Musée de Bastia : Corsica 39 - 45 / jusqu'au 23 décembre
Le musée de Bastia consacre sa nouvelle exposition temporaire à la Corse pendant la seconde guerre mondiale.
Musée de Bastia : Corsica 39 – 45
Le musée de Bastia consacre sa nouvelle exposition temporaire à la Corse pendant la seconde guerre mondiale. 479 œuvres, documents, objets, uniformes, 23 vidéos et deux bornes tactiles sont offerts aux yeux du public pour faire revivre ses années noires. Trente trois institutions et musées ont accordé des prêts. Des Bastiais, des Corses ont également été réceptifs et ont prêté des pièces appartenant à leurs familles. D’où un parcours étonnant de variété illustrant une histoire si proche de nous…
L’exposition pensée par deux commissaires Sylvain Gregori, conservateur du musée bastiais et Jean Paul Pelligrinetti, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Nice, se présente en deux parties : « La Corse en guerre » et « La société corse dans la guerre. Philippe Peretti, adjoint au maire pour le patrimoine tient à souligner afin d’éviter toute confusion que les concepteurs de l’exposition n’ont rien voulu oublier de cette période et que Corsica 39 – 45 ne propose pas seulement des évocations de la résistance ou de l’irrédentisme. Leur objectif ? Faire comprendre les événements d’alors le plus clairement et le plus pédagogiquement tout en mettant l’accent sur le vécu au quotidien de l’île.
La première salle montre combien la menace fasciste était pesante. Impressionnant buste de Mussolini, maquette d’une statue équestre du Duce, affiches clamant l’italianité de la Corse, île enrubannée dans le drapeau italien, récupération de Pascal Paoli et de Napoléon disent avec éloquence le projet du fascisme pour l’île.
Répliquant au débarquement des Alliés en Afrique du Nord les troupes allemandes occupent en France la zone libre, et les armées italiennes envahissant la Corse en novembre 1942. On compte un soldat italien pour trois habitants. L’invasion se double d’une propagande massive
qui se solde par peu d’effets. Les Corses, eux, assimilent les Italiens aux Génois qui n’ont pas laissé un « aimable » souvenir. Quand l’Italie signe l’armistice le 8 septembre 1943, la résistance insulaire sous la bannière du Front Populaire emmené par les communistes donne le signal de l’insurrection le lendemain. Ils sont prêts car les Américains ont multiplié les largages par avion depuis le mois de mai et le sous-marin Casabianca a débarqué des cargaisons d’armes souvent à un rythme hebdomadaire sur les plages de Balagne ou de la Plaine Orientale.
Très intéressante la salle réservée à la politique de Vichy. On y découvre une volonté de rendre à Pétain un véritable culte puisque ses propagandistes vont jusqu’à l’incarner en santon… à placer dans la crèche de la nativité, un autre petit Jésus en somme ! Quid de la Corse « île des Justes » ? La Corse a eu ses collabos et ses dénonciateurs. Si les juifs – sauf un – n’ont pas été déportés dans les camps d’extermination d’Allemagne ou de Pologne, ils le doivent surtout au préfet, Balley, qui a freiné des quatre fers pour ne pas appliquer les ordres.
Il y a dans cette exposition des séquences particulièrement émouvantes : la gourmette de Saint Exupéry retrouvée au fond de la mer, des habits tissés sur des métiers d’autrefois, des poteries tournées à la main et à l’ancienne par des insulaires en manque d’approvisionnement à cause des hostilités, des photographies de soldats américains fêtant Noël avec des enfants de Migliacciaru. Dans « Life » on peut encore vérifier qu’il y a eu en Corse des femmes tondues ainsi qu’en atteste les photos du magazine en date du 17 juillet 1944. Bien sûr les héros de la résistance que sont Fred Scamaroni et Jean Nicoli sont là.
A ne pas manquer au sous-sol la projection de « Thunderbolt », documentaire réalisé début 1944 par un certain William Wyler, recordman d’Oscars à Hollywood, à qui on doit, entre autres, « Vacances romaines » et « Ben Hur ».
Michèle Acquaviva-Pache
ENTRETIEN AVEC PHILIPPE PERETTI, historien, maire adjoint de Bastais, chargé du patrimoine.
Comment les communistes corses ont-ils réussi à rassembler autour d’eux les résistants ?
