Golf de Sperone : rumeurs et humeurs
Une fpois encore , le golf de Sperone est le sujet de rumeurs qui semblent partir de faits réels.
Golf de Sperone : rumeurs et humeurs
Une fois encore, le golf de Sperone, en vente depuis 2016, est le sujet de rumeurs qui sem-blent partir de faits réels. Un consortium de très riches propriétaires du lieu envisagerait de le racheter à celui qui veut s’en débarrasser, Georges Dewez, fils de celui qui initia le projet Jacques Dewez. La question qui est désormais posée est celle de l’avenir de ces 130 hectares, bout ultime de l’île de Corse : doit-il devenir la chose de quelques hommes richis-simes ou revenir à ceux qui représentent le peuple corse et profitent tout au moins en partie à ce dernier ?
L’époque où la Corse était à vendre par parcelles
En 1960, Jacques Dewez, qui a fait fortune dans l’immobilier, acquiert le terrain au prix misérable d’un franc le mètre carré. C’était la période bénie pour les spéculateurs qui mettaient la main sur d’immenses domaines souvent héritages féminins, dans l’extrême-sud de la Corse. Il l’aménage dans les années 1980 malgré l’opposition des défenseurs de l’environnement et des nationalistes corses qui, il est vrai, n’ont rien à proposer qui profite à l’économie locale. Les deux FLNC vont même jusqu’à racketter «au nom de la cause » le golf 18 trous qui est inauguré en 1991 alors que le FLNC se scinde en deux organisations. Le parcours attire bientôt une vingtaine de milliers de golfurs chaque année pendant qu’une centaine de copropriétaires achètent les luxueuses maisons de bois et de pierre.
Comme l’îlot de Cavaddu, Sperone ou plutôt l’Ispronu, est vécu par les « indigènes » comme une enclave « blanche » qui peu à peu va toutefois se fondre dans le paysage et apporter des bénéfices aux commerçants locaux. Les premiers occupants des somptueuses maisons viennent essentiellement du monde artistique. Plus tard, ce seront des hommes d’affaire qui les remplaceront. La mise en service en septembre 1970 de l’aéroport de Figari a grandement profité à cette population pour qui le prix de transport ne compte guère dans le budget. Après les divers attentats et tentatives de racket perpétrées essentiellement par le FLNC Canal historique, le golf perd de la clientèle et devient déficitaire. Il est vrai que le propriétaire ne fait guère d’efforts pour redresser la situation. Quant aux colotis, ils semblent parfaitement s’accommoder de cette baisse d’intensité qui profite à leur tranquillité personnelle.
Le retour aux bénéfices et les craintes d’un maire
C’est en partie grâce à une jeune Bonifacienne que le golf va retrouver de son lustre ancien. Ariane Buzzo est nommée directrice déléguée en 2012 après deux ans passés en tant que directrice commerciale. Et le fait est que le golf commence à afficher des bénéfices et Georges Dewez qui détient les trois quarts du domaine, y vient de moins en moins souvent. En 2018, France 3 Via Stella, se fait l’écho d’un projet d’achat par le producteur de cinéma Philippe Godeau associé à la société pro Bat de Jean-Claude Tafani, un chef d’entreprise connu et apprécié de Porto Vecchio. Paul Canarelli du domaine de Murtoli apportait sa caution «golfique». Le projet était de rentabiliser l’achat en érigeant sur le domaine de Sperone un hôtel de luxe de 7000 mètres carrés en lieu et place du club-house puis de moderniser le golf. Les copropriétaires et la mairie de Bonifacio avaient donné leur accord. Les services de l’État ont demandé au maire de retirer le projet après la levée de boucliers des associations de défense du littoral alors même qu’ils avaient précédemment fait savoir combien ils appréciaient cette initiative entrepreneuriale et économique. Jean-Charles Orsucci, maire de Bonifacio, avait fait part dans Le Monde du 30 août 2012 de ses craintes. « Rien, à part l’héritage moral de son père, qui a fait beaucoup pour cet endroit, ne pourra s’opposer à ce que M. Dewez vende à n’importe quel acheteur. Le risque ? Selon l’élu, il consisterait à voir un milliardaire russe ou chinois s’accaparer le golf pour y jouer seul à son aise ou changer la destination du site. Avec 20 000 visiteurs annuels, ce serait une catastrophe pour les hôteliers et les restaurateurs de la région. »
Que penser de la nouvelle proposition ?
Tous les interlocuteurs que j’ai pu contacter m’ont affirmé qu’il ne s’agissait que d’une nouvelle rumeur. Néanmoins des noms circulent comme celui d’un grand publicitaire parisien spécialisé dans le mobilier urbain, deux anciens banquiers, un patron d’assurances, etc.
Bref des personnes dont on ne saurait nier l’attachement pour Sperone et leur tranquillité, mais dont on rechercherait en vain ce qu’ils ont fait pour la Corse. Le maire de Bonifacio refuse de se prononcer sur l’opération tout comme Ariane Buzzo. Néanmoins, plusieurs professionnels ont fait connaître leur inquiétude. L’activité autour du golf est nécessaire pour bon nombre d’hôteliers, artisans et commerçants. Eux rêveraient d’un golf qui attire plus de monde encore. Ariane Buzzo préserve un recrutement local pour l’organisation du golf. Il reste néanmoins une question presque morale : ne serait-il pas juste que par exemple la région se porte acquéreuse de ce qui constitue la partie extrême de sa géographie ? Le chiffre de vente annoncée tourne autour de 8 millions d’euros auxquels il faudrait ajouter 4 millions pour faire du golf l’un des plus beaux au monde.
