<< Forti saremu se saremu uniti >> Mot d'ordre de la Résistance
Une somme de connaissances et de références. Un ouvrage en deux tomes de l’historien, Sylvain Gregori, intitulé, « Nouvelle histoire de la Résistance en Corse (Juillet 40 – Septembre 43).
« Forti saremu se saremu uniti »
Mot d’ordre de la Résistance
1034 pages. Une somme de connaissances et de références. Un ouvrage en deux tomes de l’historien, Sylvain Gregori, intitulé, « Nouvelle histoire de la Résistance en Corse (Juillet 40 – Septembre 43). Un éclairage neuf, lumineux sur cette période exceptionnelle. Un éclairage en rupture avec une certaine image d’Epinal. Trop conformiste. Trop lénifiante.
L’ouvrage de Gregori, par ailleurs directeur du Musée de Bastia, a le mérite initial de reconstituer le contexte politico-économico-social de cette période paradoxalement simple et compliquée. Simple parce que pétainisme et maréchalisme s’imposent dans le paysage insulaire pour qu’après le 11 novembre 1942 s’abatte sur l’île le fascisme italien. Sauf quevichysme et mussolinisme en viennent à brouiller et à complexifier une situation qu’on pourrait qualifier d’hors normes. Une situation en proie à la répression du Maréchal et à celle de l’occupant italien mais en même temps fertile en grandes espérances pour d’autres lendemains.
Comme ailleurs en France les Corses sont pieusement touchés par la grâce de Pétain. Progressivement cependant les choses vont se décanter et l’enthousiasme pour le vainqueur de Verdun s’étioler. Les conditions quotidiennes qu’ils subissent et le matraquage irrédentiste qui pilonne leur esprit sont à l’origine d’un basculement : l’aura du Maréchal s’efface et les odes à Mussolini se transforment en italophobie. Plus on vante aux insulaires les louanges de la péninsule plus le sang versé durant la Grande Guerre revigore en eux un sentiment d’attachement à la France tout en vivifiant leur patriotisme corse.
La revendication de l’identité corse va être un marqueur de l’agit-prop de la résistance. Originalité du temps : le parti communiste peu implanté avant la guerre et dissous en 1939 va prendre vigueur sur tout le territoire de l’ile et non plus seulement à Bastia, Ajaccio ou Sartène. Non sans mal le Front National lancé par la direction du PCF va également parvenir à gagner du terrain et réunir autour de lui des gens bien au-delà de son obédience en premier lieu parce qu’il sait s’adapter aux vœux de la population. Parce qu’il est politiquement habile contrairement à d’autres réseaux de résistants trop détachés des réalités et trop élitistes.
Dans une île où les pertes humaines dues à 1914 – 1918 ont été très douloureuses au point que certains villages ne sen remettent pas, les années 1940 – 1943 voient l’émergence d’une jeunesse qui insuffle autour d’elle oxygène et courage. Cette jeunesse va prendre plus que sa part à la Résistance. Phénomène remarquable qu’on peut rapprocher de l’irruption des jeunes sur la scène politique dans les années 70 et dans le riacquistu.
Quatre-vingt ans plus tard quelles traces a laissé la Résistance dans l’imaginaire des Corses ? A cette interrogation Sylvain Gregori répond : « Après tout ce temps on se souvient de ces événements car ils nt marqué de leur empreinte les esprits. Par-delà les affiliations partisanes les Corses en sont fiers… fiers que leur terre ait été la première libérée par leur action. Ces événements reflètent la singularité de l’île… Pas étonnant qu’aujourd’hui encore des mouvements comme « Core in front » s’empara de la figure de Jean Nicoli et qu’une mouvance d’extrême droite se saisissent de celle de Fred Scamaroni » !
Michèle Acquaviva-Pache
ENTRETIEN AVEC SYLVAIN GREGORI
Pourquoi avez-vous choisi d’intituler votre ouvrage, « Nouvelle histoire de la Résistance en Corse » ?
Depuis « Tous bandits d’honneur » de Choury paru en 1956, réédité en 1988, il n’y avait pas eu d’autre parution sur la Résistance ici. Ce livre était considéré comme une bible sur ce sujet bien que sa publication ait suscité des polémiques au sein du Parti Communiste, polémiques reflétant des tensions entre le nord et le sud de l’île
Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre cet ouvrage ?
