable du torpillage du Francesco Crispi, je sais que je vais être fusillé et je n’ai qu’un seul regret, si près de la Libération, d’avoir été pris et de ne plus pouvoir vous faire du mal. » L’héroïsme de Pierre fut reconnu par tous ceux qui l’ont approché jusqu’à ses geôliers et ses ennemis. Il n’avait pas parlé sous la torture et n’avait rien révélé de ce qui aurait pu nuire à ses camarades de lutte et aux services secrets.

Pierre Griffi et de Casalta furent condamnés à mort, Nonce Benielli à trente années de prison, Charles Giudicelli à vingt-quatre ans et les autres prisonniers à un total de deux cent seize années de réclusion. Pour ce qui concerne Nonce Benielli, le Parti dut faire un choix atroce. Pierre Griffi savait qu’il était perdu et, sur demande du Parti, il mena de façon héroïque, une défense qui était dans les faits une attaque. Il ne pouvait être sauvé. Le Parti a donc choisi de sauver Nonce.

L’exécution de Pierre Griffi

Le Front national se servit du colonel Cagnoni des Chemises noires qui avait fait secrètement allégeance au Front national pour faire passer un message très clair au général Magli : « Si Benielli est fusillé, nous vous tuerons. Nous vous tuerons demain ou dans un mois ou dans un an ou dans dix ans. Mais nous vous tuerons.» Nonce Benielli ne fut pas condamné à mort.

Pierre Griffi fut fusillé le 18 août à 6 h 30 du matin. Charles Giudicelli raconta que la veille au soir, il était passé, enchaîné, devant les cellules, encadré par deux soldats italiens. Devant les portes, il avait imposé à ses gardiens un arrêt et il avait simplement crié : « Adieu, les amis, et bonne chance dans la vie !» Un de ses avocats témoigna qu’il était arrivé devant le peloton d’exécution le sourire aux lèvres. Il avait refusé le bandeau et simplement déclaré : « Je meurs en soldat français ! Vive la France ! Vive de Gaulle ! À bas Mussolini !» Les assassins le visèrent au cœur là où ils avaient épinglé un petit carré rouge. Au même moment, tous les détenus se mirent au garde-à-vous dans leurs cellules et observèrent une minute de silence. Partout dans Ajaccio, à la demande du Front national, des femmes et des hommes se tinrent devant l’entrée de leurs immeubles de leur maison pour rendre hommage à celui qui était tombé pour leur liberté.

Déportés en Italie

Le lendemain même, les condamnés furent embarqués pour des camps de concentration situés en Italie, à l’île d’Elbe et cinq autres dans le mezzogiorno. Alors qu’ils quittaient la prison, enchaînés les uns aux autres comme des forçats, de la prison retentit le Chant du Départ puis la Marseillaise aussitôt reprise par ceux qui quittaient la Corse. Puis, avant de monter dans le navire qui les emmenait loin de leur terre, ils s’immobilisèrent, tournèrent le dos à la mer et entonnèrent de nouveau le Chant du Départ.

« La victoire en chantant
Nous ouvre la barrière,
La liberté guide nos pas…»


GXC
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