Pourquoi ne pas imaginer une participation des acteurs corses à une telle acquisition donnant ainsi à une opération commerciale une dynamique populaire et patriotique ? La région l’a bien fait avec une partie de Cavaddu et une telle démarche a lieu ailleurs par exemple dans les Landes, le Pays basque ou encore la Bretagne. Les présences régionale et municipales constitueraient une garantie pour éviter une quelconque spéculation immobilière autour du golf et le prétexte à faire de l’immobilier. La garantie publique (et pourquoi pas une «cagnotte» de particuliers notamment de professionnels du tourisme ?) permettrait un investissement structurant pour le développement touristique et sportif de la région et privilégierait la qualité golfique de la destination.
Une affaire à fort potentiel économique
Les temps ont changé et nous savons que désormais le transport, l’énergie, l’eau sont des marchandises qui, lorsqu’elles deviennent entièrement privées, sont soumises aux lois du marché. Le consortium qui veut acheter Sperone n’offre aucune garantie pour l’avenir. Quand bien même la municipalité bonifacienne y mettrait-elle quelques dizaines de milliers d’euros qu’il n’existerait rien qui puisse empêcher une nouvelle opération de spéculation.
La majorité nationaliste parlait pour les habitations de préemption. Eh bien voilà une belle occasion de récupérer un morceau de terre corse. La famille Culioli, comme bien d’autres familles bonifaciennes, a poussé ses troupeaux sur ces terres qui étaient autrefois des landes tout comme Vintilegna. Elles ont été vendues à une époque où la Corse n’avait aucune conscience de sa valeur. On bradait les terrains, on proposait des tours génoises pour un franc symbolique. La grandeur du nationalisme a été de faire prendre conscience aux Corses que la terre est plus qu’une superficie. C’est la Corse qui crée des Corses. C’est son relief, sa diversité qui a donné un cadre à notre culture. Nous en sommes les sentinelles, les gardiens. Sperone doit revenir à la Corse, et d’un strict point de vue capitaliste, avec des investissements, il peut devenir une formidable carte de visite.
Nous avons besoin de fêter des victoires et plus simplement de pleurer des défaites
Le monde est entré dans une tourmente climatique, politique, civilisationnelle. Pour nous en sortir, nous ne pourrons compter que sur nos propres réussites. Or nous avons la fâcheuse tendance de nous victimiser, de mettre en avant nos échecs et nos défaites plutôt que nos réussites et nos victoires : Ponte Novu plutôt qu’u Borgu, notre pauvreté plutôt que nos richesses.
Pour avancer, un peuple doit croire en lui-même et donc avoir foi dans sa capacité à l’emporter. Il faut mettre en exergue des victoires même minimes. Nous devons avoir foi en notre propre génie sinon qui y croira ? Sperone peut être une cause enthousiasmante si elle est bien menée, mêlant tout à la fois l’histoire, le sentiment d’appartenance, le respect essentiel de l’écosystème et la réussite commerciale. Il y a toujours quelque chose d’humiliant à constater que des pans entiers de ce que nous sommes nous échappent par manque de volonté. Je l’ai écrit cent fois : la défense du littoral a échoué parce qu'une grande partie de ses militants ont fait l’impasse sur la nécessité de réussir économiquement tout en évitant de mutiler le littoral.
Aujourd'hui, la spéculation immobilière s’est emparée de notre société et la fait souffrir de mille manières. Nos jeunes ne peuvent plus se loger et sont repoussés de plus en plus loin dans les terres. Le rapport de l’Hudson Institute, écrit à l’été 1970, prédisait, entre autres possibilités, un littoral peuplé de riches propriétaires (corses et non corses) et une population indigène ou immigrée formant des réserves dans les terres. Eh bien nous y sommes et la seule manière d’y remédier est de créer un tissu économique qui, grâce à la redistribution, permettra de pondérer une telle dynamique. Notre monde est injuste et les riches continueront d’exister. Croire en leur disparition est utopique, voire stupide. Nous avons besoin de l’argent des riches pour subventionner du social.
Mais la terre doit être sous contrôle des peuples premiers. Ceux qui ont vécu ici, dont les ancêtres sont enterrés dans nos cimetières, ont le droit, moyennant bien sûr le respect de certaines règles, d’offrir à ces lieux sacrés une nouvelle jeunesse. Ainsi grandissent les peuples et les cultures. Les sociétés qui ne respectent pas de telles règles finissent toujours par le payer. Que ce soit en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Canada ou aux États-Unis, en Nouvelle-Calédonie il y a une profonde immoralité à spolier les indigènes. Il en va de même en Corse. Sperone doit revenir à notre communauté avec toutes les garanties nécessaires pour qu’il le reste et profite à la Corse.
GXC