En 1995 j’ai fait ma maîtrise d’histoire sur la Corse de Vichy qui était une véritable terra incognita. Pour ma thèse d’histoire j’ai enchaîné sur la Résistance. A cette époque l’histoire de la Résistance était en plein renouveau et incitait à dépasser le seul récit de « Tous bandits d’honneur ». Creuser sur l’époque de Vichy m’a amené à mieux cerner le concept de Résistance, à revisiter en quelque sorte ce qui c’était passé. Ce travail m’a permis de mieux évaluer et de mieux affiner comment les communistes ont réussi à imposer leur hégémonie parmi les résistants en ralliant à eux l’opinion corse par une propagande basée sur le mécontentement social d’alors tout en s’appuyant sur l’identité corse. Au début PC et Front National, impulsé par les communistes, ont eu du mal à rassembler les masses. Petit à petit en marginalisant les autres réseaux de résistants, en sachant bénéficier de l’argent et des armes d’Alger, ils ont réussi à prendre le dessus parce que contrairement à leurs rivaux ils avaient dégagé une politique claire conte Vichy et l’occupant italien en tenant compte des problèmes matériels et vitaux des Corses.
Être coupé du continent et de la direction nationale du PCF ne leur a-t-il pas donné des coudées plus larges ?
Cela les a autorisé à élaborer leur propre discours induisant une plus grande indépendance dans leur démarche et leurs options.
Avez-vous trouvé des sources inédites ?
Peu… Mais dépouiller les sources concernant la répression de Vichy m’a beaucoup appris ainsi que celles émanant de responsables communistes insulaires. Ayant adopté une lecture plus anthropologiques des faits j’ai pu les interpréter de manière plus originale. En outre à partir des années 2000 des sources nouvelles sont devenues accessibles et l’aspect identitaire de la Résistance, gommée auparavant, est devenu incontournable car PC et FN se sont calqués sur les solidarités familiales et sur le monde rural insulaire tout en ayant un discours en adéquation avec les difficultés des gens.
Le patriotisme français issu de la Grande Guerre ne s’oppose donc pas au patriotisme corse ?
C’est une réalité. La propagande irrédentiste a provoqué une vague d’italophobie qui finit par être relativisée quand s’établit un rapprochement entre résistants et certains soldats italiens et leurs gradés puisqu’au fond ils ne sont pas réellement fascistes… Ce rapprochement est aussi fondé par une proximité culturelle et sur la défaite du Duce.
L’image de Balley, préfet de Vichy, que vous restituez dans votre livre est ambivalente. Est-ce que je me trompe ?
L’historiographie classique en fait un préfet collaborateur. Mais c’est plus compliqué que ça. Il n’a jamais déclaré les juifs de Corse comme le réclamait Vichy. Il s’est opposé aux exigences italiennes qui voulaient balayer la souveraineté française sur l’ile. Il a constamment essayé de protéger les Corses de l’arbitraire… en n’ayant toutefois que peu de moyens.
J’ai toujours entendu des récits contradictoires quant à la mort de Jean Nicoli. Qu’en est-il ?
Après l’échec visant à libérer Jean Nicoli par ses camarades, la Résistance a trop misé sur le colonel italien Cagnoni avec qui elle avait pris langue et qui était censé l’aider dans cette mission. Or, Cagnoni était un agent du contre-espionnage italien ! Service, qui après la chute de Mussolini et à la veille de l’insurrection, a porté des coups redoutables aux résistants et a failli déstabiliser le FN. Jean Nicoli, selon moi, a fait les frais du double jeu de Cagnoni !
Dans l’entre-deux guerre la jeunesse corse est peu sensible à la politique. Pourquoi le devient-elle à partir de 40 – 41
Assistant à des scènes de répression les jeunes corses en deviennent à former un groupe social porteur d’expressions en rupture avec Vichy et de l’occupant fasciste. Cette réaction entraine un phénomène générationnel que le PC a su canaliser… Après la Libération les élites traditionnelles claniques vont tout faire pour que ces jeunes n’accèdent pas à des postes ou fonctions de responsabilité.
Pour quelles raisons si peu de place est accordée aux femmes résistantes ?
Comme au niveau national le rôle des femmes a été minoré et leurs tâches sexuées. Certes, les manifestations de ménagères, ainsi en 1943 à Bastia, leur ont permis d’apparaitre dans l’espace public mais vite elles ont été marginalisées. C’est le reflet d’un fait culturel. Rappelons la formule du PCF : « Pas de suffragettes dans nos rangs » !
Est-ce parce qu’ils étaient de fins politiques que les apports du PC et du FN sont incontournables dans la Résistance ?
Ils ont vite compris qu’ils devaient accorder de l’importance aux problèmes sociaux et aux revendications économiques des gens confrontés à ce que leur faisait endurer Vichy et l’occupant. Cette problématique ils l’ont aussi reliée à une part d’utopie d’un monde meilleur. Il ne faudrait pas oublier également qu’ils ont toujours fait référence à l’identité corse et que celle-ci a été un de leur pivot. Quand on dépouille la multitude des tracts du FN, la Corse est plus présente que le panthéon des héros français… Une donnée que les communistes insulaires ont omis dans les années 70…
Propos recueillis par M.A-P