Ils avaient de l’expérience en matière de militantisme. Certains étaient des syndicalistes. D’autres avaient combattu en Espagne aux côtés des Républicains. En travaillant avec la France Libre ils ont été habiles et lors de l’insurrection leur action a été décisive. Jean Nicoli était un militant dévoué et efficace. Il avait beaucoup d’expérience acquise durant son séjour comme instituteur dans ce qui allait devenir le Mali. Arthur Giovoni envoyé à Alger a su faire inscrire la Corse au calendrier de la Libération. Les communistes du Front National ont également su convaincre les Anglo-Américains, débarqués en Afrique du Nord, d’envoyer des armes en Corse.
On dit qu’à la Libération la Corse est devenu un laboratoire politique du gaullisme en vue d’une prise de pouvoir à Paris. Pouvez-vous expliciter ?
La Corse étant le premier territoire libéré il était naturel qu’elle devienne un laboratoire pour les gaullistes. Ils ont ainsi mis en place à tous les échelons une administration nouvelle. Ils ont lancé la reconstruction. Au niveau militaire ils ont impulsé la mobilisation de nombreux jeunes Corses qui ont rejoint la France Libre. Disons qu’à l’époque de Gaulle symbolisait le rétablissement de la démocratie et que bon nombre de républicains dont Paul Giacobbi, résistant, sénateur qui n’avait pas voté les pleins pouvoirs à Pétain, ont rejoint le courant gaulliste.
Les mobilisations de 1939 et de 1943, les pertes civiles dû aux bombardements, les résistants tués, quel a été le coût humain enduré par la Corse ?
Lors de la campagne de France il y a eu 300 à 400 morts. Les forces italiennes ont fusillé vingt personnes. Trente goumiers ont perdu la vie. 600 soldats italiens sont morts pour la libération de la Corse. Parmi les combattants de la France Libre ont compte 500 à 600 tués. Les bombardements sur Bastia et quelques villages ont fait une centaine de mort.
L’irrédentisme était-il fortement implanté sur l’île avant la deuxième guerre mondiale ?
L’irrédentisme concernait toutes les terres jugées de culture italienne. Au XIX è siècle ce mouvement était plutôt porté par des progressistes appartenant à l’élite, qui souffraient de la perte de la langue de Dante. Après la guerre de 1914 – 1918, qui avait provoqué beaucoup d’insatisfactions chez les Italiens et avec l’arrivée du fascisme, Rome s’est mise à revendiquer la Savoie, Nice, Djibouti, la Corse. L’île a été soumise à une intense propagande. Mais si A Muvra avait de nombreux lecteurs, les Muvristes n’était pas pour autant en faveur du rattachement à l’Italie.
Pour quelles raisons la libération de Bastia a-t-elle été plus difficile que celle d’Ajaccio ?
En face de Livourne, de La Spezia, de Gênes le port de Bastia était stratégique alors que les Américains progressaient très difficilement. Bastia ne put être de ce fait libéré qu’après que les soldats italiens eussent changé de camps.
Comment les soldats italiens ont-ils rejoint la résistance corse ?
Il y a eu maintes discussions et tractations entre la résistance et la hiérarchie militaire italienne. Après la chute de Mussolini leur armée, en Corse, est face à un dilemme : continuer à se battre comme avant ou rejoindre la résistance corse, ce que font finalement la majorité d’entre eux, alors que les Allemands canonnent le port de Bastia et que des bombardements détruisent un immeuble sur trois.
Qu’ont apporté à l’île les Américains lors de leur cantonnement ?
Un air de liberté. Ces jeunes étaient des volontaires, très dynamiques. Rapidement ils ont édifié 17 aéroports provisoires, des ponts tout aussi provisoires… mais qui ont duré longtemps ! Ils ont apporté des produits jusque-là inconnus : coca cola, cigarettes blondes, corn-beef et autres conserves. Ils étaient très présents dans la vie sociale de l’île… L’Amérique faisait alors rêver !
Le général Giraud et de Gaulle avait des avis divergents sur la libération de la Corse. Pourquoi ?
Tout les sépare au plan politique et militaire. Giraud, prisonnier des Allemands s’est évadé. Plus élevé en grade il a la confiance des Américains, qui le mettent en avant. Giraud est favorable à une rapide libération de la Corse et à un débarquement sur l’île . De Gaulle est plus dubitatif mais finit par être convaincu par les communistes du Front National. Au CNR (Comité national de la résistance) les gaullistes siègent d’ailleurs aux côtés des communistes et de Gaulle ne veut pas d’une tutelle américaine sur la France libérée.
Pendant la guerre de quoi les Corses ont-ils le plus souffert ?
Comme toutes les populations d’Europe occupée ils ont subi malnutrition et manque de soins.
Propos recueillis par M.A-P